
Nom : Los Tigres
Père : Alberto Rodriguez
Date de naissance : 31 décembre 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : Espagne
Taille : 1h49 / Poids : NC
Genre : Thriller, Drame
Livret de Famille : Antonio de la Torre, Bárbara Lennie, Joaquín Nuñez…
Signes particuliers : La nouvelle claque du réalisateur de La Isla Minima.
Synopsis : Frère et sœur, Antonio et Estrella travaillent depuis toujours comme scaphandriers dans un port espagnol sur les navires marchands de passage. En découvrant une cargaison de drogue dissimulée sous un cargo qui stationne au port toutes les trois semaines, Antonio pense avoir trouvé la solution pour résoudre ses soucis financiers : voler une partie de la marchandise et la revendre.

UN THRILLER DRAMATIQUE EN APNÉE
NOTRE AVIS SUR LOS TIGRES
Quand l’impressionnant La Isla Minima est sorti il y a dix ans, l’espagnol Alberto Rodriguez s’est immédiatement imposé comme un cinéaste à suivre absolument. La suite sera moins marquante, à l’image de Prison 77, thriller carcéral honnête mais sans exploits. Cependant, il devait être écrit quelque part que l’ibérique referait parler de lui un jour ou l’autre. Ce jour est arrivé avec Los Tigres, un film à cheval entre la chronique familiale et le polar haletant.
Frère et sœur, Antonio et Estrella vivent pour la mer. Lui est un scaphandrier chevronné comme le fut son père, Elle travaille avec lui sur un navire, en espérant un jour réaliser son rêve de se diriger vers l’étude des fonds marins. Leur quotidien déjà difficile va le devenir de plus en plus car la vie aime donner des coups brutaux et qu’ils ne sont pas prêts pour les épreuves qui les attendent.

Et c’est le grand retour d’Alberto Rodriguez ! Avec Los Tigres, le cinéaste se montre particulièrement habile dans sa manière de conjuguer le drame intimiste bouleversant et le thriller apnéique à haute intensité et le polar sur fond de trafic de drogue. C’est souvent sous couvert de reproche quand on évoque l’idée que deux films coexistent dans une oeuvre. Signe que son auteur n’a pas su trouver les leviers d’écriture pour lier l’ensemble de ses directions. Los Tigres est une exception qui infirme la règle. Deux films vivent en parfaite harmonie dans la formidable proposition du cinéaste.
D’un côté, il y a le drame, l’histoire fraternelle de ce frère et cette sœur profondément liés sur fond d’héritage du père et de traumatismes de l’enfance. Ils ont chacun leurs difficultés (lui est aux prises avec son ex-femme au sujet des enfants et affronte l’usure inéluctable d’un métier difficile ; elle est atteinte de surdité et vit depuis toujours dans l’ombre de son grand frère respecté dans la communauté). Avec beaucoup de finesse, Alberto Rodriguez dresse le portrait de deux âmes tourmentées qui se soutiennent indéfectiblement mais ont des choses à régler ensemble, et doivent accepter leurs erreurs pour avancer. À travers eux, Alberto Rodriguez déploie en sus une chronique passionnante du monde de Huelva (ville maritime de l’Ouest andalou peuplée de gueules burinées par la vie de la mer) et un regard passionnant sur le métier de scaphandrier. Pour ce dernier, Rodriguez transforme chaque scène d’immersion sous-marine en des moments de tension extrêmes. Le bruit sourd sous l’eau, la vie qui n’y tient qu’à un câble, le danger d’un environnement hostile où l’homme ne devient qu’une petite masse fragile, Alberto Rodriguez parvient à saisir de manière très immersive la dangerosité et l’angoisse de ces moments angoissants, donnant à son film une dimension de thriller subaquatique terriblement stressant. La dimension de thriller naît sous l’eau dans ces scènes suffocantes avant de gagner la terre quand Rodriguez déploie une histoire, plus fictionnalisée, de trafic de drogue en haute mer. C’est probablement parce qu’elle n’est pas amenée comme un ressort narratif factice mais qu’elle jaillit du drame préalablement déployé que tout fonctionne aussi bien dans ce très réussi Los Tigres.

Riche et consistant dans son écriture élaborée et discrètement virtuose dans sa mise en scène peuplée de séquences marquantes, Los Tigres est un sacré morceau de cinéma dont le principal tour de force est de réussir son mariage entre l’œuvre d’auteur passionnante et le thriller de genre palpitant. Dans l’idée d’une rencontre entre Abyss et le drame social, le film d’Alberto Rodriguez ne cherche pas absolument à avoir un propos mais il rappelle pourquoi on aime le cinéma. Ou quand les aventures les plus captivantes prennent racine dans un réel tangible et universel. Le réel, c’est ce monde méconnu de Huelva, ville portuaire que le metteur en scène rend follement cinégénique… L’universel, ce sont les questions qui traînent dans le sillage des personnages scrutés par un formidable regard psychologique. Que devient-on si l’on ne peut plus faire ce pour quoi on est fait ? Comment réagir quand la vie nous écrase et qu’on est au pied du mur, quelles seront les conséquences si l’on se trompe dans ses choix ? Oui, Los Tigres est une petite claque qui interroge, qui observe, qui emballe et régale. Indéniable réussite à compter dans le bilan d’une année qu’ils bouclera (puisqu’il sort pendant les fêtes), ne passez pas à côté entre deux toasts de fois gras.
Par Nicolas Rieux