C’est un été assez excitant que vivent les amateurs de cinéma de genre. Du jouissif
Dangerous Animals au bizarre
Together en passant par le déchirant
Substitution – Bring Her Back, ça faisait longtemps que l’horreur ne nous avait pas offert autant de bons films en si peu de temps. Et une quatrième réussite enthousiasmante vient s’ajouter à la liste, l’américain
Weapons, rebaptisé
Évanouis chez nous. Nouvelle réalisation de Zach Cregger (le pas mal
Barbare en 2022),
Évanouis triture nos méninges face au mystère de la disparition de 17 enfants d’une même classe. Une nuit, à 2h17 précises, ils ont quitté leurs maisons et sont partis on ne sait où. Tous sauf un…
Et nous voilà pris à notre propre piège des punchlines un peu trop hâtives écrites sous le coup de l’intense émotion d’un instant. Il y a quelques semaines, on vendait précipitamment Dangerous Animals comme le film d’horreur de l’année. C’était sans compter sur la découverte à suivre d’Évanouis. Sans retirer un gramme de l’énorme kiff que fut le film « de requins » de Sean Byrne, force est d’avouer qu’il se fait damner le pion dans la foulée par le bijou de Zach Cregger, petit monument du cinéma d’épouvante comme on en vit peu (voire pas toujours) dans une année. Si l’entame pourra paraître un rien longuette mais néanmoins fort intrigante, c’est parce qu’Evanouis va jouer la carte du film chapitré dont chaque partie vient éclairer ou compléter la précédente, de sorte que les mystères s’éclaircissent pas à pas comme un puzzle qui se dessinerait patiemment. Et plus le film progresse, plus il gagne en suspens, en tension, en horreur, en folie aussi.
Semblable à du Stephen King inspiré, proche du Ari Aster époque Hérédité mais en mieux, Évanouis frôle le chef-d’œuvre. La comparaison est lourde et on en mesure bien la portée. Hérédité a été un choc mémorable, et Midsommar une expérience hypnotisante. Mais Zach Cregger affiche une maîtrise qu’Ari Aster n’a jamais atteint à ce point. Tout aussi excellents étaient-ils, Hérédité avait contre lui sa fin flirtant avec le grotesque. Et Midsommar souffrait de quelques défauts de rythme. Évanouis, lui, est conjugué au presque-parfait. Y compris quand il ose de choses extrêmement casse-gueules. Comme le fait d’évacuer son postulat attendu et vendu par son pitch mystérieux dans un court prologue narré en voix off. Comme le fait d’utiliser une narration à chapitres, type d’écriture devenu sur-employé et souvent à mauvais escient pour masquer des manques d’idées. Ou comme quand il a l’audace de faire de l’humour grand-guignolesque sans pour autant que cela sonne faux dans un film au demeurant très sérieux. Constamment revitalisé par des idées d’écriture ou de mise en scène, Évanouis est une succession d’instants impressionnants dans un tout d’abord intrigant, puis fascinant, avant de devenir captivant et enfin terrifiant… voire hilarant ! Alors que le film conjugue l’épouvante glaçante et le drame banlieusard, Évanouis trace une diagonale d’angoisses passant par le deuil, la peur de l’irrationnel, la paranoïa et le trauma collectif d’une petite communauté.

Évanouis réunit habileté, efficacité et créativité, arguments au service d’un conte cruel où le surnaturel jaillit dans une tragédie dressant un portrait subtil d’une Amérique banlieusarde en crise et constamment en quête de coupables par peur du vide. Entre portraits de personnages traumatisés (chaque chapitre relate la trajectoire d’un protagoniste dans l’histoire façon Magnolia ou Pulp Fiction), scènes chocs et élans d’humour noir presque surréalistes, Évanouis est l’histoire d’une énigme qui passe par plein de tonalités. L’absurde répond à la peur, le gore répond aux éclats du drame et Zach Cregger tient tout ça avec une mainmise saisissante, et avec le concours d’une distribution d’exception (mention à une incroyable Amy Madigan). Si le cinéaste se laisse aller à quelques jump-scare faciles, il étale par ailleurs une mise en scène d’une richesse inouïe allant du plan-séquence aux travellings furieux, du silence tétanisant au fracas hystérique, en passant par la caméra à l’épaule immersive ou l’ampleur spectaculaire du blockbuster. Et à mesure que l’on avance dans ce cauchemar remarquablement structuré, le dérangeant s’invite à la fête jusqu’à un final qui risque de diviser entre partisans réjouis et détracteurs déçus. Le risque inhérent aux films animés par un mystère à percer.

Difficile d’en dire plus. Comme la plupart des films à énigme, Evanouis ne peut souffrir que d’un chose : ceux qui en diront trop. Préservez-vous, préservez les mystères qu’il vous réserve et plongez dès que possible dans le cauchemar le plus taré de l’année (oui, on prend encore des risques en disant ça). Evanouis est un film fou, du genre qui fait de l’indé dans le blockbuster, du genre qui marque, du genre dont on ressort groggy et retourné à l’envers après avoir eu de la peine, après avoir peur, après avoir été horrifié, après avoir laissé échapper quelques francs éclats de rire. Put*** que c’était bon !