Mondociné

WE ARE WHAT WE ARE de Jim Mickle
Critique – Sortie DVD/Blu-ray

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Spectateurs

we are what we areMondo-mètre :
note 8.5 -10
Carte d’identité :
Nom : We are What We are
Père : Jim Mickle
Date de naissance : 2013
Majorité : 03 septembre 2014 (en DVD/Blu-ray)
Nationalité : USA
Taille : 1h33
Poids : Budget NC
Type : Drame, Épouvante

Livret de famille : Bill Sage (Mr Parker), Ambyr Childers (Iris Parker), Julia Garner (Rose Parker), Michael Parks (Dr Barrow), Kelly McGillis (Marge), Laurent Rejto (le curé), Kassie DePaiva (Emma Parker), Jack Gore (Rory Parker), Wyatt Russell (Anders)…

Signes particuliers : Une oeuvre bien plus monumentale qu’il n’y paraît, véritable consécration du cinéma de genre porté dans des hautes sphères où il sert une véritable intelligence de propos tout en arborant une plastique à se damner et un rythme à la fois lent, fascinant et envoûtant puis effréné, furieux, rageur. De sa construction très élaborée à sa photo somptueuse, en passant par des comédiens impressionnants, sa mise en scène léchée et élégante et sa BO prenante, We Are What We Are est l’un des grands chefs d’œuvre de l’année.

 

LA MAISON DES SECRETS

Résumé : Les Parker sont connus dans le village pour leur grande discrétion. Derrière les portes closes de leur maison, le patriarche, Franck, dirige sa famille avec rigueur et fermeté. Après le décès brutal de leur mère, Iris et Rose, les deux adolescentes Parker, vont devoir s’occuper de leur jeune frère Rory. Elles se retrouvent avec de nouvelles responsabilités et n’ont d’autre choix que de s’y soumettre, sous l’autorité écrasante de leur père, déterminé à perpétuer une coutume ancestrale à tout prix. Une tempête torrentielle s’abat sur la région, les fleuves débordent. Les autorités locales commencent à découvrir des indices qui les rapprochent du terrible secret des Parker…

21003191_20130503164731659.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxL’INTRO :

En 2010, le jeune mexicain Jorge Michel Grau (à ne pas confondre avec l’illustre ibérique auteur du Massacre des morts-vivants) réalisait Somos Lo Que Hay (aka We are what we are ou Ne Nous Jugez pas), un drame de genre traitant de cannibalisme qui s’est baladé en festival, notamment en compétition à Cannes où il concourait dans la Quinzaine des Réalisateurs. La même année, un jeune américain cette fois, Jim Mickle, signait le film qui allait vraiment le révéler après Mulberry Street, à savoir le vampirique Stake Land. Trois ans plus tard, leurs routes se croisent puisque le second remake le film du premier. Un choix étrange pour un Jim Mickle qui s’est souvent exprimé sur l’idiotie de la mode actuelle des remakes et à plus forte raison des films étrangers, visant par exemple Let me In, version yankee du splendide nordique Morse. Pourquoi en faire un à son tour ? Par opportunisme ? Non, pour plusieurs autres raisons. D’une part parce que la série B de Grau était très tournée vers le pur marché mexicain et d’autre part, parce qu’il était indéniablement perfectible et les thématiques qu’il effleurait du bout des doigts étaient suffisamment riches pour laisser place à un autre regard s’orientant vers d’autres voies. C’est de ce constat que Mickle a souhaité se lancer dans un remake intelligemment pensé, indépendant du film de Grau. Le résultat prouve qu’il avait raison. De Cannes à Deauville avant d’atterrir à L’Etrange Festival parisien, We are what we are aura fait couler beaucoup d’encre, a choqué même, pour son sujet comme pour son traitement.

21000726_20130423142247596.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxL’AVIS :

We are what we are prend place dans une petite ville américaine sur laquelle s’abattent des pluies torrentielles depuis plusieurs jours. Un cadre pesant, harassant, qui va sous-tendre l’incursion dans l’intimité de la famille Parker, qui vient de perdre sa figure maternelle décédée. Les circonstances, des indices qui remontent à la surface et les secrets de cette famille très discrète commenceront à remonter à la surface… Coproduit entre la France et les Etats-Unis, We are what we are marque la progression fabuleuse du cinéma de Jim Mickle qui ne cesse de gagner en qualité. La preuve aussi que le cinéma indépendant avec ses petits moyens est capable de délivrer des claques qui marquent autant les joues que les esprits. Mais outre un réalisateur à l’apogée de son art, We are what we are c’est aussi tout un casting dépeuplé en stars mais riche en révélations, joignant expérience rodée et jeunesse talentueuse. Il y a d’abord de solides tauliers, comme Michael Parks (une légende devenue un habitué du cinéma de Tarantino), Bill Sage (American Psycho) ou Kelly McGillis (Top Gun) et face à eux, de jeunes pousses absolument fabuleuses, le duo des sœurs Parker, Julie Garner et Ambyr Childers, en tête, incarnant fragilité et beauté enivrante. Autant comédiens tous plus parfaits dans leur rôle les uns que les autres. Oui, rien n’est laissé au hasard dans ce We are what we are qui a de grandes chances de rester comme l’un des films de l’année.

21003186_20130503164729737.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxFilm riche et complexe, l’œuvre accouchée par un Jim Mickle en état de grâce, valait bien cette incursion dans le maudit remake. We are what we are erre avec une justesse folle entre le drame psychologique, le thriller policier et le cinéma de genre, et c’est probablement l’exigence impressionnante avec laquelle il navigue entre tout ça qui le rend sans nul doute aussi glaçant que solide. Cette virtuosité narrative et sa syntaxe à trois branches, famille, police et flashbacks historiques, qui s’entremêlent dans une construction remarquablement ficelée dans son évolution, chaque portion et chaque angle nourrissant le (et les) suivant(s) dans un ensemble d’une maîtrise narrative et visuelle totale.

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We are what we are, c’est d’emblée une ambiance lourde, austère, incarnée, un suspens en apesanteur, une esthétique ultra-soignée, une impression de trouble menaçant permanent, d’étrangeté rôdant, tendant vers une atmosphère envoûtante et fascinante. Mais c’est surtout une œuvre magistrale bousculant un tabou terrifiant de nos sociétés occidentales en ce qu’il touche à un point culturellement et sociologiquement sensible, le cannibalisme, par une histoire s’immisçant derrière les rideaux et volets érigés en barricade d’auto-préservation de l’intimité d’une maisonnée, pour aller gratter le vernis de façade de la cellule familiale traditionnelle américaine ici déconstruite voire pulvérisée dans un mouvement opératique jouant du schéma de l’explosion des apparences pour dévoiler les troubles et sombres secrets de chacun, cimentant les symboles d’une unité familiale périlleuse. Cliniquement pesant, oppressant et tétanisant, We are what we are est une illustration grinçante et presque métaphorique de la tromperie des apparences masquant une intimité cachant ses poids et ses traumas derrière les façades des bâtisses, derrière les visages connus de tous, derrière la respectabilité en société. Le film détruit avec une violence sourde la cellule familiale américaine typique et dynamite les codes du cinéma de genre avec une progression d’une intelligence redoutable, s’appliquant à installer son ambiance singulière, inconfortable, préparant son explosion démentielle avec une minutie qui frise la maestria absolue. Et l’explosion sera furieuse, à la démesure de la retenue jusque-là affichée par le film, aussi visuellement douloureuse que sa première partie était d’une finesse impressionnante. La brutalité en est d’autant plus terrifiante et la densité de l’oeuvre viscérale, servie au passage par une technique démente, de sa splendide photo à sa superbe BO, se double d’une intensité qui confère au grand art.

We are what we are 6 - © 2013 We Are What We Are, LLC © Photos : Ryan Samul

We are what we are parle d’héritage, de croyance, de fanatisme, d’intégrisme conjugué à l’obscurantisme, de religion dogmatique, notamment quand elle se traîne de lourds préceptes et lois irrationnelles, touchant par exemple à l’alimentaire bordé de règles séculaires (le weekend narré est comme une représentation du jeûne ou du ramadan purificateur), avec un style et un ton sombre, parfois pessimiste et glauque, tout en essayant de comprendre, de décortiquer, d’analyser les schémas familiaux et la façon de reproduire ce que l’on a toujours connu et qui nous a été inculqué voire imposé, dans un récit initiatique nourri par la peur. Sans jugement dogmatique sur-appuyé mais privilégiant un discours déployé avec finesse en appelant à l’intelligence du spectateur plutôt qu’en lui surlignant au marqueur ce qu’il doit voir, interpréter ou comprendre, le film appose une délicate mais féroce mise en garde sur les dangers latents de la transmission forcée d’une mono-pensée étriquée et imposée, sur une superbe parabole du système des dominants et dominés via une autocratie familiale en péril alimentant l’oppression personnelle et la montée terrifiante de sentiments violents risquant le débordement et le dévorement intérieur et extérieur.

We are what we are 5 - © 2013 We Are What We Are, LLC © Photos : Ryan Samul

Mickle érige le genre au rang d’art en contournant les codes, les clichés et les mauvaises habitudes d’un cinéma se reproduisant lui-même sans vision, sans style, sans caractère ni personnalité. Avec ses personnages existant pour eux-mêmes et non pour représenter une fonction, sa progression ne cédant pas à la facilité de l’efficacité factuelle, son récit intelligemment amené et tordant le cou aux conventions faciles et aux schémas factices et usités, ses allures de conte de fée parasité vrillant vers l’horrifique et son discours bien plus politisé et engagé qu’il n’en a l’air, We are what we are est le symbole d’un genre utilisé magistralement au service d’un fond passionnant de maîtrise dans l’exploration de son sujet, nous entraînant sur de fausses pistes pour mieux nous amener vers son tout à la fois bouleversant, glaçant et en un sens philosophique. Mickle n’a pas changé. Il a juste muri et gagné en génie. Il signe un chef d’œuvre saisissant et envoûtant à la poésie macabre audacieuse, qui a des idées et des convictions à défendre mais qui est d’autant plus brillant qu’il les dessine sans les imposer. De l’horreur dessinant son riche univers en tissant une toile aux filins solides avec une intelligence qui n’a d’égale que son élégance dévastatrice mais dénuée de tout maniérisme prétentieux, tirant sa force dans l’antagonisme de sa simplicité complexe. Un grand film, puissant et ravageur, amoral et adulte, qui porte le genre tout en haut de sa pyramide, au-dessus d’un mainstream facile, quelque-part dans les hautes sphères de l’art dans toute sa splendeur.

Bande-annonce :

Par Nicolas Rieux

One thought on “WE ARE WHAT WE ARE de Jim Mickle
Critique – Sortie DVD/Blu-ray

  1. Un vrai chef d’œuvre ce film !! Une merveille !!
    Je suis content de l’avoir vu à Deauville et d’avoir eu un autographe sur le BR, le réalisateur est un pur genie !!

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