Carte d’identité :
Nom : Loveless
Père : Andreï Zviaguintsev
Date de naissance : 2017
Majorité : 20 septembre 2017
Type : Sortie en salles
Nationalité : Russie
Taille : 2h07 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de famille : Maryana Spivak, Matvey Novikov, Andris Keishs…
Signes particuliers : Il n’a raflé que le Prix du Jury mais c’était notre Palme d’or 2017.
L’AMOUR, CIMENT D’UNE SOCIÉTÉ
LA CRITIQUE DE FAUTE D’AMOUR
Résumé : Boris et Genia sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme enceinte et Genia fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser… Aucun des deux ne semble avoir d’intérêt pour Aliocha, leur fils de 12 ans. Jusqu’à ce qu’il disparaisse.
Le cadre s’ouvre sur une image blafarde, des couleurs ternes, une esthétique à la beauté presque austère. Un choix formel qui ne quittera jamais ce Faute d’Amour, drame pesant chargé d’une lourdeur émotionnelle à la fois fascinante et glaçante. Dans ce nouveau long-métrage du réalisateur Andreï Zviaguintsev (l’excellent Leviathan), il s’agit ni plus ni moins que d’observer une chose simple : la perte d’un enfant. Pas la mort d’un enfant, même si la peur plane sans cesse, mais la perte au sens premier du terme. Boris et Genia sont au bord du divorce et se déchirent à longueur de temps. Au milieu, le petit Aliocha, 12 ans, chérubin au visage angélique qui traverse ce cauchemar en subissant les conséquences. Qui le gardera après la séparation ? Manifestement personne, car ni son père ni sa mère ne se préoccupe de son sort. Jusqu’au jour où il disparaît. Il faudra 24 heures à ses parents pour s’en rendre… en espérant qu’il ne soit pas trop tard.
Faute d’Amour ou l’histoire d’un film qui dit tellement de choses en deux heures de temps. Porté par une mise en scène à la finesse exceptionnelle (le prix glané à Cannes était un minimum), Faute d’Amour aura été l’une des belles claques de cette sélection 2017, malheureusement pas reconnue à sa juste valeur. A travers cette chronique passablement tragique, le cinéaste russe scrute une société bourgeoise égocentrique, davantage préoccupée par elle-même que par ce qui l’entoure. Ici, l’enfant est un symbole, une victime de cet égoïsme auto-centré incarné par ces parents à la fois stupides, cruels et pathétiques. A travers des petites scènes en apparence presque anecdotiques, Zviaguintsev va même plus loin, montrant une élite bobo narcissique qui n’a aucune conscience de ce qui l’entoure, comme le drame humain qui se passe en Ukraine, pas loin de chez eux. Mais au-delà de ça, Zviaguintsev montre surtout que c’est bel et bien le manque d’amour qui finira par mener à l’écroulement de nos sociétés. Le manque d’amour et le manque de considération pour son prochain. Ce constat sans appel est au coeur du film, au coeur d’une société russe perçue comme déshumanisée, sans affect, froide et contaminée par cette évaporation des sentiments et de l’amour. En plongeant dans l’intimité de ce couple soudainement rattrapé par la réalité de ce qu’ils sont, le metteur en scène élabore à partir du personnel, un drame quasi politique et social à la pertinence redoutable.L’autre force de Faute d’Amour est sans conteste sa subtilité. Il aurait facile de peindre le portrait de deux monstres parentaux écrasant un enfant sans défense. mais Zviaguintsev est plus malin que ça. Le cinéaste préfère la finesse d’approche. Finalement, il n’accable pas ces deux figures dont il se sert pour sa diatribe critique. Il ne les accable pas mais nous laisse le choix de le faire nous-même. Et c’est sans doute ce que beaucoup vont faire, jusqu’à un certain point. Jusqu’à ce que l’on comprenne qu’ils sont le fruit d’une éducation raté ou d’une société oppressante qui fait vivre dans la peur constante. Une excuse ? Pas le moins du monde, seulement une piste de réflexion. Comme tant de plans au final, comme cette fin saisissante et troublante qui veut dire tellement de choses mais qui se défaussent d’affirmer quoique ce soit. Comme ces petits moments où la société russe mise à nu (dans tous les sens du terme avec cette propension à filmer les corps souvent exposés) est montrée telle qu’elle est, sans fard, aliénée et aliénante, avec ses défauts béants et sa superficialité tragique, comme en témoigne ce malin ressort de l’utilisation outrancière (et comique) de Facebook et des selfies.
En plus de nous avoir offert l’image la plus tétanisante de ce 70eme festival de Cannes (ce plan du gosse qui pleure derrière une porte, marque au fer rouge), Faute d’Amour est un drame qui prend aux tripes, un tour de force littéralement exceptionnel d’intelligence, de profondeur et de richesse. Film terrible où il est impossible de se raccrocher à une quelconque branche (aucun des personnages n’est vraiment « aimable » ou attachant), Faute d’Amour créé finalement un lien d’empathie viscéral avec un « absent ». C’est cet enfant disparu que l’on plaint et à travers lui, toute cette société russe morne et triste, évidée du plus beau des sentiments. Et quand vient le moment de s’en rendre compte, il est déjà trop tard. Voilà ce que montre ce nouvel effort brillant d’Andreï Zviaguintsev. C’est un peu pessimiste voire très nihiliste, mais si juste.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux