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SIX JOURS, CE PRINTEMPS-LÀ de Joachim Lafosse : la critique du film

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Nom : Six jours, ce printemps-là
Père : Joachim Lafosse
Date de naissance : 12 novembre 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h32 / Poids : NC
Genre : Drame

Livret de Famille : Eye HaïdaraJules WaringoLeonis Pinero Müller, Damien Bonnard, Emmanuelle Devos…

Signes particuliers : Un film métaphore.

Synopsis : Malgré les difficultés, Sana tente d’offrir à ses jumeaux des vacances de printemps. Comme son projet tombe à l’eau, elle décide avec eux de séjourner sur la côte d’Azur dans la villa luxueuse de son ex belle-famille. En cachette. Six jours de soleil qui marqueront la fin de l’insouciance.

L’ANGOISSE DES NON-DÉSIRÉS

NOTRE AVIS SUR SIX JOURS CE PRINTEMPS-LÀ

Si Un Silence avec Daniel Auteuil et Emmanuelle Devos sorti l’an passé nous avait paru un cran (voire deux) en-dessous de son formidable Les Intranquilles, il n’en restait pas moins que le talent de Joachim Lafosse continuait de marquer le paysage cinématographique francophone. Avec Six jours, ce printemps-là, le cinéaste belge revient avec une œuvre plus fragile, plus difficile à appréhender aussi, mais néanmoins de qualité. On n’en attendait pas moins de Lafosse.

Les six jours de ce printemps-là, ce sont ceux que va passer Sana (formidable Eye Haidara) dans le sud de la France avec ses deux enfants. Mère seule qui se démène entre boulots cumulés et devoir familial, elle accepte la proposition de son nouvel amoureux parti vivre à l’autre bout de l’hexagone : venir chez lui avec les enfants pour les vacances. Mais le programme change à l’arrivée. Jules a un imprévu et ils ne peuvent plus dormir chez lui. Refusant d’accepter sa proposition d’un bel hôtel pas très loin, Sana cède à ses enfants qui émettent l’idée d’aller squatter la résidence secondaire de leurs grands-parents paternels sur la Côte d’Azur. À leur insu puisque Sana s’est séparée de leur père. A condition d’être discrets et de rien déranger, Sana accepte. Mais ce qui devait être une semaine de détente devient une semaine gangrenée par une tension sourde, celle d’être là où ils ne devraient pas être.

À peine arrivés sur les lieux normalement proscrits, l’alarme de la maison donne un premier coup de stress. Sana va alors tout surveiller pour que leur présence demeure un secret. On s’éclaire avec des bougies plutôt qu’à l’électricité, les volets restent fermés, on évite la plage privée et les contacts avec les voisins, on ne remplit pas la piscine. On fait tout pour demeurer invisibles. Chaque jour qui va passer sera une journée d’angoisse pour une Sana qui ne sera jamais tranquille à l’idée d’être dans un monde auquel elle n’appartient pas, ou plus. Chaque accroc durant le court séjour sera un nouveau poids ajouté à la lourde boule au ventre qui l’accompagne. La peur d’être découverts, d’être virés.

Ce qui déstabilise devant Six jours, ce printemps-là, c’est le choix très radical et audacieux de Joachim Lafosse de se passer de réels enjeux dramatiques concrets. Le film égrène les jours qui passent en se contentant de filmer le quotidien. Les réveils le matin, les allers et venues à la plage publique, les repas, sa relation cachée avec ce nouveau petit-ami. C’est tout. Il ne se passe pour ainsi dire à peu près rien et l’on se demande même comment le scénario peut-il bien tenir sur la durée sans rien pour l’alimenter. La subtilité, c’est que tout va passer par l’angoisse latente qui rôde. Le seul enjeu est là. Le plaisir d’une semaine de vacances sous le soleil du sud est gâchée par cette peur contenue de trahir une présence non-autorisée. Les conséquences seraient-elles si terribles que ça ? On en sait à vrai dire rien car tout est assez mystérieux dans le scénario de Lafosse et le passé n’est esquissé que par petites touches. Tout ce que l’on sait clairement, c’est que Sana n’est pas tranquille.

En réalité, Joachim Lafosse signe une allégorie. C’est l’extrême particularité de Six jours, ce printemps-là, être un film au mécanisme très théorique. Par le portrait de cette présence clandestine sur un territoire où l’on n’est pas vraiment ni souhaité ni légitime, Joachim Lafosse signe une métaphore de l’idée de ne pas être désiré ou accepté quelque part. On peut y voir une image de l’immigration comme une illustration de la lutte des classes. Être là sans y avoir été invité, devoir se cacher pour ne pas être découvert, éviter les interactions avec l’extérieur pour ne pas trahir sa présence, vivre avec la boule au ventre, traverser le quotidien un jour après l’autre, Six jours, ce printemps-là fonctionne comme une représentation des affres de l’immigration clandestine où la peur dicte la marche des journées, où il est question de se fondre dans un décor en étant le plus invisible possible. Sur un autre niveau de lecture, le film de Lafosse peut être aussi perçu comme un regard sur quelques personnages qui s’invitent -par un concours de circonstances- dans un monde auquel ils n’appartiennent pas. Six jours, ce printemps-là, c’est aussi l’illégitimité de cette classe moyenne à occuper -même quelques jours- l’espace d’une bourgeoisie qui ne veut pas d’eux. Passée la séparation d’avec son ancien conjoint, malgré deux enfants en commun, Sana n’a rien à faire là, ce milieu n’est plus le sien, elle a été renvoyée à sa condition et elle est désormais redevenue une intruse.

Avec Six jours, ce printemps-là, Joachim Lafosse reconvoque les thématiques fortes de son cinéma (la cellule familiale sous tension par exemple) et les applique sur une démonstration pas forcément évidente à appréhender, mais il faut le dire assez brillante dans l’idée. Le récit ne se joue que sur des détails, des regards, des échanges communs, des journées qui passent, des gestes répétés. Il évite constamment (ou presque) la confrontation, les péripéties ou les bouleversements. Il ne se passe pas grand-chose sur la forme, pas de crise ou de gros pics de pression. L’angoisse n’est que latente et la seule interrogation qui prédomine est de se demander si les choses vont tenir comme ça pendant les six jours. La réelle valeur du film se joue donc uniquement au niveau de la métaphore orchestrée. Voir le film par son biais le rend soudainement bien plus passionnant qu’il n’en a l’air. Mais à être ainsi très théorique, il prend aussi le risque de perdre le spectateur dans une forme d’ennui poli.

Par Nicolas Rieux

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