Nom : Victoria
Père : Sebastian Schipper
Date de naissance : 2015
Majorité : 1er juillet 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : Allemagne
Taille : 2h14 / Poids : NC
Genre : Drame, Thriller
Livret de famille : Laia Costa (Victoria), Frederick Lau (Sonne), Franz Rogowski (Boxer), Burak Yiğit (Blinker), Max Mauff (Fuss)…
Signes particuliers : Le pari d’un film en temps réel formidablement réussi !
5H42, CE SAMEDI-LÀ
LA CRITIQUE
Résumé : 5h42. Berlin. Sortie de boîte de nuit, Victoria, espagnole fraîchement débarquée, rencontre Sonne et son groupe de potes. Emportée par la fête et l’alcool, elle décide de les suivre dans leur virée nocturne. Elle réalise soudain que la soirée est en train de sérieusement déraper…L’INTRO :
On a souvent tendance à se méfier des films basés sur un défi technique car généralement, au-delà de l’artifice rhétorique, il ne reste pas toujours grand-chose de substantiel derrière et l’on se retrouver à observer, fasciné ou pas, le spectacle d’une idée pour une idée, sans qu’aucune justification forte ne la soutienne. Question « challenge », Victoria de l’allemand Sebastian Schipper se pose là. Ce n’est pas la première fois qu’un cinéaste nous assène le coup du long-métrage tourné en un seul plan-séquence. Sauf que généralement, il s’agit bien souvent d’un faux plan-séquence où quelques coupes sont en réalité déguisées pour ne pas être (trop) perçues (de La Corde d’Hitchcock à Birdman d’Inarritu). Schipper lui, a osé un pari complètement fou, celui du vrai plan-séquence sans trucages malicieux, celui de raconter une histoire en temps réel sur 2h14, à la force d’une seule et unique prise suivant, caméra à l’épaule, une jeune espagnole vivant à Berlin. De la nuit jusqu’à l’aube, Victoria récupère son personnage au milieu d’une boîte de nuit sous les flashes stroboscopiques d’un dancefloor, s’attache à elle, la suit à sa sortie, la montre croisant une bande de jeunes allemands éméchés aux allures de petites racailles à l’anglaise. Elle sympathise, elle les accompagne dans leur virée, ils rigolent, ils s’amourachent, et de fil en aiguille, tout bascule… Comme pour le film d’ailleurs, qui aura basculé dans la dimension des œuvres ovationnées, récompensé dans tous les sens de Beaune à la Berlinale.L’AVIS :
Il y a quinze ans, Sebastian Schipper était de l’aventure d’un autre film célèbre pour sa narration originale, Cours Lola Cours. Aujourd’hui réalisateur, le cinéaste livre à son tour un film singulier confectionné dans un pari dingue. Un film tourné en 2h14 (plus précisément, trois prises de 2h14, la meilleure ayant été choisie à la fin) sur la foi d’un scénario de 12 pages seulement, et des acteurs qui se sont prêtés à un challenge aussi exténuant que génial pour un comédien, improviser dans l’instantanéité du moment sur une durée très longue en suivant seulement une trame définie qui encadre l’histoire qu’ils ont à personnifier. La question en suspens est désormais de savoir si, passée la prouesse, il reste quelque-chose derrière Victoria et son défi maboul ? Le film se résume t-il à son seul principe audacieux où a t-il vraiment quelque-chose à proposer et surtout, à raconter ? La réponse est oui. Un triple oui, même. Victoria est une course effrénée, qui joue habilement avec son postulat pour mieux nous immerger avec authenticité et pureté dans son histoire, portant à haut degré le concept du « moment présent ».Pour résumer ce faux-film de braquage qui en est un sans l’être totalement, on dira que Victoria est une œuvre aux trois visages. Le premier, une gageure formelle ahurissante poussant jusqu’au bout son idée selon laquelle le plan-séquence unique permet de voir dans sa plus pure expression, la construction d’une relation et d’une aventure à l’écran sans que le travail du montage n’intervienne pour pervertir ou truquer la réalité proposée. Le second, une performance d’acteurs hors norme où le stress et la fatigue affichés finissent par en devenir terriblement réels, compte tenu de l’exigence nerveuse du projet pour des comédiens exceptionnels de naturel, de simplicité, de véracité. Le dernier, une expérience narrative puissante. Victoria nous embarque dans une virée nocturne saisissante, où le banal vire au cauchemar. Le film de Sebastian Schipper s’abandonne totalement à son défi, en acceptant les contraintes, les risques et les périls qui se présentent à lui. A commencer par ce besoin de planter un décor crédible et de bâtir son histoire sans ellipses. Pour cela, le cinéaste n’aura eu d’autre choix que de recourir à une exposition très longue, où l’on a cette impression pendant une heure, de naviguer dans la futilité d’un ordinaire sans intérêt. Malgré une caméra collée aux basques de ses protagonistes, en particulier sa « Victoria » (fabuleuse Laia Costa), on reste un peu distant de cette soirée alcoolisée où ça papote, où ça délire, où ça dragouille un brin lourdement. On en vient à se demander si le film compte démarrer un jour. En réalité, ce très long prologue est un mal nécessaire. Le passage obligé pour respecter l’idéologie du projet. S’il avait voulu faire plus court, plus resserré, plus dynamique, Schipper aurait, soit perdu en authenticité dans l’élaboration des liens entre ses personnages, soit il aurait dû dévier de son postulat à la fois couillu et contraignant. S’il avait fait plus long pour encore mieux perfectionner la crédibilité de son histoire et l’évolution de ses mêmes personnages afin d’éviter des sauts trop abrupts dans les choix qu’ils embrassent, il aurait alors pris le risque de voir le spectateur décrocher avant même que le film ne se lance vraiment. Alors on patiente. Contraint et forcé, mais on patiente. On attend que Victoria s’emballe, s’énerve. Et il finira par le faire. Les impatients auront peut-être perdu leur concentration depuis un moment, les autres prendront de plein fouet la folie d’une histoire où tout dérape.Quand Victoria commence à esquisser la direction dramatique qu’il s’apprête à emprunter, le film de Sebastian Schipper se charge soudainement en tension et bascule dans un suspens haletant qui tranche avec l’ambiance gentiment légère dans laquelle il baignait jusqu’alors. Se métamorphosant en thriller intense et accrocheur, Victoria devient alors une immersion radicale où l’on n’est plus simple spectateur mais comme embarqué par la caméra qui a pris son temps pour nous plonger dans l’histoire et l’expérience. Comme les personnages, on va non pas regarder mais vivre littéralement cette folle virée effrénée sous stress permanent. Une virée formellement fondée sur un paradoxe, une immense maîtrise de chaque instant coexistant avec une spontanéité foudroyante. Une seule réserve demeure au final. La crédibilité générale de l’histoire où règne un petit quelque-chose de bancal dans le fond. Pour apprécier à sa juste valeur Victoria, il faudra accepter quelques concessions, notamment celle de croire aux décisions de son personnage central, pour les moins discutables. En dépit de quelques incohérences ou ressorts scénaristiques tirés par les cheveux, chaque minute de ce thriller viscéral, vire alors à l’expérience unique essoufflée, totalement palpitante et apnéique. Et Victoria d’être en définitive, le tour de force qu’il promettait, celui que Darren Aronofsky lui-même, qualifiait de film qui « renversa le monde ». Chapeau aux acteurs, chapeau à Sebastian Schipper. Fallait oser.
LA BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux