Dans la longue liste des chefs-d’œuvre qui ont pu bénéficier de l’immense talent et de la beauté envoûtante d’Ava Gardner, il y en a un que l’on affectionne tout particulièrement, c’est le Pandora d’Albert Lewin. Dans ce troublant conte fantastique sorti en 1951, la mythique Ava donne la réplique au non moins mythique James Mason sur fond de légende, de romance et de poésie tragique. Alors que le film ressort en salles et en Blu-ray Ultra Collector chez Carlotta Films, retour sur son histoire dont les coulisses nous ont légués quelques savoureuses anecdotes.
À la fin de l’été 1930, deux corps sont repêchés au large du village d’Esperanza, en Espagne. Quelques mois plus tôt, la chanteuse américaine Pandora Reynolds enflammait les cœurs de tous les hommes de la région. Suite à un pari, elle se fiance avec Stephen Cameron, un pilote automobile britannique. Un soir, Pandora observe un yacht amarré dans la baie et décide de s’y rendre à la nage. Elle fait alors la rencontre de son propriétaire, Hendrick van der Zee, qui n’est autre que le Hollandais volant de la légende : un homme condamné à errer sur les océans pour l’éternité, jusqu’à ce qu’il trouve une femme prête à mourir pour lui.
Tout était réuni pour faire de Pandora, un beau film. Ava Gardner était à son meilleur, elle et James Mason s’appréciaient beaucoup (ils avaient partagé l’affiche de East Side, West Side deux ans auparavant) chose toujours pratique pour créer une alchimie, et ils nourrissaient chacun un profond respect pour Albert Lewin, plus particulièrement James Mason qui s’était lié d’amitié avec lui après avoir découvert leur passion commune pour la culture et notamment la peinture surréaliste. De son côté, Lewin avait un contrôle étendu sur sa création dont il était à la fois auteur de l’histoire et du scénario et réalisateur. Il avait pu faire venir son ami Man Ray pour œuvrer sur le film (l’artiste a créé des peintures et designer des objets) et surtout Ava Gardner, chose peu gagnée au départ. Car à la base, Lewin voulait faire le film avec la MGM, chez qui il était sous contrat. Mais le studio refusa de financer ce projet jugé trop anti-commercial. Lewin cassa son contrat avec la firme au lion rugissant et il aurait demandé comme prime de départ (selon Ava Gardner) le prêt de la comédienne qui, elle, était encore sous contrat avec le studio. Tout partait comme sur des roulettes en tout cas…
Puis les choses sont devenues aussi étranges que le film lui-même, ce qui a légué quelques anecdotes mémorables. La première remonte en amont du film. Impossible de ne pas se rendre compte en découvrant Pandora que la beauté d’Ava Gardner y est irradiante. La comédienne semble y être plus splendide que jamais (et pourtant elle est sacrément belle dans Mogambo ou La Comtesse aux Pieds Nues). L’explication tiendrait dans une question de… menstruations ! Lors de leur première rencontre juste avant le tournage, le chef opérateur Jack Cardiff a évoqué avec la star la manière dont elle voulait être filmée dans ce qui allait être le premier film en couleurs de sa carrière. Ava Gardner lui a alors fait une suggestion assez inhabituelle. Elle lui a demandé de surveiller le début de ses règles car selon elle, cela colore légèrement la peau d’une femme et lui donne une tonalité très particulière qu’une caméra peut capter. Jack Cardiff en a pris note et pour bien des spécialistes, critiques ou cinéphiles, jamais Ava Gardner n’a été aussi resplendissante à l’écran que dans Pandora.
Moins amusant en revanche, oui Ava Gardner était somptueuse dans Pandora. Mais cette beauté enivrante n’a pas eu que des bons côtés. Certes, elle a illuminé la pellicule mais a aussi attiré son lot d’abeilles. A commencer par le matador espagnol Mario Cabré. Dans Pandora, Mario Cabré joue les apprentis comédiens et incarne un amant de Pandora Reynolds (Ava Gardner). L’ennui selon l’actrice, c’est que son partenaire a un peu trop confondu la fiction et la vie réelle… Tombé sous le charme de la belle Ava, Mario Cabré a fini par obtenir ce dont il rêvait. Une nuit un peu trop alcoolisée mêlée à « l’ambiance romantique des nuits espagnoles » dixit Gardner, la star s’est laissée aller. Elle s’est réveillée le lendemain… dans le lit de Mario Cabré ! « Un coup d’un soir » comme qui dirait trivialement, mais un coup qui allait avoir des conséquences. Persuadé d’avoir remplacé Frank Sinatra dans le cœur de la comédienne, Mario Cabré s’est mis à fanfaronner à qui voulait l’entendre qu’il était le nouveau grand amour de la belle Ava. Embarrassant car la gêne dura tout le reste du tournage et Gardner dut attendre sa fin pour être enfin débarrassée de l’encombrant espagnol tout feu tout flamme (tellement enflammé qu’il avait prévenu Sinatra qu’il ne repartirait jamais vivant d’Espagne s’il venait se mettre en travers de son idylle avec Ava).
Cette pseudo idylle (qui n’en fut une que pour le torero – Ava Gardner confiant ne l’avoir jamais revu ensuite) ne fut que l’une des choses compliquées que le tournage ait connu. Débuté dans la joie, il s’acheva mi-figue mi-raisin. D’abord parce qu’Ava Gardner se languissait d’en avoir fini avec son Mario Cabré dont l’amusante folie commença à devenir passablement pénible, d’autant qu’il se régalait « à se faire de la pub » sur le dos de l’actrice. Mais Albert Lewin fut également un problème. Fidèle à sa réputation d’ultra-perfectionniste qui avait pris encore plus de l’ampleur qu’avant, le metteur en scène allait jusqu’à exiger parfois près de 100 prises pour une même scène, fatiguant à l’extrême ses comédiens, dont son ami James Mason qui en reparlera comme d’un cinéaste tyrannique et pénible. Leur amitié s’effondrera d’ailleurs à l’issu de cette production, Mason reprochant en plus à Lewin de n’avoir jamais vu le moindre centime de sa prime d’intéressement sur les profits du film.
UN FILM A REVOIR
Carlotta Films poursuit son extraordinaire collection de coffrets Ultra Collector offrant aux cinéphiles des films d’exception packagés dans des éditions aussi magnifiques que richement fournies. Et le petit dernier de la série (le 20eme) sorti le 27 octobre dernier est le splendide Pandora d’Albert Lewin avec Ava Gardner et James Mason. Ce chef d’œuvre atypique du cinéma britannique mêle romance, mythologie et fantastique, dans un conte fiévreux filmé en technicolor selon des inspirations piochant dans la peinture surréaliste, Magritte et Dali en tête. L’édition Carlotta propose le film dans sa version restaurée en 4K à partir d’une copie 35 mm personnelle de Martin Scorsese. Outre le film dans une version absolument sidérante d’intense beauté, le coffret propose une introduction au film (7 min.), des souvenirs du grand chef opérateur Jack Cardiff, un film d’actualités sur le légendaire toréro espagnol Manuel Rodriguez dit “Manolete”, une ouverture alternative, un comparatif « avant-après » entre la version connue et cette version restaurée, la bande-annonce originale présentée par Hedda Hooper et un livre de 160 pages consacré au film.