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Nom : Vortex
Père : Gaspar Noé
Date de naissance : 2022
Majorité : 13 avril 2022
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 2h22 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de Famille : Françoise Lebrun, Dario Argento, Alex Lutz…
Signes particuliers : IMMENSE !
Synopsis : La vie est une courte fête qui sera vite oubliée.
DU (TRES) GRAND GASPAR NOE
NOTRE AVIS SUR VORTEX
Le cinéma de Gaspar Noé est clivant. Rien de neuf dans ce constat établi. Vortex, son gros dernier (2h22 quand même) ne dérogera pas à cette règle applicable de Seul Contre Tous à Lux Aeterna en passant par Irréversible, Love ou Climax. Comme toujours, le cinéaste choisit un parti pris radical. Comme toujours, il se confronte à un sujet dur, comme toujours il aiguille le spectateur vers un fossé d’inconfort. Porté par Françoise Lebrun (la Veronika de La Maman et la Putain) et le réalisateur italien Dario Argento (reconverti acteur) avec le concours d’Alex Lutz, Vortex filme les derniers jours d’un couple âgé dont l’épouse est atteinte d’Alzheimer. Et nous voilà happés dans un vortex de douleur…
Sur Enter the Void, Gaspar Noé testait la frénésie artistique avec un trip sensoriel hyperactif. Sur Vortex, il teste le temps réel au rythme lent d’un couple âgé. Deux extrêmes pour une même intention, Gaspar Noé aime diverger, expérimenter, faire bouger les limites du cinéma quitte à faire frotter les plaques tectoniques des conventions. Par-dessus tout, il aime provoquer les codes, travailler le langage autrement et pousser le spectateur dans ses retranchements. Par gratuité pour ses éternels détracteurs. Mais si le reproche peut déjà être discutable en temps normal, il l’est encore plus sur Vortex.
Parce que Noé ne fait jamais rien comme tout le monde (sinon ça ne serait pas drôle), Vortex est filmé d’un bout à l’autre en split screen. Deux cadres à suivre, le premier sur Lui, le second sur Elle. Deux cadres qui symbolisent deux mondes, qui symbolisent la séparation, entre eux, entre le réel et l’ailleurs, entre le rationnel et la folie, entre la présence et l’absence, entre la lucidité et la démence… Et parfois, ils se croisent, se chevauchent, se confondent, se complètent ou s’opposent. Dans l’opposition, ils montrent un couple divisé par un fossé. Lui est un historien et théoricien du cinéma qui a encore toutes ses facultés mentales et ses capacités à réfléchir sur son art alors qu’il est en préparation d’un ouvrage sur les liens entre le septième art et les rêves. Elle, enfermée dans son cadre comme dans sa maladie, tourne en rond en ayant perdu le sens du réel. L’artifice du split est métaphorique, constamment au service d’un regard très intelligent sur son sujet. Ils symbolisent cet état de deux personnages qui n’ont plus la même existence et qui n’évoluent plus dans la même existence. Chacun a la sienne et c’est ce qui rend l’entreprise d’autant plus déchirante. Car « Et la tendresse ? Bordel ! » comme disait Patrick Schulmann. Elle s’incarne dans ce qui vient conférer toute son émotion au film. Vortex a beau s’adosser sur un sujet extrêmement lourd (pour ne pas dire plombant) qui ne présage en rien une soirée placée sous le signe de la joie et de la légèreté, il n’est jamais un drame pesant se délectant d’une tragédie déprimante. Vortex est surtout, et avant tout, une bouleversante histoire d’amour sur un couple qui va s’aimer jusqu’au bout. Film sur la vieillesse plus que sur l’angoisse de la fin malgré cette petite note de désemparement face à l’inéluctabilité de la destination, Vortex s’applique à éclairer ses ténèbres par la beauté de la relation qui unit ses deux protagonistes. Lui qui s’occupe d’elle jusqu’au bout, Elle qui voit en lui son phare. L’amoureux du « sombre » qu’est Gaspar Noé ne s’adonne pas au plaisir du macabre gratuit. Au contraire, selon comment on l’aborde, il signe ce qui pourrait être perçu comme son film le plus lumineux, et à coup sûr le plus poétique (quelle fin absolument splendide !). Ce que l’on retient avant tout de cette ode dédiée à « tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le cœur », c’est la puissance de ce couple ensemble à la vie à la mort. En un sens, c’est ironiquement en parlant de la mort que Noé rend hommage à la vie.
Le plus fascinant dans l’histoire, c’est que malgré son parti pris radical du réalisme brut avec cet enchaînement de scènes filmées selon la lenteur du temps réel et ce split qui suit par deux fois la banalité des gestes du quotidien, il n’y a pas un plan, un mouvement, une action, un geste, un dialogue qui n’ait pas quelque chose d’important et/ou d’intéressant à montrer. Que devient un personnage qui sort du cadre dans une mise en scène classique ? Noé nous l’offre à voir. Personne ne sort jamais de l’image, du récit, de l’histoire. Car la véritable réalité n’est pas ce qu’il se passe à gauche ou à droite du rectangle cinématographique, c’est « l’addition de ces deux cadres » explique le cinéaste. Sur ce mode filmique exigeant, la durée de 2h22 peut paraître longue. Elle le sera parfois dans le ressenti. Mais elle est essentielle car elle symbolise aussi la lenteur que produit la dégénérescence tant physique que psychique, elle symbolise ce quotidien que l’on scrute avec empathie et autoréflexion sur soi-même.
Porté par deux fabuleux comédiens (notamment une Françoise Lebrun exceptionnelle de crédibilité) filmés par un cinéaste au sommet de son anticonformisme, Vortex n’a rien d’un coup d’épée dans l’eau. C’est l’un des plus beau film de cette année. Oui, le sujet est dur. Non, Gaspar Noé n’en allège pas la teneur en faisant du « cinéma » embellissant, histoire de ne pas trop nous plomber. Mais ce qu’il fait, ce qu’il questionne, ce qu’il montre avec une épure dénuée de tout sentimentalisme fabriqué, il le fait avec infiniment plus de pudeur qu’un Michael Haneke sur Amour par exemple, auquel on pense d’instinct. Par essence, Vortex est son opposé, un film où le romancé, la puissance émotionnelle et le lacrymal n’ont pas leur place. Seule la brutalité du réel compte. Le geste plaira, ou ne plaira pas.
Par Nicolas Rieux