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Deux comédiens incandescents, une histoire d’amour bouleversante, une élégance magnifique, une musique légendaire… In the mood for love est probablement l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma chinois. Réalisé par un Wong Kar-Wai porté aux nues en 2000 au festival de Cannes (même si la Palme d’Or lui sera chipée par Lars von Trier et son Dancer in the Dark), l’immortel classique porté par Maggie Cheung et Tony Leung fait régulièrement parti des « listes » des 100 plus grands films de tous les temps. Tel qu’on le connaît, il semble tellement parfait. Connaissant l’inépuisable versatilité de son réalisateur qui aime tout changer tout le temps, le film aurait pu être très différent. A cause de lui, mais pas seulement.
A l’origine, le film n’avait même franchement rien à voir. Wong Kar-Wai l’avait imaginé en trois parties et le sujet central était… la nourriture ! Plus précisément, son impact sur les relations amoureuses. Une partie était consacrée à l’autocuiseur qui a révolutionné le quotidien ménager de la femme chinoise, une autre était consacrée à l’arrivée des nouilles précuites, la dernière aux fast food… Oui, oui; promis, on est bien en train de parler de In the Mood for Love. Mais alors qu’il planchait éperdument sur l’écriture, Wong Kar-Wai s’est rendu compte que sa première partie (sur l’autocuiseur donc) méritait vraiment d’être plus développée. Elle ne représentait que 30 minutes du film initialement prévu. Le cinéaste abandonna les deux autres et décida de faire de celle-ci, le film tout entier. Et si vous avez l’occasion de le revoir, vous vous rendrez compte que le fameux autocuiseur apparaît dans pas mal de scènes. Cette propension à réécrire constamment typique chez Wong Kar-Wai eut un sérieux impact sur le film et son tournage.
Comme on le sait, l’industrie cinématographique chinoise est très encadrée par le gouvernement et notamment le comité de censure qui met son nez dans à peu près tout. Afin d’avoir l’aval pour un tournage, il faut notamment déposer une demande accompagnée du scénario définitif qui sera étudié (c’est là que certains ont pu être amenés à mentir pour pouvoir tourner des œuvres contestataires, déposant de faux scénarios ou remaniés). Problème, quand Wong Kar-Wai commença à tourner à Pékin, il n’avait pas encore son précieux sésame. Et le Bureau du Cinéma Chinois s’est vite penché sur son cas. Sa demande était bloquée pour une raison bien simple : ils n’avaient pas le scénario complet. Sauf que Wong Kar-Wai non plus ! Le cinéaste a toujours été habitué à écrire ou modifier ses scripts au fur et à mesure de ses tournages. Il lui était donc impossible de fournir un scénario définitif au Bureau puisqu’il ne l’avait lui-même pas terminé. Résultat, toute l’équipe dut plier bagage et filer à Macao qui, à l’époque, bénéficiait d’un régime d’autonomie très particulier, la région était en transition entre le Portugal et la Chine. Le tournage s’est terminé là-bas, dans la douleur la plus totale entre un retard monstre (il dura 15 mois !), une équipe tributaire des changements de Wong Kar-Wai, Maggie Cheung qui devait subir 5 heures de maquillage et coiffure chaque jour… Et le film fut terminé seulement une semaine avant sa présentation cannoise ! Au moins cette fois-ci, il fut terminé à temps. On ne pourra pas en dire autant de sa « suite » 2046 qui fut présentée à Cannes quatre ans plus tard dans une version non finalisée avec notamment des effets spéciaux pas fait (les décors futuristes étaient encore des dessins).