Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : The Collector
Père : William Wyler
Livret de famille : Terence Stamp (Freddie), Samantha Eggar (Miranda), Mona Washbourne (Tante Annie), Maurice Dallimore (le voisin)…
Date de naissance : 1965
Majorité : 04 juin 2014 (en DVD chez Wild Side)
Nationalité : USA, Angleterre
Taille : 1h59
Poids : Budget NC
Signes particuliers (+) : Un énième chef d’oeuvre de l’immense William Wyler, thriller dramatique malsain et pervers, alignant intelligence, subtilité et tension dans un duel dévastateur dénué de manichéisme et sublimé par deux comédiens en état de grâce.
Signes particuliers (-) : x
LE PAPILLON ET LA CAGE DORÉE
LA CRITIQUE
Résumé : Un jeune employé de bureau, Freddie Clegg, collectionneur de papillons, nourrit une passion éperdue pour une jolie étudiante, Miranda Grey. Tels les papillons, il la prend en filature et finit par l’enlever en la chloroformant. Il la séquestre dans une maison isolée et annonce a sa victime qu’aucun mal ne lui sera fait. Il la garde seulement pour lui. L’INTRO :
William Wyler n’est pas seulement l’un des plus emblématiques réalisateurs de l’âge d’or hollywoodien, c’est aussi l’un des plus passionnants, et à bien des égards. D’abord, pour sa riche et volumineuse carrière étalée sur près de 45 ans, comptant un nombre de classiques assez impressionnant. Ensuite, pour sa diversité, le cinéaste s’étant fait un point d’honneur à toucher un peu tout, du western au policier, de la comédie au péplum, en passant par la romance, le drame, le thriller psychologique, et même le documentaire, la série etc… Mais surtout, parce que William Wyler est de ces cinéastes qui ont souvent eu une longueur d’avance sur leur époque. Un pape de la modernité, que ce soit formelle ou narrative, avec à mainte et mainte reprises des thématiques et sujets courageux défiant les conventions morales. Quand avec Vacances Romaines, il introduisait une défaillance dans le beau film de prince et de princesse, quand avec Les Plus Belles Années de Notre Vie, il glissait quelques tirades pacifistes et antinucléaires au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale alors que les Etats-Unis venaient d’utiliser la bombe H, quand en 1952 avec Un Amour Désespéré, il déconstruisait les valeurs familiales et amoureuses avec l’histoire d’un chef de famille respectable abandonnant tout pour vivre un amour désespéré, quand avec La Rumeur il abordait le regard populaire sur la délicate question de l’homosexualité féminine… Et que dire de L’Obsédé, chef d’œuvre dérangeant où il pénètre dans l’intimité d’un esprit maniaque perturbé. Un film audacieux qui valu un double Prix d’Interprétation à Cannes à ses comédiens, Terrence Stamp et Samantha Eggar.
L’AVIS :
Replacé dans son époque, L’Obsédé de William Wyler était un film sacrément osé. L’histoire d’un employé de bureau collectionneur de papillons à ses heures perdues, qui tombe éperdument amoureux d’une jolie jeune femme au point de l’enlever et de la séquestrer dans sa grande maison de campagne. Non pas pour lui faire du mal, juste pour la garder pour lui. En espérant qu’elle finisse par succomber à ses attentions délicates et à sa cour forcée.
Dans ce drame psychologique teinté d’un parfum troublant et malsain, William Wyler prend soin de ne jamais tomber dans le manichéisme facile pour mieux déployer toute la pleine puissance de son œuvre à la fois tétanisante, obsédante et fascinante. Son anti-héros malade et névrosé n’est pas un psychopathe de la pire espèce. Seulement un médiocre jeune homme en mal d’affection, timide garçon solitaire et mélancolique cherchant à combler un vide et à avoir une chance de courtiser une femme séduisante appartenant à un monde dont il était trop loin pour y accéder. Face à lui, sa « proie » n’a rien de la fragile jeune femme inspirant innocence et empathie. Elle est davantage une petite bourgeoise hautaine et méprisante, soudainement coincée dans les mailles du filet d’un homme insignifiant à ses yeux. Et qui justement voudrait « signifier » quelque-chose. Ce qui aurait pu n’être qu’un thriller haletant façon « survival » avant l’heure, vire alors à l’affrontement idéologique sur fond de lutte des classes et de rivalité perturbante à mesure que les positions changent dans cette sorte de partie d’échecs ou le dominé peut devenir le dominant et inversement, à tout instant.
Sulfureux, implacable, maîtrisé, d’une fine intelligence et d’une force émotionnelle sourde, L’Obsédé fait partie des plus grands films de William Wyler. Une œuvre à ranger dans le saint des saints des classiques du cinéaste, comme du cinéma. Adaptation d’un roman de John Fowles, The Collector en VO (un titre plus allégorique, renvoyant au fait que la jolie prisonnière devient un papillon de plus dans la vaste collection de son geôlier) joue à merveille la dualité de son opposition nourrie à l’ambiguïté, à la force d’une écriture redoutable tant d’efficacité que de minutie. La malaise installé finit par libérer toute sa subtilités dans un drame angoissant et torturé, porté par un duo de comédiens en état de grâce, entre un Terence Stamp magnifique de versatilité et de nuance (tour à tour inquiétant prévenant, effrayant ou touchant en amoureux transit) et une Samantha Eggar sans cesse partagée entre victime empathique et manipulatrice redoutable. Et la sincérité de ces deux êtres livrés à un duel sombre et menaçant nous mène avec terreur vers son l’aboutissement de ses enjeux insolubles.
Film résolument audacieux de bout à bout, L’Obsédé est un petit monument, que certains diront un peu figé mais qui pourtant nous livre un très grand moment de cinéma à la froideur monstrueuse terrible. Un classique marquant soutenu par un climat de tension suffocante qui trouve dans sa noirceur, une forme de beauté à se damner. Magistral.
Extrait :
Par Nicolas Rieux