Nom : L’établi Père : Mathias Gokalp Date de naissance : 2022 Majorité : 05 avril 2023 Type : sortie en salles Nationalité : France Taille : 1h57 / Poids : NC Genre : Drame
Signes particuliers : Un film sur hier qui dit beaucoup de choses sur aujourd’hui.
Synopsis : Quelques mois après mai 68, Robert, normalien et militant d’extrême-gauche, décide de se faire embaucher chez Citroën en tant que travailleur à la chaîne. Comme d’autres de ses camarades , il veut s’infiltrer en usine pour raviver le feu révolutionnaire, mais la majorité des ouvriers ne veut plus entendre parler de politique. Quand Citroën décide de se rembourser des accords de Grenelle en exigeant des ouvriers qu’ils travaillent 3 heures supplémentaires par semaine à titre gracieux, Robert et quelques autres entrevoient alors la possibilité d’un mouvement social.
LA FORCE DU COLLECTIF
NOTRE AVIS SUR L’ETABLI
1968, peu après les événements du mois de mai, l’extrême-gauche française essaie de placer des militants dans les grandes usines françaises pour qu’ils nourrissent le vent de révolte et motivent les ouvriers à continuer la lutte. L’établi raconte l’histoire de l’un d’entre eux. Robert Linhart est normalien, agrégé de philosophie. Il est surtout un militant d’extrême-gauche convaincu. Alors que Citroën recrute, Robert va quitter son confort bourgeois pour se faire embaucher dans une usine produisant des 2CV. Il découvrira l’horreur du travail à la chaîne, les conditions déplorables auxquelles les camarades sont soumis, et toute la difficulté pour eux de réagir face à des employeurs dénués de scrupules. Quand Citroën revient en partie sur les accords de Grenelle post mai 1968 en exigeant de ses employés qu’ils travaillent 3 heures de plus par semaine gratuitement pour rembourser sur quelques mois les sommes perdues par les semaines de grèves, Robert Linhart tient l’occasion de relancer la fronde.
Alors que la France traverse des temps difficiles où les classes populaires et moyennes sont à bout et en souffrance (voir le mouvement des Gilets-Jaunes), L’Etabli viendrait presque s’imposer comme une grande saillie politique visant à rappeler que les luttes d’hier sont toujours d’actualité aujourd’hui. Le film de Mathias Gokalp (le déjà très engagé Rien de Personnel en 2009) dresse un parallèle assez évident entre la France de 1968 et celle de 2023. Certaines choses ont peut-être évolué dans le détail mais au fond, l’essentiel ne serait-il pas toujours à l’œuvre ? La classe ouvrière exploitée par des patrons capitalistes sans états d’âme qui usent de moyens de pression aliénants pour accroître le rendement et leurs profits. A la différence que ce qui pouvait être appliqué franchement et sans détours à l’époque, est peut-être plus sournois aujourd’hui. Et encore que.
L’établi vise surtout à montrer que la force populaire est à aller chercher dans le collectif. C’est ensemble, uni et fraternel, que le peuple peut peser et faire infléchir une politique injuste. Sauf que l’une des différences majeures entre 1968 et aujourd’hui, c’est que cette idée de collectif soudé s’est un peu perdue, probablement brisé par le résultat de politiques diverses, par une profonde angoisse sociale, par la peur des lendemains dans un contexte économico-social anxiogène, par une fausse protection illusoire des droits travailleurs qui ne pèse au fond pas bien lourd devant la puissance de la concurrence et du libéralisme galopant. Aujourd’hui, la culture de l’individualisme s’est largement imposée et L’Etabli enfonce une porte semi-entrouverte en rappelant « qu’ensemble, on est plus fort ». Un écho résonnant en ces temps agités par la réforme des retraites. Hasard du calendrier, L’Etabli tombe à point nommé. En adaptant aujourd’hui (45 ans après sa parution) le livre autobiographique de Robert Linhart, le réalisateur Mathias Gokalp signe un film témoin. Témoin d’à quel point le même schéma social survit depuis tant d’années.
L’établi est un film de valeur davantage pour sa démonstration d’ensemble que pour ses qualités purement cinématographiques. On en retient plus l’idée générale et sa concomitance avec le contexte dans lequel il sort, que sa valeur en tant que film isolé. Tout au long de cette fresque en immersion dans le monde ouvrier, Mathias Gokalp s’efforce de bien croquer les ressorts qu’il dénonce. L’aliénation mentale du monde du travail ouvrier sur ses employés éjectables, les méthodes de pressions et d’humiliation pour tuer dans l’œuf toute idée même lointaine de révolte, le cynisme patronal, la culture du productivisme effréné. Quelques séquences s’échappent du film, comme des bulles formidbales qui se libèrent d’un ensemble très/trop bien organisé, pour ne pas dire figé. Comme la scène puissante de cette employée modèle au cerveau lavé et totalement coupé de tout oxygène et embryon de réflexion, entièrement branché à son geste monotâche qu’elle exécute inlassablement sans penser. Jusqu’à ce que son environnement soit perturbé et qu’elle craque.
L’établi n’a pas spécialement un style à lui, contrairement à des Ken Loach ou Stéphane Brizé. Son style, c’est d’être appliqué dans son didactisme et pertinent dans son engagement politique clair. Gokalp adapte bien le livre de Robert Linhart, saisissant l’essentiel des idées qui l’animaient sans faire spécialement d’étincelles. Tout aussi bien fichu et interprété soit-il, sa relative sagesse cinématographique l’amène à manquer un peu de puissance pour exprimer au mieux sa dimension humaine nichée derrière sa portée politique.
Par Nicolas Rieux
One thought on “L’ETABLI de Mathias Gokalp : la critique du film”
Film émouvant sur l’engagement militant ; très actuel voire moderne. De belles scènes, fortes parfois. A voir, absolument.
Film émouvant sur l’engagement militant ; très actuel voire moderne. De belles scènes, fortes parfois. A voir, absolument.