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LA DISPARITION DE JOSEF MENGELE de Kirill Serebrennikov : la critique du film

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Nom : Das Verschwinden des Josef Mengele
Père : Kirill Serebrennikov
Date de naissance : 22 octobre 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : Allemagne, France
Taille : 2h16 / Poids : NC
Genre : Biopic, Drame

Livret de Famille : August DiehlFriederike BechtDana Herfurth

Signes particuliers : Fascinant, malaisant, passionnant.

Synopsis : Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Josef Mengele, le médecin nazi du camp d’Auschwitz, parvient à s’enfuir en Amérique du Sud pour refaire sa vie dans la clandestinité. De Buenos Aires au Paraguay, en passant par le Brésil, celui qu’on a baptisé « L’Ange de la Mort » va organiser sa méthodique disparition pour échapper à toute forme de procès.

ANATOMIE D’UN MONSTRE DÉCHU

NOTRE AVIS SUR LA DISPARITION DE JOSEF MENGELE

 Considéré par certains comme l’un des plus brillants cinéastes européens de sa génération, le russe Kirill Serebrennikov était de retour à Cannes cette année pour la seconde édition consécutive, encore avec une adaptation d’un roman français, encore avec un film sur une figure de l’histoire. Après Limonov, la ballade, son biopic sur l’écrivain franco-russe Édouard Limonov adapté d’un roman d’Emmanuel Carrere, Serebrennikov s’intéresse cette fois au tristement célèbre Josef Mengele, médecin nazi ayant officié dans le camp d’Auschwitz-Birkenau et pourchassé après la guerre pour son implication dans l’opération de gazage des juifs et ses horribles expérimentations médicales pratiquées sur les déportées. Basé sur un roman d’Olivier Guez paru en 2017, La Disparition de Josef Mengele relate les années de cavale en Amérique du Sud du criminel de guerre, en adoptant son unique point de vue.

Tourné dans un noir et blanc superbe, écrin dont l’élégance ne fait que renforcer le sentiment d’effroi qui se dégage du film, La Disparition de Josef Mengele fonctionne comme une autopsie. Celle du terrifiant Josef Mengele, surnommé l’Ange de la Mort, celle de sa cavale ahurissante pendant des décennies, celle d’une psyché fondée dans la haine et une foi indéfectible envers les valeurs et croyances du régime nazi. Kirill Serebrennikov signe un portrait dérangeant d’une figure dérangeante et abjecte. Et si l’on a souvent eu maille à partir avec le trop-plein d’effets stylistiques du cinéaste (sur Leto comme sur Limonov), force est de reconnaître que cette fois, ils se justifient tous et apportent une densité effroyable et terrible au tableau.

Kirill Serebrennikov ouvre son œuvre comme un film d’espionnage puis glisse vers le thriller à la lisière du cauchemar psychologique en huis-clos avant de terminer sa course dans le drame crépusculaire vociférateur. Tout au long de ce voyage au plus près d’une figure malaisante et maléfique, le cinéaste multiplie les images chocs. Plans anxiogènes, diatribes horrifiantes, grands angles et plans très serrés, passages en couleurs perturbants, ellipses et flashbacks, caméra à l’épaule ou cadrages sur-composés, partitions musicales jazzy ou pesantes… La Disparition de Josef Mengele plonge le spectateur dans un inconfort constant à proximité d’une figure à vomir et qui n’a de cesse de nourrir notre antipathie. Anatomie du mal fait homme, le film de Sebrennikov nous pousse sans ménagement au plus près du pire de l’humanité. On aurait pu dire de l’inhumanité mais c’est là que le cinéaste russe diffère de ceux passés avant lui. En adoptant le seul et unique point de vue d’un Mengele qui ne quitte jamais le cadre (même mort, son squelette emplit une pièce d’effroi), Serebrennikov l’inscrit dans l’humanité, pas celle du cinéaste, pas la nôtre, mais celle de son personnage convaincu par le bien-fondé de ses idées nauséabondes. C’est à n’en pas douter ce qui rend La Disparition de Josef Mengele aussi puissant, sa capacité de confrontation radicale à l’horreur, au-delà même de la froideur distancée d’un Zone of Interest. Dans une posture de spectateur du pourrissement d’une pourriture, on assiste froidement à une dissection psychologique explorant les plus sombres recoins d’un cerveau fou. Et le voyage vertigineux au cœur d’une âme contaminée est difficile, sensoriellement éprouvant, mais aussi captivant voire à sa manière fascinant. Car rarement on aura autant été amené à côtoyer un monstre de si près.

La Disparition de Josef Mengele est à n’en pas douter l’un des films les plus exigeants de l’année. Exigeant dans sa plastique jusqu’au-boutiste, exigeant émotionnellement quand on est témoin d’un affrontement déchirant entre un père horrifiant et un fils horrifié ou quand on se retrouve complice d’une intimité enragée, sans filtre, xénophobe, raciste, négationniste, indécente. Il faut voir ce vieil homme traqué qui continue de penser mordicus que le Reich était juste, avait raison et renaîtra de ses cendres. Il faut voir cette scène d’anniversaire entre nazis vivant tranquillement leurs nouvelles vies décomplexées en Amérique du Sud. Aucun remords, aucune trahison de sa pensée ne viendra apporter un semblant d’allègement dans cette peinture accablante de la misérable banalité du mal. Humilié par la défaite du nazisme, Mengele s’est même encore davantage radicalisé dans ses convictions et ce que donne à voir Serebrennikov est le glaçant portrait d’un monstre regardé droit dans les yeux. Saisissant, La Disparition de Josef Mengele est l’un des très grands films de l’année. Et la prestation habitée d’August Diehl -dans un rôle éminemment difficile- est sans conteste l’une des plus marquantes de l’année aussi.

 

Par Nicolas Rieux

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