Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Quai d’Orsay
Père : Bertrand Tavernier
Livret de famille : Thierry Lhermitte (Ministre Taillard), Raphaël Personnaz (Arthur), Niels Arestrup (Maupas), Julie Gayet (Valérie), Thierry Frémont (Guillaume), Anaïs Demoustier (Marina), Bruno Raffaelli (Cahut), Thomas Chabrol (Sylvain), Jane Birkin (Molly), Didier Bezace (JP François), Sonia Rolland (Nathalie), Jean-Marc Roulot (Castela)…
Date de naissance : 2013
Majorité au : 06 novembre 2013 (en salles)
Nationalité : France
Taille : 1h53
Poids : 9 millions €
Signes particuliers (+) : Plus frais que jamais, Tavernier plonge dans l’univers de la politique étrangère à la française, en adaptant la BD éponyme gentiment décalée de Bain et Lanzac. Le résultat est détonnant, drôle, farceur, féroce, grinçant, enjoué, et soutenu par une épatante finesse dans l’exercice de la douce caricature très légère et pleine de justesse. Avec un Lhermitte au top et un Personnaz parfait en gentil paumé, cette comédie vire au vaudeville délicieux toujours en mouvement, même coincée dans un bureau !
Signes particuliers (-) : Quai d’Orsay aurait pu être parfait dans son registre si Tavernier avait su jouer de davantage de concision. Il étale sur quasiment 2h00 ce qui aurait pu être emballé en 1h30 et ce surpoids égratigne la force et le brio de cet exercice. Trop long, le film finit par tomber dans la redondance alors qu’il déploie incessamment la même idée et les mêmes motifs adaptés à différentes situations, sans parvenir à se renouveler. Et l’effort de ressembler à la longue, à un assemblage de saynètes de BD chapitrée trop proches les unes aux autres pour lui éviter une impression de structure cyclique se répétant inlassablement alors que l’ennui commence à remplacer l’amusement joyeux.
DANS LES COULISSES DU POUVOIR…
Résumé : Alexandre Taillard de Worms est grand, majestueux, un homme plein de panache qui plait aux femmes et qui est accessoirement ministre des Affaires Étrangères. Esprit puissant, guerroyant avec l’appui de la Sainte Trinité des concepts diplomatiques : légitimité, lucidité et efficacité, il y pourfend les néoconservateurs américains, les russes corrompus et les chinois cupides. Le monde a beau ne pas mériter la grandeur d’âme de la France, son art se sent à l’étroit, enfermé dans l’hexagone. Le jeune Arthur Vlaminck, jeune diplômé de l’ENA, est embauché en tant que chargé du “langage” au ministère des Affaires Étrangères. En clair, il doit écrire les discours du ministre ! Mais encore faut-il apprendre à composer avec la susceptibilité et l’entourage du prince, se faire une place entre le directeur de cabinet et les conseillers qui gravitent dans un Quai d’Orsay où le stress, l’ambition et les coups fourrés ne sont pas rares… Alors qu’il entrevoit le destin du monde, il est menacé par l’inertie des technocrates.
En ce moment, Bertrand Tavernier semble avoir une boulimie de toucher à tout et de sauter d’un genre à l’autre. Après un sombre thriller marécageux tourné aux Etats-Unis (Dans la Brume Electrique) puis un drame amoureux en costume (La princesse Montpensier), le voilà qui bifurque maintenant vers la comédie politisée en adaptant au cinéma la BD culte du tandem Christophe Blain et Abel Lanzac, Quai d’Orsay. L’histoire d’un jeune diplômé de l’ENA qui se retrouve engagé au cabinet du ministre des affaires étrangères, Alexandre Taillard de Worms, comme chargé de « langage » ou, en somme, chargé en communication devant écrire ses discours. Le reste n’est qu’une suite de situations présentant la loufoquerie ambiante d’un milieu singulier pour ne pas dire surréaliste, dont l’inspiration provient des souvenirs de Lanzac qui a connu l’expérience de ce poste et en garde visiblement un souvenir passablement traumatisé. Ecrit à six mains par le réalisateur et les deux auteurs, Quai d’Orsay se veut une approche la plus fidèle possible de la bande dessinée, même si, adaptation cinématographique oblige, certaines choses se devront d’être mises de côté.
Pour donner corps à ce monde parfois ubuesque, Tavernier s’entoure d’un casting élégant, des premiers aux seconds rôles, fourmillant de surprises et de talents. Le doué Raphael Personaz incarne le jeune Arthur Wlaminck, doux innocent plongé dans les griffes d’un Ministre transcendé par un panache bien allumé (Thierry Lhermitte) et très largement inspiré par Dominique de Villepin. Niels Arestrup se glisse dans le costume de son chef de cabinet, le calme et pragmatique Maupas et pour animer la belle galerie de seconds rôles délicieux qui fait vivre ce ministère atypique du 37 quai d’Orsay, Thierry Frémont, Julie Gayet, Bruno Raffaelli, l’ex miss-France Sonia Rolland et quelques guest de passage comme Jane Birkin ou Didier Bezace. Enfin, côté vie privée, la joyeuse Anaïs Demoustier sera la petite touche de chantilly qui illuminera le gâteau, incarnant la petite-amie d’Arthur avec sa moue tout en simplicité et en beauté sexy.
Quai d’Orsay est une sorte de comédie doucement caricaturale (quoique), une satire enjouée qui fait vivre à l’écran la BD éponyme en s’efforçant d’en rendre tout le panache, le rythme trépidant et la joyeuserie hilarante qui l’animaient sur le papier. Menée par un Tavernier en forme, cette farce décalée est explosive, inventive, grinçante, ironique et juste à la fois, sans cesse en mouvement, et marie à merveille le drôle et l’intelligent en se glissant dans les coulisses du pouvoir pour en faire ressurgir toute l’énergie, le farfelu, la tension, l’hypocrisie et l’harassant, sans jamais faire preuve de méchanceté ou tomber dans la facilité du raccourci idiot et du cliché réducteur. Au contraire, plutôt que d’empiler les gags dans une comédie traditionnelle facile et sans personnalité, Tavernier préfère opter pour un ton burlesque, pas loin du vaudeville théâtral facétieux et excessif, ce qui donne toute l’ingéniosité de cet amusement ludique et fin, égratignant la politique d’hier et d’aujourd’hui avec une modernité salvatrice. Dans cette pilule de bonne humeur pas loin de l’absurde, Thierry Lhermitte est étincelant dans son rôle de ministre à la De Villepin, fort d’une stature, fort d’un caractère, fort d’un aura majestueux, fort d’une poigne à rendre ses claquements de portes hilarants. Face à lui, Raphael Personaz est tout aussi parfait avec sa tête de doux gentil paumé. Un face à face jubilatoire auquel Arestrup apporte dignité et sagesse avec sa voix roque et marquée. Faux film simple, comme le qualifie son producteur, Quai d’Orsay est débarrassé de la rigidité récurrente de la comédie française. Libre comme l’air, il nous entraîne avec envie dans les travées du véritable quai d’Orsay, du Palais du Luxembourg ou du Palais Bourbon, autant de lieux où Tavernier a pu tourner pour y multiplier les pitreries et taquineries qui font de son film, une œuvre fine à caractère truffée de délicatesses (J.P. Rappeneau Président dans les cadres officiels, l’ex-ministre Bruno Lemaire figurant, les « érudits » convoqués à participer à l’effort pour la Nation…), le tout au tempo d’un doux esprit déjanté souvent réjouissant et revigorant, ravalant la façade terne qui sert d’image à la politique à la française.
Si Quai d’Orsay est une réussite apparente, néanmoins il ne sait pas cacher ses défauts qui malheureusement ont vite fait de diminuer sa côte et son brio. Ironiquement, c’est dans cette façon ingénieuse d’adopter de près le style de la BD, que pèche le film de Tavernier. A la longue, Quai d’Orsay ressemble en effet à une série de saynètes plus ou moins identiques dans l’esprit et adopte, dans la forme, les discours de ministres qu’il évoque et dont il se moque si gentiment. Vifs, exaltés, précis, clinquants… mais aussi pas suffisamment concis, courts et faussement efficaces, se perdant dans trop d’enveloppement décoratif et de brodage pêchant souvent par redondance martelante et remplissage. Ainsi fonctionne aussi un film qui, dans un premier temps, séduit par son esprit légèrement acerbe et loufoque, par sa vitalité, son punch et son impact direct. Mais à force de répéter sans cesse la même idée adaptée à des situations de crises différentes, Quai d’Orsay finit par un peu ennuyer, ou du moins tourner en rond. Car si prose est belle, sa rhétorique, elle, s’essouffle. Le résultat est clairement trop long et le cinéaste aurait pu aisément faire en 1h30 ce qu’il fait ici en deux heures. Dans ce cas, il aurait atteint le stade maximal du délicieusement jubilatoire. En lieu de cela, il se cantonne au sympathique, la folie et l’énergie de son exercice finissant par perdre de leur force dans sa démarche cyclique et manquant de diversité dans les chemins qu’il emprunte.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux