Mondociné

LA GRAZIA de Paolo Sorrentino : la critique du film

Partagez cet article
Spectateurs

Nom : La Grazia
Père : Paolo Sorrentino
Date de naissance : 28 janvier 2026
Type : sortie en salles
Nationalité : Italie
Taille : 2h13 / Poids : NC
Genre : Drame

Livret de Famille : Toni ServilloAnna FerzettiOrlando Cinque

Signes particuliers : Un chef-d’oeuvre.

Synopsis : Mariano De Santis, Président de la République italienne, est un homme marqué par le deuil de sa femme et la solitude du pouvoir. Alors que son mandat touche à sa fin, il doit faire face à des décisions cruciales qui l’obligent à affronter ses propres dilemmes moraux : deux grâces présidentielles et un projet de loi hautement controversé. Aucune référence à des présidents existants, il est le fruit de l’imagination de l’auteur.

SORRENTINO TOUJOURS AU SOMMET

NOTRE AVIS SUR LA GRAZIA

L’Italie, les coulisses du pouvoir, des images somptueuses, une musique pop, une auscultation poétique de l’existence, Tony Servillo à l’écran… Pas de doute, on est bien chez Paolo Sorrentino. De son propre aveu, le cinéaste italien serait l’artiste le plus paresseux au monde. Pour un paresseux, sa régularité est quand même sacrément admirable. Moins de deux ans après la présentation de son sublime Parthenope à Cannes, Sorrentino est déjà de retour avec un nouveau long métrage. Sa onzième merveille. Peut-être l’une de ses plus belles.
Après Il Divo et Silvio et les autres, Paolo Sorrentino replonge à nouveau avec délectation dans les arcanes de la politique italienne. Avec pour but cette fois de parler d’un sujet éminemment d’actualité qui fait trembler bien des gouvernements : la périlleuse question du droit à l’euthanasie. Le sujet a souvent été abordé au cinéma, généralement d’un point de vue personnel (Amour, Vortex, Tout s’est bien passé), parfois médical (La Vérité sur Jack) ou juridique (Justice est faite d’André Cayatte). Sorrentino adopte un autre regard tout aussi pertinent et passionnant, celui d’un décisionnaire dominant la société et observant les débats avec un recul unique. Pour se faire, le cinéaste imagine un président fictif (mais qui entretient de nombreux points communs avec Sergio Mattarella, l’actuel locataire du palais présidentiel romain) entrant dans ce que les italiens appellent « le semestre blanc ». Une expression désignant ce dernier semestre au crépuscule d’un mandat, durant lequel le Président ne peut plus entreprendre certaines grandes manœuvres comme dissoudre le Parlement. Dans bien des pays, il s’agit aussi d’un semestre de relatif immobilisme politique, comme si l’on attendait tranquillement la fin sans trop faire de vagues. Sauf que pour Mariano de Santis, ces derniers mois sont particuliers.
Président sortant respecté, Mariano de Santis (exceptionnel Tony Servillo dans l’un de ses plus beaux rôles avec La Grande Belleza) est partagé entre l’apaisement du devoir bientôt achevé, la mélancolie d’une fin, l’angoisse de la vie d’après, l’introspection existentielle sur ce qu’il a été ou n’a pas été durant toutes ses années au pouvoir, et la réflexion autour de quelques derniers dossiers épineux qui traînent sur son bureau depuis un moment. Il y a d’abord deux demandes de grâces présidentielles, l’une pour un instituteur qui a aidé son épouse malade à mourir et l’autre pour une femme battue qui a assassiné son mari. Et surtout, il y a ce fameux projet de loi sur l’euthanasie porté opiniâtrement par sa fille et qui risquerait de heurter l’opinion publique et le tout-puissant Vatican. Dans de longs et intenses moments de réflexion, Mariano de Santis analyse la situation et son passé. A-t-il seulement déjà fait preuve de courage politique ? Ce courage requis pour incarner un tel projet législatif si sensible…
Avec la grâce infinie qui caractérise son cinéma, Sorrentino dresse le portrait d’un homme assiégé par le doute. Le doute sur une question éthique quasi insoluble, mais aussi les doutes qui entourent sa vie personnelle. Ce Président au crépuscule de sa vie affronte des points de vue qui s’opposent (sa fille, son entourage, le pape), l’héritage qu’il s’apprête à laisser, la peur de ce qu’il va devenir une fois libéré de ses fonctions, et les réminiscences de plus en plus fortes d’un être aimé parti trop tôt et l’ayant laissé en proie à une solitude de moins en moins supportable. Sa femme, l’amour d’une vie, emportée il y a plusieurs années par la maladie, et dont le souvenir demeure encore comme une cicatrice ouverte et douloureuse qui le hante chaque jour. Un personnage absent à l’image et pourtant omniprésent dans l’ambiance mémorielle. Assailli par les questionnements politiques et personnels, Mariano de Santis pense, cherche, analyse, enquête, écoute, puise dans le tangible de ses connaissances juridiques d’ancien juge, prend conseil autour de lui, pèse le poids de ce qui est juste et de la morale… C’est une tempête qui agite l’esprit de cet homme calme et rigoureux. Prendre position pour l’aide médicale à mourir reviendrait à être un meurtrier aux yeux des catholiques pratiquants comme lui. Et s’inscrire en opposition signifierait probablement être vu comme un tortionnaire sans humanité par des générations futures plus entreprenantes.
C’est avec une délicatesse bouleversante que Sorrentino s’approche au plus près de l’humanité troublée de son personnage. S’il affiche une verve formelle plus apaisée et plus sobre, mais conviant quand même son amour des beaux plans stylisés à une bande originale techno-pop qui tranche avec la rigidité de l’univers politique, le cinéaste signe l’un de ses films les plus intimistes. Preuve que son style si aérien peut tout épouser au final. Dans un tout d’une grâce indescriptible, l’amertume du portrait introspectif se fond merveilleusement avec le débat contemporain, les réflexions philosophiques sur l’existence répondent au tableau d’une romance endeuillée et les coulisses du monde politique accompagne un regard sur une transition générationnelle. Avec La Grazia, Paolo Sorrentino signe probablement l’un de ses plus beaux films depuis… le précédent. Ou celui d’avant. Ou celui d’encore d’avant… C’est tout le problème avec le cinéaste transalpin, cette capacité à reproduire chef-d’œuvre sur chef-d’œuvre, d’Il Divo à Youth, de La Grande Bellezza à Parthenope. Sorrentino est assurément l’un des plus grands génies de son temps et La Grazia en est une énième démonstration.
Drôle, tendre, émouvant, profond, splendide, universel, La Grazia est un film somme. Comme si Sorrentino avait trouvé la plus juste et pure mesure de son style. L’équilibre parfait. D’une séquence à l’autre, Sorrentino extirpe la puissance de ces moments de solitude bouleversants où, fumant sa cigarette du jour, le président de Santis se remémore son amour perdu, puis l’instant d’après il s’amuse de le voir découvrir et chanter du rap urbain. D’une séquence à l’autre, il le filme dans sa quête de la bonne chose à faire dans un débat politique complexe puis pourchasser une vérité plus triviale, avec qui sa femme l’a trompée quarante ans plus tôt. De l’émotion au sourire, de l’universel à l’intime, La Grazia est un enchantement de chacun instant.

 

Par Nicolas Rieux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Close
Première visite ?
Retrouvez Mondocine sur les réseaux sociaux