Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : En Solitaire
Père : Christophe Offenstein
Livret de famille : François Cluzet (Yann Kermadec), Guillaume Canet (Franck), Virginie Efira (Marie), Jean-Paul Rouve (Denis Juhel), Samy Seghir (Mano Ixa), Karine Vanasse (Mag), Guillaume Nicloux (directeur de course)…
Date de naissance : 2013
Majorité au : 06 novembre 2013
Nationalité : USA
Taille : 1h36
Poids : 17 millions €
Signes particuliers (+) : Dans cette double aventure, épique et humaine, le portrait de ce skipper en mer lancé dans l’une des plus exigeantes compétitions du monde, est impressionnant de force et de réalisme âpre et tendu. L’option audacieuse d’avoir tourné en milieu naturel en lieu et place d’un studio, s’avère payante pour Offenstein, qui signe un film incroyablement immersif et d’une grande minutie, pas loin de la justesse d’un documentaire pris sur le vif.
Signes particuliers (-) : En Solitaire se révèle finalement meilleur dans son prétexte (l’aventure physique) que dans ses motifs réels (l’aventure humaine et le message de solidarité humaniste). Si la partie consacrée à la course et à tout ce qu’elle implique est impressionnante dans son rendu plein de caractère, l’histoire dramatique qui vient s’y greffer est plus faible, marquée par une écriture plus facile et didactique et un grand manque de profondeur qui tue autant l’émotion que la qualité du film elle-même.
UN TOUR DU MONDE PAS COMME LES AUTRES
Résumé : Yann Kermadec voit son rêve se réaliser lorsqu’il remplace au pied levé, son beau-frère Franck Drevil, au départ de la course du Vendée Globe, le tour du monde à la voile en solitaire sans escale ni assistance. Habité par une farouche volonté de gagner et alors qu’il est en pleine course, la découverte à son bord d’un jeune passager va tout remettre en cause…
Ce qui est bien avec François Cluzet, c’est que vous pouvez le mettre n’importe où, dans n’importe quel rôle et dans n’importe quelle situation, on y croit toujours. Avec son physique finalement passepartout et son jeu tout en simplicité et en naturel, le comédien est crédible en quasiment tout, qu’il soit banquier, boucher, flic ou braqueur de banque. Alors pourquoi pas en skipper lancé dans la bataille du Vendée Globe, le fameux tour du monde à la voile et en solitaire, sans assistance et sans escale ?
En Solitaire, c’est d’ailleurs le titre de ce premier effort de réalisation de long-métrage du chevronné chef opérateur Christophe Offenstein. Et pour le coup, le débutant à la mise en scène (mais à la longue expérience des tournages) n’a pas choisi la facilité en s’embarquant à bord d’un voilier pour plusieurs semaines de tournage éprouvantes, dans des conditions difficiles, et avec une petite équipe restreinte devant relever des défis complexes comme un tournage en espace exigu et arpenté. Il aurait pu pourtant prendre ses quartiers dans un confortable studio, avoir recours aux dernières technologies de simulation et aux effets spéciaux ou autres trucages, mais non. Dans un souci de réalisme sec de l’aventure narrée, le cinéaste a préféré opter pour la solution la plus ardue dans le travail mais certainement la plus payante dans le résultat proposé, nous entraînant en plein milieu de l’une des plus difficiles et des plus prestigieuses courses à la voile du monde, pour une aventure doublée d’une rencontre, celle d’un marin totalement dévoué à sa compétition et d’un jeune clandestin mauritanien embarqué secrètement en espérant regagner ainsi la France. Outre François Cluzet qui porte littéralement le film sur ses solides épaules de comédien respecté et très apprécié des français, Offenstein est allé toquer aux portes de plusieurs stars françaises avec lesquelles il a eu l’occasion de travailler lors de sa carrière de chef op. Guillaume Canet (dont il est un des fidèles de ses tournages) mais aussi Jean-Paul Rouve (pour lequel il a éclairé Sans arme, ni haine, ni violence) ou encore Virgnie Effira, Samy Seghir (Neuilly sa Mère) incarnant quant à lui le jeune « invité » de fortune, survivant du monde cherchant encore à survivre dans la vie. Et voilà un casting béton soutenant un script fort, longuement mûri et écrit, avec à la clé un film se donnant les moyens de ses ambitions tant dans le travail accompli que dans le recours à quelques technologies de pointes comme le révolutionnaire Dolby Atmos.
Film d’aventure rageur et intense accrochant férocement ses dents au ponton d’un voilier lancé dans la folie humaine et sportive du mythique Vendée Globe, En Solitaire se veut avant toute chose, le récit d’une autre aventure se jouant sur un terrain parallèle, celui de l’émotion et de l’engagement dans une cause. Une « cause ». Un mot à double-sens qui cristallise à lui seul, toutes les trajectoires de En Solitaire. La cause d’un skipper qui veut aller au bout et gagner et la cause d’un film engagé dans un message et un discours. Plus qu’une simple aventure en forme de défi physique, En Solitaire est une rencontre humaine pleine de tendresse entre ce jeune mauritanien clandestin et ce skipper breton abandonné avec ivresse à son obsessionnelle compétition rêvée, dans un récit serré, dense et épique, qui va se laisser nuancer par cette jolie leçon d’apprentissage et d’apprivoisement entre deux héros, chacun à leur manière, qui vont entrer en contact de façon improbable et fortuite avant de tisser un lien qui va leur permettre d’en apprendre et sur la vie et finalement sur eux-mêmes, au cours de ce gigantesque voyage impressionnant. Comme le bateau navigue et tangue entre les eaux, le film de Offenstein navigue lui entre les genres, tour à tour film d’aventure immersif nous plongeant corps et âme sur ce bateau balloté par les vagues et les mers dangereuses puis drame touchant, teinté de discrètes notes d’humour relâchant une atmosphère stressante. De l’action aux sentiments en passant par un discours parabolique touchant qui recouvre l’exercice pour essayer de le soutenir tel un chapiteau, la recette classique et efficace de En Solitaire a souvent fait ses preuves. Offenstein le sait et s’applique alors à essayer de lui conférer un « plus » venant renforcer la sincérité et l’exigence de son projet. Sa valeur ajoutée sera double, à la fois le courage d’un tournage en milieu naturel renforçant terriblement la crédibilité de l’histoire et cette histoire elle-même, cette course autour du monde tournée avec bravoure et injectant au film de la personnalité et du caractère avec ces choix de réalisme foudroyant et âpre dans la retranscription de ce dressement frontal contre les forces terrifiantes de la nature.
Si le film, construit en deux temps, finit par mettre l’aventure humaine au premier plan, chose logique dans sa démarche vite cernée de l’odyssée finalement prétexte à une belle ode pleine d’humanisme, ce qui séduit le plus au demeurant dans cette virée en mer mouvementée, c’est « le plus » en question, le portrait de ce skipper campé par François Cluzet, engagé dans l’une des plus difficiles et retorses épreuves sportives au monde. Minutieux, détaillé, authentique, fort, En Solitaire est un portrait viscéral de l’exigence physique, morale et mentale de la compétition qu’est le Vendée Globe et tout ce qu’il implique de condition et de résistance, de dépassement de soi, de petites joies s’opposant aux terribles moments de peur et de doute, de danger mais aussi de beauté et d’abandon dans l’immensité des vastes mers et océans redoutables… La solitude, la fatigue, le froid, la faim, le stress, la peur, le manque émotionnel et affectif, le cinéaste cerne à la perfection un quotidien extrême et réussit avec beaucoup de solidité à nous faire vivre une fraction de ce que peut être ce genre d’épreuve tendant vers le tour de force surhumain. Sans conteste, de ce côté là, En Solitaire est impeccable d’efficacité et de crédibilité presque documentarisée. De là à dire ensuite que le film est parfait, il y a un fossé que nous ne franchirons pas car En Solitaire n’est pas ce seul récit d’aventure aiguisé. Il est avant tout autre chose et c’est ce autre chose sont problème.
Offenstein épate voire impressionne sur pas mal de points, généralement tous ceux renvoyant directement ou indirectement à la course, que ce soit son quotidien parfois très animé, parfois routinier, mais toujours épuisant, la psychologie de ces loups des mers confrontés à la solitude, à l’appréhension et au devoir permanent de vigilance dont leur vie dépend, l’intensité des sentiments qui les motivent et les animent, ou encore la galerie des personnages animant l’arrière-toile du récit, pour la plupart étoffés et avec leur propre petite histoire personnelle crédibilisant leur gravitation autour du personnage central, là où la superficialité aurait pu être un récif facile pour abîmer l’embarcation risquée qu’est ce projet très ambitieux dans l’âme. Cette partie du film est une indéniable réussite bluffante, pas loin d’un effet documentaire tant le travail fourni dans la compréhension des mécanismes en jeu et de ses acteurs de cette épreuve, résonne d’une formidable puissance et d’un pouvoir hypnotique dans sa faculté à nous placer à même le bateau pour vivre l’expérience, comme si les vagues incessantes venaient nous éclabousser le visage jusque sur notre fauteuil de cinéma. Mais là où le bas blesse, c’est que la véritable finalité du propos et la véritable raison d’être du film, ne sont pas celles-ci mais celles entamées après son virage narratif qui intervient à mi-parcours pour recouvrir cette aventure périlleuse et permettre au film d’embrasser ses réelles aspirations et thématiques vissées aux fondations de l’histoire. Des aspirations qui, malheureusement, se révèlent alors moins adroites et pas ce qui sera le mieux traité au final dans un film à deux têtes et deux visages, tantôt brillant, tantôt réduit à une écriture plus lapidaire et classique, moins carnassière et cédant notamment à une forme de facilité et de conventionnalisme trop simple pour convaincre, atténuant de fait l’impact de l’effort oppressant.
Si la caractérisation des personnages est solidement plantée tant que le film se concentre sur l’univers de la course en elle-même, elle ne parvient pas en revanche, sur la distance, à les empêcher de tomber dans une forme de schématisme lorsque les enjeux finissent par être posés et se dessiner. Les figures tendent alors à se résumer à leurs fonctions dans le drame, au fur et à mesure que le discours imposant commence à devenir plus une chape de plomb qu’une force motrice pour l’histoire par ses nombreuses carences et maladresses. On se rend alors rapidement compte que l’on préférait le prétexte aux motifs réellement visés, la toile de fond au véritable sujet, ce qui est un peu dommageable pour un film cherchant avant tout à défendre une cause dans laquelle il se sent généreusement investi. En Solitaire est meilleur film d’aventure qu’il n’est drame, un solide film plein de grandeur d’un côté contre un effort plus mineur et trop conventionnel de l’autre. Christophe Offenstein est passé pas loin de l’exploit avec cette première réalisation dont les 30 premières minutes ont de quoi impressionner en tension et en authenticité grâce à sa mise en scène courageuse. L’introduction de « l’élément narratif parasitaire » vient d’abord intelligemment bouleverser le récit et conférer au film de nouveaux enjeux en vu d’une seconde impulsion déviant de l’unique cap originel pour le doubler d’un engagement fort sur un terrain humain porteur de message. Sauf que c’est à partir de là qu’En Solitaire perd de sa qualité en abandonnant sa concision brute pour s’emmêler les pinceaux dans une histoire manquant de profondeur et de qualité, restant ironiquement, très terre-à-terre pour un film se déroulant « en mer ». Là où un Philippe Lioret avec le très intelligent Welcome, avait su donner beaucoup de force et de puissance bouleversante à son histoire dramatique questionnant des thématiques quasi-identiques sur l’entraide, la découverte d’autrui et l’immigration, Christophe Offenstein rate le coche en s’aventurant sur le terrain de l’émotion sans réussir à marier justement ses deux récits évoluant désormais conjointement.
Au final, on est clairement invité à suivre Christophe Offenstein à l’avenir car le bonhomme a du talent en tant que réalisateur, c’est indéniable. En Solitaire est un premier effort qui affiche une certaine solidité par moments, mais aussi une oeuvre bicéphale, une sorte de Docteur Jekyll et Mister Hyde cinématographique, affichant beaucoup de maîtrise et de hargne sous son meilleur visage, autant qu’il n’est plus maladroit et conventionnel dans l’autre. Du très bon, solide, immersif et caractériel, au sympathique, léger, mineur et plus anecdotique, l’ensemble est disparate et pas d’égale teneur. Tristement pour lui au vu de ce qu’ambitionnait le film, la qualité de ses points positifs quant à la forme marque davantage les mémoires que son fond lardés de déficiences, le poussant à rentrer dans le rang d’une production se laissant dériver de son cap accrocheur par les appels des courants forts d’un mélodramatique abordé sans ni finesse ni dimension, ôtant au film l’intelligence qui aurait pu étreindre sa belle histoire. De facilités un peu trop simplistes à une impression de caricature facile, En solitaire ne pouvait convaincre pleinement avec autant de désinvolture dans le déploiement de son discours humaniste ancré dans une histoire trop creuse et bâtie sur des commodités où l’exigence de l’aventure ne trouve pas d’équivalence dans la partie dramatique qui lui est adjointe, manquant un peu de perspective et de relief. Finalement, d’un film cherchant à déployer un message humaniste pris à prendre à bras le corps, on retient surtout la prouesse technique d’un tournage extrême nous offrant un portrait à couper le souffle d’une aventure impressionnante de difficulté. Sauf que ce n’était pas censé être là le principal.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux