Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Legend
Père : Brian Helgeland
Date de naissance : 2015
Majorité : 20 janvier 2016
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h11 / Poids : 25 M$
Genre : Polar, Biopic
Livret de famille : Tom Hardy (Reggie & Ronnie Kray), Emily Browning (Frances), Paul Anderson (Albert), Christopher Eccleston (Nipper Read), Colin Morgan (Frank), Tara Fitzgerald (Elsie), Nicholas Farrell (Humphrey), Taron Egerton (Teddy)…
Signes particuliers : Un gangster-biopic raté où brille seulement deux Tom Hardy pour le prix d’un.
TOM HARDY SCOTCHE À DOUBLE FACE
LA CRITIQUE
Résumé : Londres, les années 60. Les jumeaux Reggie et Ronnie Kray, célèbres gangsters du Royaume-Uni, règnent en maîtres sur la capitale anglaise. À la tête d’une mafia impitoyable, leur influence paraît sans limites. Pourtant, lorsque la femme de Reggie incite son mari à s’éloigner du business, la chute des frères Kray semble inévitable…L’INTRO :
On connaît tous l’amour du cinéma pour les grands gangsters de l’histoire, ces anti-héros dont on suit la chevauchée criminelle entre étrange attachement empathique et condamnation distancée de leurs actes répréhensibles. Malgré la difficulté que représente ces exercices périlleux se devant d’évoluer à chaque fois sur une corde fine à la recherche d’un équilibre entre pouvoir de fascination et rejet moral, plusieurs cinéastes ont su donner ses lettres de noblesse au genre, Martin Scorsese en premier lieu avec ses magistrales fresques épiques, mais aussi Coppola (Le Parrain), De Palma (Scarface, L’Impasse, Les Incorruptibles) et autre Ridley Scott (American Gangster). Aujourd’hui, c’est au tour du faiseur Brian Helgeland de venir tenter d’apposer modestement sa pierre à l’édifice avec Legend, biopic centré sur les jumeaux Ronald et Reginald Kray, truands dont les grandes heures ont défrayé la chronique londonienne des années 50-60. Et pour incarner ces deux personnages siamois, rien de tel qu’un seul et même acteur d’exception, l’inquiétant Tom Hardy, qui ré-endosse un costume de criminel, sept après son étourdissante performance dans le Bronson de Nicolas Winding Refn. Peter Medak avait déjà porté l’histoire du terrible duo en 1990 dans le méconnu The Krays, restait à espérer que le réalisateur de Chevalier ou Payback lui emboîte le pas et fasse peut-être mieux.L’AVIS :
Avec l’histoire des frangins Kray, Brian Helgeland tenait un sujet en or, en plus d’avoir à sa disposition, un comédien d’exception pour les incarner. Car au-delà de leur épopée criminelle, c’était surtout la relation qui liait ces deux frères et la façon dont elle a évolué dans le temps, qui pouvait représenter une assise idéale en vue d’un polar quasi-shakespearien. Comme les deux faces d’une même pièce de monnaie, Ronnie et Reggie Kray étaient aussi différents que quelque part complémentaires. L’un était avenant, l’autre inspirait la terreur. L’un était posé et réfléchi, l’autre un psychopathe instable et imprévisible. L’un incarnait la face lumineuse du tandem, l’autre matérialisait à lui-seul ses pires démons. Enfin, l’un avait envisagé de mettre un terme à ses activités malfaisantes par amour, l’autre était sans cesse là pour l’attirer vers le côté obscur de leur nature violente, tel un animal aveuglé par sa folie. Il y avait vraiment de quoi faire avec Legend et ce récit d’ambivalence tragique, sorte de duel bilatéral ange vs démon aux accents schizophréniques dans un monde crapuleux, arbitré par une femme au cœur de la mêlée en péril… Seulement voilà, Brian Helgeland a beau s’efforcer de se hisser en bon élève ayant appris du mentor Scorsese, il n’est pas Scorsese. Pas plus que Legend n’est Casino ou Les Affranchis.Le cinéaste tente pourtant d’importer dans un univers so british, les ingrédients qui ont pu faire la force des fresques scorsesiennes new-yorkaise de la grande époque. Les ingrédients du film de mafia, certains de ses passages obligés, un décor marqué (l’East London), une galerie de personnages identifiables gravitant autour des héros, un ton sombre teinté de petites touches drolatiques et décalées désamorçant parfois la noirceur du récit pour le laisser respirer entre deux relents de violence extrême, et une femme cherchant à se faire une place dans cet univers hargneux… Malheureusement, ne maîtrisant pas une seule seconde ces éléments qu’il tente de reprendre à son compte, Helgeland rate dans les grandes largeurs son exercice et l’on ne peut que constater les dégâts opérés sur ce qui aurait pu être un grand film, mais qui échappe aux lois du bon cinéma vers lequel il tendait. Aucun génie dans la mise en scène, aucun souffle transcendant l’histoire, aucun rythme pour sortir le script ampoulé de son déroulé aussi mou que François Hollande. Curieusement léthargique, comme assommé par des vapeurs de chloroforme, Legend avance poussivement, essaie de se charger en tension dramatique sans jamais qu’aucun embrasement ne vienne allumer la mèche qui lui permettrait d’enfin décoller vers ce qu’il semble éternellement nous promettre sans nous le donner.Sorte de double-portrait ennuyeux, pour ne pas dire mortifère et plombant, pas même maintenu à flot par la performance d’acteur de son comédien courageux, Legend est l’histoire d’un perpétuel déclin vers l’échec le plus total, échec aggravé par le manque de clairvoyance de son auteur dans le dosage de ses éléments constitutifs. Car rapidement, l’exercice d’Helgeland se retrouve le cul assis entre deux chaises. Deux chaises qui s’écartent lentement sans jamais qu’il ne réagisse pour éviter la chute, ne serait-ce qu’en affirmant une vision claire de ce qu’il compte embrasser. On semblait parti pour naviguer dans les eaux troubles d’un polar brutal et sans concession, mais entre le poids d’une romance lourdingue et mielleuse, et ces fameuses teintes drolatiques mal gérées laissant vriller l’ensemble vers un burlesque parfois grotesque (l’homosexualité de Ronnie utilisée comme un gimmick gagesque à la longue énervant), Legend ne sait plus où il habitude, plonge dans une confusion cacophonique, se perd et ne revient jamais du néant dans lequel il s’est auto-enfermé. Expurgé de tout son potentiel racé et nerveux, Legend manque de peu de vriller vers l’illustration d’une amourette tragique, oubliant la sombre radicalité qu’on espérait lui trouver pour s’immoler dans le polissé glamour insipide, plombé par son absence de personnalité et le désaveu de ses intentions d’explorer les ressorts psychologiques de l’opposition de cette fratrie effrayante. A l’arrivée, le film d’Helgeland n’a pour lui que sa réussite visuelle et l’on ne peut que déplorer son manque de panache et d’intérêt. Un conseil à Brian Helgeland pour l’avenir, qu’il s’en tienne seulement à son activité de scénariste (L.A. Confidential, Mystic River), il est bien meilleur auteur que réalisateur.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux