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LE DERNIER DUEL de Ridley Scott : la critique du film

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Spectateurs

Carte d’identité :

Nom : The Last Duel
Père : Ridley Scott
Date de naissance : 2020
Majorité : 13 octobre 2021
Type : sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h33 / Poids : NC
Genre : Historique

Livret de Famille : Matt DamonAdam DriverJodie Comer, Ben Affleck, Alex Lawther…

Signes particuliers : Entre aventure épique et drame engagé résonnant avec l’actualité, un grand Ridley Scott.

 

 

RIDLEY SCOTT, ETERNEL CINEASTE FEMINISTE

NOTRE AVIS SUR LE DERNIER DUEL

Synopsis : Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France – également nommé « Jugement de Dieu » – entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l’intelligence et l’éloquence font de lui l’un des nobles les plus admirés de la cour. Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris – une accusation que ce dernier récuse – elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L’épreuve de combat qui s’ensuit – un éprouvant duel à mort – place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.

On commençait à se demander si le vétéran Ridley Scott n’était pas un peu trop essoufflé pour voler encore très haut dans les sphères de son métier et s’il fallait encore en attendre de grands coups d’éclat. Dernièrement, Tout l’argent du monde était un semi-échec et Covenant un médiocre Alien. Mais voilà, 83 ans et encore toutes ses dents le papi Ridley. Malgré son âge, l’illustre cinéaste prouve qu’il en a encore sous le capot. Avec Le Dernier Duel, il en remontre même à toute une palanquée de p’tits jeunes qui ne pourront que s’incliner devant la leçon du maître. Sur un scénario coécrit par le duo Matt Damon/Ben Affleck avec le concours de Nicole Holofcener (All About Albert), Ridley Scott y raconte l’histoire de l’un des derniers duels judiciaires autorisés en France. C’était en 1386 sous le règne de Charles VI et a opposé Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, le premier ayant accusé le second -accessoirement son ami- d’avoir violé sa femme. A l’écran, ça nous donne Matt Damon face à Adam Driver, avec Jodie Comer (The Killing) au milieu.
On ne l’a franchement pas vu venir le mastodonte déchaîné de Ridley Scott. Le cinéaste fait un comeback tonitruant sur le devant de la scène avec une superproduction au souffle épique dans lequel beaucoup ont vu un reflet de Gladiator. Mais la comparaison entre les deux films n’ira pas très loin. Ce sont deux films historiques, Ridley Scott adopte une mise en scène nerveuse pour capter des scènes de guerre dantesques et puis c’est tout. Pour le reste, Le Dernier Duel est très différent, dans son écriture, dans sa structure, dans ses personnages, son propos et ce qu’il génère comme émotions.
Au cœur de la tempête Harvey Weinstein, les noms de Matt Damon et Ben Affleck ont été cités. Non pas qu’ils aient en quoi que ce soit participé activement aux horreur du producteur libidineux mais ils auraient été au courant, peut-être même un peu complaisants envers ses agissements. Ils s’en sont excusés à leur manière. Mais leur vrai Mea Culpa, on a l’impression qu’ils le sortent aujourd’hui avec le scénario du Dernier Duel, film ultra-féministe sur le viol, le consentement et le sens de l’acte et du terme. Certains parlent d’hypocrisie, d’autres d’un film « woke », on a lu des attaques virulentes parlant de « révisionnisme » et de « cancel culture ». Bêtises. D’autant plus avec Ridley Scott aux commandes, dont on ne découvre pas le penchant féministe aujourd’hui (ça fait juste 40 ans qu’il dure).
Ce qui est sûr, c’est que Le Dernier Duel est un film redoutablement construit. Certes, il n’est pas forcément d’une grande finesse une fois que l’on en a une vision d’ensemble, mais il est en revanche très malin dans la manière dont il va élaborer tant son histoire que son propos. Chapitré en actes, Le Dernier Duel offre à voir les points de vue des différents protagonistes d’une même histoire. Et la vérité des uns n’est pas forcément celle des autres. Il y a la version auto-flatteuse de Jean de Carrouges (Matt Damon), celle sur la défensive de Jacques Le Gris (Adam Driver) puis celle de la « victime » Dame Marguerite (Jodie Comer). Chaque acte va faire évoluer le récit, ou plutôt notre perception du récit, et des personnages qui l’animent. Et c’est ce qui permet au film de ne pas sombrer dans la redondance. Au contraire, les relectures sont comme des coups d’effaceurs sur une écriture au stylo plume. Il en reste des traces mais une nouvelle est couchée par-dessus et c’est dans les subtiles différences que les enjeux s’écrivent vraiment.
Mais si le propos résonne fort avec une actualité encore éprise de la vague #MeToo, Le Dernier Duel ne se résume pas à un film historique qui a su trouver un écho moderne dans l’ancien épisode qu’il raconte. Au-delà de cette première qualité indéniablement passionnante, il y a aussi le film en lui-même, et ce qu’il propose cinématographiquement parlant. A savoir un spectacle d’une intensité dingue, un spectacle très dense qui parvient à tresser tout un univers autour du fait divers précis qu’il évoque. Tour à tour spectaculaire, intime, épique, poignant, gerbant ou rocailleux, Le Dernier Duel est un film fleuve qui a un petit quelque chose de « total » dans sa manière d’introduire un monde, de s’y abandonner passionnément et d’en ressortir en laissant derrière des aventures, des personnages nuancés, des jugements arrêtés (ou non), des émotions fortes.
Mis en scène avec une virtuosité dont on ne pensait plus Ridley Scott capable, Le Dernier Duel a tout bon en tant que un grand spectacle hollywoodien à la fois efficace et intelligent, divertissant et interrogateur. Pour imager ce fantastique voyage médiéval dans l’horreur d’un temps plus patriarcal que jamais, des comédiens d’exception. Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer ou encore Ben Affleck, tous sont habités par leur partition et font preuve d’une immense subtilité car au gré des « vérités » (re)découvertes, leur jeu et leur manière d’appréhender leur personnage changent.

BANDE-ANNONCE :

Par Nicolas Rieux

6 thoughts on “LE DERNIER DUEL de Ridley Scott : la critique du film

  1. Un beau film a l’ambiance médiévale , période que j’apprécie particulièrement. Votre commentaire vient compléter très utilement la présentation du réalisateur que l’on a tendance. à prendre au premier degré si on ignore les détails de l’affaire et qui diffère effectivement des faits historiques . Votre ouvrage est idéalement tombé à pic pour donner les corrections nécessaires de la version cinéma. Merci pour votre article qui permet une analyse plus objective.
    Et votre livre est-il en circulation ?
    Rémy Brugnetti

  2. L’historienne que je suis ne peut pas laisser passer certaines inexactitudes qui, sur l’ensemble du scénario du film, donnent une fausse idée de la personne qu’était Jean de Carrouges : un preux et vaillant chevalier et non le rustre sanguinaire qu’on fait jouer par Matt Damon. Il était courtois prévenant et amoureux de sa femme pour l’honneur de laquelle il mit en jeu sa vie. N’est-ce pas la plus grande preuve d’amour, sachant la place de la femme au moyen-âge. Car c’est lui qui, découvrant ses hématomes, la poussa à se confier puis sans jamais douter de sa loyauté, mènera l’affaire en procès, envers et contre tous. En premier lieu, contre l’avis de sa mère qui, au conseil de famille, signalant qu’il n’y aurait pratiquement pas de dot à rendre, lui demanda de la répudier pour ne pas salir le nom des Carrouges et sauver son honneur de chevalier. Première mise au point : C’est au château fort de Nogent-le-Rotrou où se trouvait la cour du comte Charles d’Alençon, l’aîné, et de son petit frère Robert, (qui avait pratiquement l’âge de Jean) avec leur mère « Marie d’Espagne de La Cerda », que Jean de Carrouges et Jacques Le Gris firent leur apprentissage en tant que page puis écuyer. C’est seulement à la mort de Robert, comte du Perche, qui survînt en 1377 que Jean de Carrouges et Jacques Le Gris devinrent chambellan du frère cadet  » Pierre d’Alençon » (joué par Ben Affleck) qui lui, avait été élevé à la cour de France de Jean Le Bon, aux côtés de leur cousin le roi Charles V. Et c’est à partir de là que les misères commencent pour Jean. Ensuite, la scène du « Sac de Limoges». Cette bataille de Limoges, à laquelle le réalisateur fait participer Jean de Carrouges (de surcroit, au commandement alors qu’il n’était encore qu’écuyer), eu lieu en septembre 1370 alors qu’il était au service du comte Robert du Perche, qui, pour l’heure, servait aux côtés de Du Guesclin et du duc de Berry).Il le place en compagnie de Jacques Legris qui , en tant que membre du Clergé, n’a pratiquement pas mis les pieds sur un champ de bataille, leur préférant les combats d’escrimes et tournois en champs clos. Ce saccage n’est nullement le fait de Jean de Carrouges, ni même des troupes du Roi de France. (Voir l’ouvrage d’Alfred Leroux). Mise au point concernant le viol selon le témoignage de Marguerite au procès : La mère d’Adam Louvel habitait dans le même hameau, à deux pas du manoir de celle de Jean de Carrouges avec laquelle elle était amie. Si Marguerite ouvre à Adam, c’est parce qu’il lui dit venir rembourser une dette qu’il devait à Jean. En vérité, il fait entrer Le Gris et lui apporte son aide tout au long de son acte odieux durant lequel elle se débattit violemment, allant jusqu’à mettre un coup dans le nez de Le Gris qui s’esbaudit un instant. Elle tenta de tirer avantage de son étourdissement pour se réfugier dans la pièce attenante, mais Louvel la rattrapa puis la ligota aux montants du lit. Après quoi, elle fut bâillonnée par Le Gris qui enjoignit à son acolyte d’aller faire le guet. Concernant son amie Marie, c’était en fait, la demi-sœur de Marguerite, et elle n’a jamais témoigné contre elle, au procès. C’est une fantaisie du réalisateur pour mettre le doute sur l’intégrité de Marguerite. Concernant le complice : Adam Louvel était un ancien écuyer de Jean de Carrouges : au cours d’une expédition en Cotentin en 1376, il lui avait donné congé, sans solde pour s’être livré au commerce de femmes avec les troupes, et Jean était totalement opposé à ces pratiques indignes d’un aspirant chevalier. Lors du procès, il fut accusé de complicité de viol par les cousins de Marguerite : Guillaume de Thibouville et Thomin du Bois qui réclamèrent contre lui le même sort que Le Gris, en le défiant en duel judiciaire. La cour examina la requête et décida que les deux affaires seraient jugées ensemble et donc que leur vie comme celle de leur cousine, serait tributaire du résultat du duel. Suite au verdict du jugement de dieu par le duel, Adam Louvel fut donc pendu au gibet de Montfaucon avec Legris.
    Concernant le petit Robert, Marguerite avait déjà accouché lors de la dernière séance du procès à la mi-septembre, ce qui date la conception à la mi-décembre précédente. L’enfant n’était donc pas le fruit du viol (qui eu lieu le 18 janvier) surtout que c’était un beau bébé (contrairement à celui du roi Charles VI et d’Isabeau de Bavière, né le même jour et qui décéda le jour du massacre des saints innocents donc la vieille du duel). Jean et Marguerite eurent deux autres enfants : Jean et Thomas (tous trois furent de vaillants chevaliers, ayant donné leur vie pour bouter les anglais hors de France. Jean et Thomas sont cités, en 1411, à la tête des hommes d’armes en charge de la défense de la grande Abbaye de Ste Barbe en Auge, toute proche du manoir de Capomesnil ; Jean fit partie des 119 vaillants chevaliers qui assurèrent la défense du mont St Michel mais il décédera le 17 août 1424 lors de la cuisante bataille de Verneuil. Thomas périt lors de la défense du grand port d’Honfleur en 1417 (Le Havre n’existait pas encore). Robert, insoumis à la régence anglaise, avait très tôt organisé une troupe insurrectionnelle qui menait une guerre de partisans dans toute la Normandie. C’était une sorte de « Robin des Bois ». Du coup, le Roi d’Angleterre adressa  » aux vicomtes d’Argentan et d’Exmes, Alençon et Domfront  » des lettres portant interdiction formelle à toutes gens  » sous peine de la hart » d’aller, ou de se rendre « en compagnie et assemblée du Sire Robert de Carrouges, ne luy assistast ou favorisat à faire entreprise quelquonque ». Dans la Chronique de Perceval de Cagny, il est cité aux côtés de Jeanne La Pucelle, lors du sacre du roi Charles VII à Reims.
    Mary COUSIN auteur de « Manus Deï, l’épée du Seigneur de Carrouges »

    1. Merci bcp pour ces infos, encore une fois une histoire dite « vrai » vient à être modifié pour rendre le scénario plus à la sauce de notre temps, j’avais un doute et votre commentaire vient l’éclaircir,merci.

    2. Merci pour toutes cette éclairage historique qui donnent un nouveau regard sur les faits. La liberté que prend Ridley Scott avec l’Histoire n’enlève toutefois en rien à la qualité du film.

    3. Merci infiniment pour ces informations passionnantes, j’ai adoré le film mais il me semblait bien qu’il y avait quelques libertés prises par Scott.. je ne m’attendais pas à ce qu’il y en ait autant ! Bref on voit que vous n’avez pas fait 6 ans de recherche historique pour rien, c’est bluffant merci encore !

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