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MEGALOPOLIS de Francis Ford Coppola : la critique du film

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Spectateurs

Nom : Megalopolis
Père : Francis Ford Coppola
Date de naissance : 25 septembre 2024
Type : sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h18/ Poids : NC
Genre : SF, Drame

Livret de Famille : Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Dustin Hoffman, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf, Jon Voigt, Talia Shire, Ben Schwartzman, Laurence Fishburne, Forrest Whitaker, James Remar…

Signes particuliers : Coppola a vu en grand. En trop grand ?

Synopsis : Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.

LE RÊVE FOU DE COPPOLA

NOTRE AVIS SUR MEGALOPOLIS

Il arrive. L’attendu mastodonte crépusculaire de Francis Ford Coppola qui a tant fait couler d’encre à Cannes s’apprête enfin à sortir en salles dans un mélange de crainte et d’excitation. Présenté en Compétition Officielle, l’annoncé chef-d’œuvre testamentaire du père d’Apocalypse Now a connu bien des déconvenues sur la Croisette, globalement laminé par une presse restée dubitative devant un long-métrage que beaucoup reconnaissait hors-normes. Hors-normes… mais raté. De quoi étouffer la gigantesque hype qui le précédait alors que de premiers échos américains en parlaient comme d’une « date dans l’histoire de l’art au même titre que le Guernica de Picasso ». Rien que ça. Coppola a englouti une bonne partie de sa fortune personelle pour aller au bout de ce rêve à 120 millions qu’il imaginait depuis très longtemps (depuis les années 80). Megalopolis est une fable existentielle sur le devenir de l’humanité moulée dans un ambitieux récit science-fictionnel. Tellement ambitieux que pitcher le film simplement est une gageure. Francis Ford Coppola imagine une sorte de dissertation cinématographique sur l’Amérique à travers une fable sur la déliquescence d’un néo Empire Romain. Quand on sait comment ce dernier a fini, l’allusion métaphorique est claire. Sauf que Coppola se veut positif, lumineux, pétri d’espoir pour l’avenir. A 85 ans, le voilà devenu sage et philosophe.

À New Rome, allégorie de New York, deux visions se disputent. Le maire corrompu et populiste Cicero animé par un élan conservateur et l’architecte progressiste César qui rêve de rebâtir la ville en une citée utopique après qu’une catastrophe l’ait détruite. Au centre, la fille du maire, Julia. Mais aussi une mystérieuse invention qui brille, des costumes façon Rome Antique, une ancienne épouse défunte, une star de télé vulgaire qui se fait appeler Wow Platinum, une riche milliardaire et son fils excentrique, le pouvoir d’arrêter le temps… Et même un acteur qui intervient en live dans la salle de cinéma pour échanger en plein film avec le personnage d’Adam Driver !

À l’heure où le cinéma souffre du formatage de tout ce qu’il propose, à l’heure où il est piégé par les codes qu’il a lui-même installés, à l’heure des forumles marketing, des moules et des produits pilotés selon des recettes, à l’heure où il parvient de plus en plus rarement à se renouveler et à surprendre, l’un des derniers grands géants de son renouveau des années 70 tente autre chose, tente d’explorer des voies nouvelles, des concepts nouveaux, tente une autre façon de créer et de penser l’objet film.

On s’attendait à une œuvre monumentale, inclassable, visionnaire, déstabilisante, géniale. Probablement un peu inégale aussi si elle peinait à supporter le poids de toutes ses ambitions, mais dans tous les cas, on l’attendait fascinante de gigantisme artistique. Megalopolis avait tout l’air d’un pari, le genre dont on dit que ça passe ou que ça casse. Le genre qui peut en un battement de pellicule, basculer du chef-d’œuvre fou à la débâcle incontrôlée. Ce que l’on n’attendait peut-être pas, c’est le choc agressif de tout cela mélangé. Il n’y a pas de vérité au sortir de Megalopolis, il y a des vérités, multiples et contradictoires. Megalopolis est dingue. C’est une vérité. Megalopolis est fascinant. C’est une vérité. Megalopolis est intense et très riche, c’est une autre vérité. Megalopolis est un naufrage, c’est aussi une (triste) vérité. Peut-on voir trop grand en art ? Sujet de Bac Philo, vous avez quatre heures. Ce qui est sûr, c’est que Coppola a vu très grand, peut-être trop grand, en tout cas si grand que le résultat s’abîme dans une terrible et terrifiante confusion parfois pesante et épuisante.

Les toutes premières minutes du film sidèrent. Il s’en dégage une maestria virtuose absolument hypnotisante. Megalopolis promet d’être un très grand film, une claque formelle et philosophique renouvelant le cinéma avec un grand C. Indéniablement il y a du cinéma XXL dans cette œuvre au gigantesque fou, où chaque plan est une composition artistique dingue.

Sauf que derrière, Coppola fourre son film comme on fourre une dinde de Noël : avec générosité. L’ennui, c’est que sa générosité ne va pas mettre bien longtemps à se retourner contre lui et son impressionnant travail. Univers foisonnant, imaginaire de néo Rome Antique décadent hypnotique, multitude de personnages très tranchés, mise en scène bourrée de trouvailles visuelles, nombreuses réflexions philosophico-existentielles, impression d’assister à une improbable rencontre entre Terry Gilliam et l’expressionnisme allemand, Murnau et Dreyer en tête, mélange de SF et de pré-apocalyptique ou d’utopie et de dystopie… Megalopolis se voulait dense mais il devient un fourre-tout migraineux gangrené par une prose stylistique que l’on pourrait croire à tort pompeuse mais qui est en réalité profondément sincère dans sa volonté de pousser les murs du concevable pour mettre en image une fresque où il est question d’amour, de jalousie, de deuil, d’effondrement social, d’envie de remodeler le monde autrement, de réinventer la société de demain, même si pour cela il faut traverser des orages qui tempèrent fort.

Coppola a rêvé en grand son allégorie librement inspirée de la chute de l’empire romain (à travers laquelle il parle de la chute de l’Amerique moderne avec la perspective d’une possible nouvelle Amérique post-moderne qui corrigerait ses erreurs passées). Mais le légendaire metteur en scène du Parrain se fait avaler par l’imposant vertige de son œuvre au point de passer au travers. Non pas qu’il ait perdu la main comme on a pu le penser après son dernier (et médiocre) Twixt il y a 13 ans, mais parce que Megalopolis est une œuvre aussi fiévreuse qu’informe et boursouflée. Un ovni semi-compréhensible traversé d’images bizarres et d’idées inexploitées, qui échoue dans son extrême complexification. Coppola se perd dans sa cathédrale vertigineuse difforme et balafrée, fruit d’une boulimie vomitive où le cinéaste empile des idées sur des idées, recouvertes d’idées inspirant d’autres idées… L’intelligence de la vision finit par se noyer dans l’indigeste grossièreté du résultat, rendant toute cette fascinante entreprise exaspérante de cacophonie.

Le résultat désarme et hante. Était-ce sensationnellement fantastique, imaginatif et inclassable ou à l’inverse exagérément surréaliste, bavard et grotesque ? On aimerait n’y voir que l’audace et la prise de risque, que la folie artistique démesurée d’un génie créatif d’hier qui en a manifestement encore à montrer aujourd’hui. On aimerait pouvoir s’abandonner complètement dans ce somptueux dédale en oubliant à quel point l’expérience a été difficile et mal-aimable. Megalopolis est un long-métrage malade voir maladif, complexe, brillant et torturé. Comme si le célèbre enfer de la création d’Apocalypse Now avait mal fini au lieu de se terminer en chef-d’œuvre. In fine, on voudrait surtout se raccrocher aux belles branches qui le composent pour éviter de résumer ce grand geste de cinéma hors-norme comme une simple « catastrophe artistique au casting impressionnant ». Car s’il y a bien une chose que Megalopolis n’est pas, c’est « simple ». Provocateur comme à ses plus belles heures, Francis Ford Coppola réinvente un art que l’on pensait figé. Dans quelques décennies, sur la grande échelle de l’histoire du septième art, ce ne sont pas des pseudo-coups qui se pensent novateurs à la Tenet dont on se souviendra comme des avancées, mais bel et bien ce genre d’œuvres démentes, certes vacillantes pour ne pas dire ratées, mais aliénées et aliénantes.

 

Par Nicolas Rieux

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