Nom : Sorcerer
Père : William Friedkin
Date de naissance : 1977
Majorité : 15 juillet 2015
Type : Ressortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h02 / Poids : 21 M$
Genre : Thriller, Aventure
Livret de famille : Roy Scheider (Jackie Scanlon / Juan Dominguez), Amidou (Kassem / Martinez), Bruno Cremer (Victor Manzon / Serrano), Francisco Rabal (Nilo), Ramon Bieri (Charles Corlette), Peter Capell (Lartigue), Joe Spinell (Marquez), Jean-Luc Bideau, Karl John (Pascal), Friedrich von Ledebur (Carlos)…
Signes particuliers : L’illustre William Friedkin réadapte le célèbre roman de Georges Arnaud Le Salaire de la Peur, déjà porté brillamment à l’écran par Clouzot en 1954. Résultat, une oeuvre maudite mais magistrale, qui ressort aujourd’hui sur grand écran. Voir également notre rencontre avec William Friedkin ici.
L’AUTRE CHEF D’OEUVRE QUE RÉALISA FRIEDKIN APRÈS L’EXORCISTE
LA CRITIQUE
Résumé : Quatre étrangers, dont trois hommes de nationalités différentes chacun recherché par la police de son pays, s’associent pour conduire un chargement de nitroglycérine à travers la jungle sud-américaine…L’INTRO :
Au lendemain de L’Exorciste, carton planétaire qui en a fait l’un des films d’épouvante les plus célèbres de tous les temps, William Friedkin n’a pas joué la carte de la précipitation pour s’attaquer à un nouveau projet. Le cinéaste a pris son temps, a mûrement réfléchi son choix, avant de jeter son dévolu sur le célèbre roman de George Arnaud, Le Salaire de la Peur, déjà adapté avec succès par Henri-George Clouzot en 1953. Friedkin considérait le film de son homologue français comme un chef d’œuvre, ce qu’il est au demeurant. Après avoir recherché l’approbation du maître du suspens français par simple courtoisie, William Friedkin s’est lancé dans une entreprise démente, avec pour ambition de faire quelque-chose de radicalement différent, animé d’une vision qui ferait de Sorcerer (alias Le Convoi de la Peur en français) une toute nouvelle œuvre et non une pâle copie américaine. Après une longue phase de casting qui aura amené le metteur en scène à contacter pas mal de grands noms tels que Paul Newman, Marcello Mastroianni ou Lino Ventura, c’est à Steve McQueen qu’il décida de confier le rôle. Mais les exigences de l’acteur non admises par le cinéaste (il voulait que sa femme Ali MacGraw ait un rôle prépondérant) le poussèrent à quitter le projet. Propulsé sur le devant de la scène par Les Dents de la Mer, Roy Scheider hérite du rôle, entouré de Amidou, Francisco Rabal et Bruno Cremer, dans un long-métrage au casting hétéroclite où l’on retrouve également Joe Spinell, Jean-Luc Bideau ou André Falcon. Ambitieux, Le Convoi de la Peur aurait dû être un succès malgré un tournage chaotique, entre les brouilles opposant Friedkin à son équipe ou la malaria qui a terrassé le plateau. Malheureusement, il fut un échec monumental, accentué par une campagne marketing désastreuse n’ayant pas su comment vendre le film au point de tabler sur un nonsensique « Après L’Exorciste…« , mais aussi par la sortie cette même année de 1977, du Star Wars de George Lucas. S’il est aujourd’hui un film culte, l’un des préférés de son auteur, grâce à l’explosion des vidéoclub dans les années 80 qui a permis aux cinéphiles de le (re)découvrir, Sorcerer n’en reste pas moins un projet fiévreux, malade, mais aussi brillant, apocalyptique et en bien des points, proprement hallucinant.L’AVIS :
Avec Le Convoi de la Peur, l’évidente intelligence de Friedkin est d’avoir su bâtir son entreprise sans jamais s’inscrire dans la volonté de remake du classique de Clouzot. Le cinéaste avait une vision nouvelle à proposer du roman de George Arnaud, s’écartant du seul film à suspens apnéique pour embrasser une œuvre totale à la fois intimiste, tragique, grandiloquente, juchée à cheval sur plusieurs registres, film d’action, thriller haletant, drame désespéré et même fantastique, Sorcerer flirtant parfois visuellement avec la lisière du cinéma de genre. A ce titre, William Friedkin ouvre son film sur une référence évidente à L’Exorciste (le totem représentant la figure démoniaque). Pourquoi un tel clin d’œil ? Simple trait gratuit d’un cinéaste prétentieux au point de s’auto-citer ? Non. En un plan d’ouverture iconique, Friedkin plante le décor. De quoi va parler Sorcerer ? D’une nouvelle lutte entre le Bien et le Mal. Sauf qu’il ne sera pas question de surnaturel cette fois, les premières scènes viendront fermement et immédiatement ancré le récit dans le réel. Le Bien est ici l’esprit de cohésion et de solidarité, et le Mal, l’égoïsme destructeur. Ces thématiques seront au cœur de ce voyage douloureux et jusqu’au-boutiste, sorte de « voyage au bout de l’enfer » comme le dirait Michael Cimino. Tragédie suprême et puissante, peignant avec désenchantement la beauté funeste d’un combat exténuant contre l’impossible, contre soi-même, contre la nature, contre le destin, il sera donc à nouveau question d’une lutte contre une menace rôdante, une lutte contre ses propres démons personnels, contre le destin aussi, dans un combat quasi-métaphysique aux confins de la folie où seul la force de la cohésion fédératrice pourra amener le salut. Passé ce plan introductif lourd de symbolisme autoréférentiel, Friedkin nous immerge alors dans une entreprise démente au gigantisme surréaliste, un long-métrage à la fois intense, épique, aliéné et aliénant, où les fulgurances les plus mégalomanes répondent aux intentions les plus folles, dans un chef d’œuvre emblématique (et symptomatique) d’un cinéma aujourd’hui disparu, celui d’une époque de liberté créatrice absolue, sans limites, allouée par les grands studios qui dépensaient sans compter, dans des projets fous et quasi-excentriques dirigés par ces artistes/cinéastes de la nouvelle vague hollywoodienne.Avec Sorcerer, William Friedkin étale tout son talent, toute sa cinéphilie, mais aussi toute sa folie figurative. À l’heure où l’on parle beaucoup des prouesses du dernier Mad Max tourné sans l’interventionnisme permanent du tout-numérique, redécouvrir Sorcerer et ses presque trente d’âge, est un bonheur extasiant où l’on est sans cesse saisi par les prouesses d’un tournage cinglé à la démesure foudroyante, où tout a été fait en réel, jusque les scènes les plus incroyables (celle du pont sous la tempête demeurera l’un des morceaux de bravoure les plus fabuleux du cinéma des années 70). De la précision du montage à la minutie permanente accordé au travail sur l’image et le son (Friedkin jouant beaucoup avec l’art des raccords), de la photographie et ses tons bleutés envoûtants à la sublime bande originale de Tangerine Dream, en passant par la qualité d’écriture d’un canevas à deux temps avec ses trente minutes préparatoires plantant solidement chaque personnage en leur accordant à chacun une histoire propre avant le déroulé de l’aventure, ou encore la démonstration générale que le metteur en scène fait d’un cinéma hypertrophié dans le sens noble du terme, Le Convoi de la Peur est un modèle de grand cinéma total affichant une maîtrise de tous les éléments artistiques. La bouleversante et fascinante performance hallucinée d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens et de son talent, au sommet de son art. Œuvre terriblement ironique, formidablement iconique, intense et dévastatrice, tour à tour robuste et fragile à l’image de ses personnages, Le Convoi de la Peur fait partie de ces moments clinquants symbolisant l’époque d’un cinéma capable de tout.
LA BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux