Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Red Rose
Mère : Sepideh Farsi
Date de naissance : 2015
Majorité : 09 septembre 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : France, Grèce
Taille : 1h27 / Poids : NC
Genre : Drame, Romance
Livret de famille : Mina Kavani (Sara), Vassilis Koukalani (Ali), Shabnam Tolouei (Simine)
Signes particuliers : Le courage d’une réalisatrice iranienne, et celui de ses comédiens.
AMOUR, ENGAGEMENT ET RÉVOLUTION
LA CRITIQUE
Résumé : Téhéran, juin 2009, au lendemain de l’élection présidentielle usurpée. Le tumulte d’une ville qui tangue sous la « Vague verte » de contestation. Un appartement comme lieu de refuge. Un homme et une femme de deux générations différentes. Un téléphone portable et un ordinateur pour relayer les nouvelles de la révolte. Une histoire d’amour qui bouleversera le cours de deux existences.L’INTRO :
Plus la censure est forte, plus le cinéma s’acharne à trouver des moyens de la contourner. Cet adage, vieux comme le septième art, s’est vérifié de tout temps et aux quatre coins du monde. En Iran par exemple, où le régime est excessivement regardant et interventionniste sur la production nationale. Et pourtant, on a beau remonter le fil de l’histoire, on peut retrouver très loin des films au discours contestataire déguisé. La Vache de Dariush Mehrjui, par exemple, en 1969. Il en fut de même au cours des années 80 sous le régime sévère de Khomeini post-révolution de 1979, et au cours des années 2000, le cinéma iranien n’a eu de cesse de trouver des voies pour s’exprimer malgré la surveillance voire la répression étatique, avec parfois le concours d’une forte médiatisation internationale via certains festivals européens réputés. Cette année, deux films auront attiré l’attention pour leur démarche similaire, égratigner la société iranienne en tournant des films en apparence 100% iraniens mais produits hors de ses bases. En début d’année, ce fut le cas du brillant A Girl Walks Home Alone d’Ana Lily Amirpour, tourné en Californie mais en langue persane et avec des acteurs iraniens. Rebelote cette fois-ci avec Red Rose, de la cinéaste Sepideh Farsi, tourné lui en Grèce, avec des comédiens iraniens, et revenant sur la contestation née de l’élection présidentielle de 2009, précurseur des révolutions arabes et s’étant indignée sur la reconduite au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad, jugée totalement truquée. Un mouvement qui aura embrasé les rues de Téhéran, malheureusement durement réprimé par le régime.L’AVIS :
Red Rose appartient à cette caste des films courageux, aussi bien pour leur contenu que pour leur démarche. Et on ne manquera pas de mettre en exergue ce qu’aura impliqué pour l’ensemble de son équipe, cette tentative d’illustrer à la face du monde, la colère iranienne face au scandale des élections de 2009. En se faisant l’écho de la révolte réprimée dénonçant un scrutin passablement révoltant (l’opposant Mir Hossein Moussavi était donné très largement favori avant que les résultats n’attribuent curieusement une victoire écrasante et nonsensique au Président en place Ahmadinejad), la cinéaste Sepideh Farsi, comme ses deux comédiens Mina Kavani et Vassilis Koukalani, sont désormais dans l’impossibilité de retourner dans leur pays, encourant un trop grand risque suite à ce pamphlet critique doublé d’une belle œuvre de cinéma intensément fiévreuse.Au travers d’un huis clos fort et passionnant où deux générations se rencontrent, s’affrontent et s’aiment dans l’intimité alors que dehors le chaos gronde dans les rues, Red Rose est une œuvre importante dans sa dimension historique et sociale, aussi bien pour le contexte politique qu’il met en lumière, que pour la romance délicate et fascinante qui se met en œuvre avec une haute portée symbolique, par le prisme de cette relation amoureuse intergénérationnelle croquée avec subtilité, grâce et finesse. Avec ce cinquième long-métrage, Sepideh Farsi et ses comparses d’aventure, s’attaquent frontalement aux tabous de la société iranienne, les faisant tomber un à un dans une démarche éprise d’un vent de liberté qui emporte tout sur son passage. La dictature politique, la répression des esprits contestataires, la traque dont ils sont victimes, la volonté de vivre et surtout de vivre libre, mais aussi la néo-jeunesse pleine de modernité et d’ouverture d’esprit qui a des comptes à régler avec la génération précédente, la nudité, la sexualité, les rapports hommes-femmes contraints d’être vécu « en cachette », l’alcool, la drogue, l’utilisation des réseaux sociaux pour s’exprimer, la quasi non-présence du religieux… Red Rose est un affront à l’étouffement de la liberté d’expression en Iran et une ode au progressisme. Mais plus qu’un simple brûlot, c’est avant tout le portrait d’une rencontre, celle de deux générations qui se croisent, qui ont des choses en commun mais surtout des choses qui les opposent. Et entre les quatre murs d’un appartement aux allures de théâtre ouvert sur la société iranienne, Sepideh Farsi signe un film porté par un sublime souffle romanesque intimiste et fédérateur.Elle est dans la vingtaine, elle représente toute la fougue, la modernité, l’envie de vivre et d’avancer de la jeunesse iranienne, elle incarne un esprit d’émancipation et impétueusement, elle s’indigne contre son vote jeté aux oubliettes dans cette élection révoltante. Lui a la cinquantaine, il est plus calme, plus méfiant, il incarne la génération d’avant, celle qui a vécu, qui a l’expérience, qui a connu la révolution de 1979 et les autres étapes qui ont suivi où rien n’aura finalement changé. Il fait « avec », reclus dans son appartement, observant depuis ses fenêtres, cette révolte sociétale qui gronde et dont il reste en retrait. Leurs différences s’entrechoquent frontalement et pourtant, dans le fond, ils sont l’incarnation de deux époques, de deux générations adossées l’une à l’autre, de deux points de vue. qui aspirent ou ont pu aspiré aux mêmes choses, qui partagent des convergences, mais qui vivent ce tumulte mais avec des perceptions différentes nées du passif de leur expérience propre.Red Rose est au final l’histoire d’un conflit, de société mais également humain. Deux générations qui essaient de se comprendre, qui échangent et partagent. Mais c’est aussi une formidable histoire d’amour universelle, désireuse de mettre en avant l’envie de vivre libre, mais tout en rappelant que pour l’instant, cet désir ardent est contraint, obligé de rester caché, confiné, abandonné à la discrétion derrière les murs cloisonnés des appartements de Téhéran où la vie est vécue dans une dichotomie schizophrénique. Entre l’intérieur et l’extérieur, rien ne peut être pareil. Pas pour le moment, pas dans cette société actuelle qui aura étouffé cette volonté réformiste pour maintenir tristement un ordre établi. Porté par un mélange subtil de pessimisme et de luminosité, écartelé entre l’abattement et l’espoir sans cesse au fond des cœurs, Red Rose nous soumet à la beauté de sa romance engagée, et au charisme incarnant de ses deux acteurs formidables, Mina Kavani et Vassilis Koukalani (amusément, sorte de sosies iraniens d’Estelle Denis et Antoine Dulery). Une œuvre vibrante, époustouflante et pertinente.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux