Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Blue Jasmine
Père : Woody Allen
Livret de famille : Cate Blanchett (Jasmine), Alec Baldwin (Hal), Sally Hawskins (Ginger), Peter Sarsgaard (Dwight), Louis C.K. (Al), Bobby Cannavale (Chili), Andrew Dice Clay (Augie), Michael Stuhlbarg (Dr Flicker)…
Date de naissance : 2012
Majorité au : 25 septembre 2013 (en salles)
Nationalité : USA
Taille : 1h38
Poids : Budget NC
Signes particuliers (+) : Un personnage central magnifiquement élaboré, interprété par une actrice au sommet de son art.
Signes particuliers (-) : Revers de la médaille, ce personnage si puissant et brillamment écrit étouffe le film et en phagocyte la narration au point que derrière lui, Blue Jasmine n’est plus si ce n’est facilités. Le brio de son rôle féminin magistral n’en devient qu’un trompe l’oeil autour duquel le film tourne en rond. Parce que c’est Woody Allen, l’effort garde une certaine qualité mais il tend sans cesse à montrer ce que ce Blue Jasmine aurait pu être et n’est jamais vraiment.
100% JASMINE
Résumé : Jasmine était une dame de la haute, mariée à un riche homme d’affaire, entourée d’amis fortunés, vivant dans les mondanités et le luxe. Lorsque son mari Hal se révèle être un escroc et part en prison, c’est tout son monde qui se délite et s’effondre. Jasmine perd tout et vient donc trouver refuge chez sa soeur, caissière de supermarché vivant dans un petit appartement à Brooklyn, espérant se relancer alors qu’elle sombre dans la dépression…
Pour son nouveau rendez-vous annuel, Woody Allen laisse la place devant la caméra et ne s’agitera donc que derrière, aux commandes d’un drame seulement teinté d’accents comiques, porté quasiment entièrement sur ses épaules, par une Cate Blanchett qui se fait déjà remarquer dans la course à l’Oscar avec cette fébrile et déboussolante prestation d’élégante quadragénaire sombrant dans la dépression après le délitement de toute sa vie et son univers. Un nouveau portrait de femme donc pour Woody Allen, grand spécialiste de la chose, où il s’est illustré à de nombreuses reprises au cours d’une longue carrière régulièrement ponctuée en sublimes personnages féminins. Et au passage, un retour à la maison après sa longue tournée européenne, puisque le cinéaste revient sur le sol américain, mais pas à New York comme on pouvait l’y attendre, mais du côté de San Francisco, ville de l’autre côte où il n’avait jamais tourné auparavant. A son niveau, Blue Jasmine a été un joli succès aux Etats-Unis, l’un des plus significatif de la carrière de l’auteur new-yorkais. Mais ce n’est certainement pas là l’essentiel. A 77 ans, un punch impressionnant, un rythme toujours aussi prolifique et une sacrée filmographie, Woody Allen aurait signé un chef d’oeuvre avec cette histoire dramatique riche en émotion où sa belle comédienne interprète Jeanette alias Jasmine (car ça fait plus sophistiqué), une lady de la haute qui perd tout du jour au lendemain lorsque son riche mari (Alec Baldwin) s’avère être un escroc et part en prison. Tout son monde s’écroule brutalement entrainant l’opprobre sur son nom dans sa chute où se précipitent ses journées shopping sur Madison Avenue, ses déjeuners dans des restaurants de luxe, leur bel et spacieux appartement, les réceptions, les bijoux, les beaux vêtements, la maison de campagne… Ruinée, meurtrie, elle n’a d’autre option que de débarquer chez sa sœur (Sally Hawkins), son opposé social, une caissière de supermarché vivant modestement dans un petit appartement de Brooklyn. Mais la dégringolade ne sera pas que d’ordre social, Jasmine devient surtout dépressive et instable et traîne sa douleur derrière elle, comme un poids qu’elle essaie de ne pas considérer sans que cela soit malheureusement possible.
On se doutait bien qu’avec un tel récit, Woody Allen n’allait pas se contenter de signer un drame lacrymal calibré pour les Oscars (quoique son interprète y fera sans doute bonne figure) et sur-exagérant sans cesse son misérabilisme pour faire pleurer dans les chaumières en surjouant la carte de l’empathie compatissante. Le cinéaste a toujours eu en lui ce savoir-faire unique pour tirer de ces situations tragiques et à la limite du pathétique, des envolées d’humour caustique via une féroce contemplation d’un milieu social qu’il égratigne non sans doux cynisme, drôlerie et sens de la fable gracieuse entremêlant désenchantement amer et luminosité touchante. Précédé d’un cortège de louanges le plaçant non seulement au sommet des récents travaux de Woody Allen mais également dans le top de son entière filmographie, Blue Jasmine était chèrement vendu et la déception n’en est que plus cruelle, la descente du spectateur se joignant finalement à celle du personnage.
Sur fond de crise économique, de fragilité de l’équilibre personnel et social de l’existence et d’antagonisme entre le monde de la haute et les classes moyennes de la petite Amérique, Woody Allen brosse un délicat portrait de femme plein de sensibilité et d’émotion qui va rapidement tourner au délicieux numéro d’actrice via une Cate Blanchett qu’il faut reconnaître éblouissante. La comédienne se met émotionnellement à nue pour le cinéaste et trouve grâce à lui, l’un des plus beaux rôles de sa carrière avec celui de Jasmine, qu’elle magnifie littéralement à l’écran. Femme ruinée, femme paumée, femme humiliée, femme mythomane mais aussi femme déséquilibrée perdant progressivement son ancrage dans le monde avec sa brutale descente aux enfers, femme tour à tour touchante, agaçante, cynique, drôle, émouvante, pédante ou méprisante, mais aussi innocente, inconséquente et au désarroi insondable, Jasmine est un personnage en or massif concocté par un Woody Allen des grands soirs, fin artiste funambule de l’écriture qui parvient à la rendre si attachante malgré sa ribambelle de défauts qui auraient pu la condamner sous la direction d’un autre. Mais c’est peut-être bien là aussi le problème de Blue Jasmine finalement. Son héroïne bouleversante incarnée par une comédienne étincelante et prodigieuse, apparaît quelque part comme l’arbre qui masque la forêt d’un film qui est tout sauf une irréfutable et implacable réussite du misanthrope new-yorkais. Si Blue Jasmine paraît si brillant en façade, c’est essentiellement pour la prestation de Cate Blanchett qui incarne à merveille un personnage brillamment écrit et défini par l’auteur dans sa caractérisation, si puissant qu’il en devient en résultante, le seul argument de vente d’une œuvre mono-centrée à l’excès et ne cherchant jamais à animer sa toile de fond part comparaison d’une grande fadeur. Blue Jasmine se repose quasi-uniquement sur son portrait de femme qui soutient chaque ligne du scénario, mais ce dernier ne suffit pas à alimenter et faire vivre le film tout entier qui tourne jalousement en rond dans l’attraction gravitationnelle de cet axe unique aimantant, Jasmine devenant le sujet et la toile de fond dans le même temps, étouffant un script auquel elle ne laisse aucune liberté, aucune échappatoire, aucune possibilité d’ouverture au point d’en contrarier l’évolution qui par ailleurs laisse perplexe, la trajectoire de l’héroïne faisant du surplace sur toute la durée d’une œuvre bien plus poussive qu’il n’y paraît par la merveille d’écriture de son idée unique. Et le film de se reposer sur son seul coup de maître sans chercher à le transcender. Derrière, un discours aussi archétypal que réducteur sur l’opposition entre riches méprisants et prolos généreux, façonné de clichés à la truelle et multipliant facilités, clichés et redondances alors que le metteur en scène ne fait finalement que discrètement recycler quantité d’éléments de ses précédents travaux en cachant son manque d’inspiration derrière sa seule réussite mise en avant comme paratonnerre. Un grand Woody Allen ? Oui et non du coup. On sait le cinéaste suffisamment doué pour faire évoluer un personnage très fort dans un univers qui le serait tout autant sans qu’il asphyxie l’équilibre de ensemble, de même qu’on le sait suffisamment talentueux pour faire reposer tout un film sur un rôle central phare officiant comme pierre angulaire d’une oeuvre toute entière. Sauf qu’ici, le metteur en scène est schizophrène dans son travail, d’où la gaucherie d’un résultat imprécis et emprunté. Blue Jasmine souffre d’un déséquilibre narratif et de construction avec son recours à un personnage définitif et omniprésent tirant vers lui toutes les ramifications du film mais dans le même temps, associé à une galerie de personnages de fond maladroitement déployée dans son animation, avec une succession de figures secondaires survolées et sans épaisseur.
Cruel, sombre mais aussi acerbe et satirique, Blue Jasmine est autre. Loin d’une traditionnelle comédie dramatique, ce nouvel exercice de Woody Allen n’est pas un échec et recèle quelques qualités prenant la parole pour lui, pour au moins s’efforcer de lui faire tenir la route et par à-coups d’impressionner par sa subtilité et sa relative intelligence. Mais le génie est aussi absent que l’émotion d’une œuvre globalement bancale, extrêmement mesquine et bien plus limitée dans ses contours qu’elle n’y paraît. Car au fond, sans cette bouleversante Jasmine, que reste t-il ? Pas grand-chose. Un film entièrement phagocyté par sa seule valeur ayant la lourde responsabilité de maintenir en équilibre précaire une œuvre tout entière et un mélange des tons entre humour et drame qui manque d’adresse, moins judicieux qu’à l’accoutumée, plaçant le spectateur dans une position idéologique et un état d’esprit très inconfortable vis-à-vis d’un film qui en vient à devenir tout aussi agaçant de paresse que son personnage. Si l’on ne savait pas pertinemment de quoi est capable le metteur en scène, on pourrait être tenté de porter aux nues ce dernier effort. Mais en l’occurrence, on le sait suffisamment talentueux pour faire mieux qu’un film cachant sa fainéantise derrière un tour de force censé se suffire à lui-même pour faire un chef d’œuvre. Non, Blue Jasmine laisse sur un sentiment étrange, celui d’entrevoir ce que le film aurait pu être et qu’il n’est pas.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux