La Mondo-Note :
Carte d’identité :
Nom : Stephen King’s Doctor Sleep
Père : Mike Flanagan
Date de naissance : 2019
Majorité : 3 octobre 2019
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h31 / Poids : NC
Genre : Epouvante
Livret de famille : Ewan McGregor, Rebecca Ferguson, Kyliegh Curran…
Signes particuliers : Doctor Sleep, ou quand Mike Flanagan se donna la mission de réconcilier l’écrit et le cinéma…
THE GOOD DOCTOR
NOTRE AVIS SUR DOCTOR SLEEP
Synopsis : Un nouveau chapitre de Shining de Stanley Kubrick. Encore profondément marqué par le traumatisme qu’il a vécu, enfant, à l’Overlook Hotel, Dan Torrance a dû se battre pour tenter de trouver un semblant de sérénité. Mais quand il rencontre Abra, courageuse adolescente aux dons extrasensoriels, ses vieux démons resurgissent. Car la jeune fille, consciente que Dan a les mêmes pouvoirs qu’elle, a besoin de son aide : elle cherche à lutter contre la redoutable Rose Claque et sa tribu du Nœud Vrai qui se nourrissent des dons d’innocents comme elle pour conquérir l’immortalité. Formant une alliance inattendue, Dan et Abra s’engagent dans un combat sans merci contre Rose. Face à l’innocence de la jeune fille et à sa manière d’accepter son don, Dan n’a d’autre choix que de mobiliser ses propres pouvoirs, même s’il doit affronter ses peurs et réveiller les fantômes du passé…
Ce n’est un secret pour personne, Stephen King déteste cordialement l’adaptation de son roman Shining par Stanley Kubrick. Seulement, n’en déplaise à l’un des écrivains du genre les plus populaires de notre époque, c’est à jamais la version cinéma d’un des réalisateurs les plus connus au monde qui restera dans les mémoires (et non le plus qu’oubliable téléfilm de 1997 validée par King). Ainsi, on imagine sans mal l’embarras dans lequel s’est retrouvé Mike Flanagan lorsqu’il s’est attaqué au projet de porter sur grand écran la suite littéraire à succès Doctor Sleep. Devait-il oui ou non éluder les images fortes du film restées dans toutes les têtes pour rebâtir les fondations nécessaires à la compréhension d’événements qui en sont en partie leurs conséquences ?
La facilité aurait été d’y faire référence seulement par des dialogues évoquant le passé de Danny Torrance (le petit garçon de Shining), mais Mike Flanagan n’est pas homme à choisir la solution la plus aisée quand il s’agit de partager au mieux les émotions indissociables de ce passé où le perfectionnisme visuel de Kubrick a pris une importance considérable dans leur ressenti. N’oublions pas que l’on parle ici d’un véritable petit génie en puissance de l’épouvante contemporaine, alliant constamment ce registre à un aspect dramatique où les failles les plus profondes de ses personnages priment dans sa déjà passionnante filmographie. L’espèce de perfection atteinte par la première saison de la série The Haunting… ne peut qu’en témoigner, de même que son précédent long-métrage, l’excellent Jessie, une adaptation d’un King réputé justement inadaptable à cause de la représentation a priori impossible de l’introspection contrainte de son héroïne.
Et encore une fois, Mike Flanagan a fait preuve d’une redoutable intelligence afin de concilier les points de vue de King et Kubrick en se posant dans un rôle de médiateur entre les deux. Impossible de gommer de l’imaginaire du spectateur, la symétrie marquante des plans de Kubrick, les décors si particuliers de l’hôtel Overlook, le visage de fou furieux de Nicholson, les yeux terrifiés de Shelley Duvall ou les « Redrum » répétés du petit Danny Llyod ? Alors, tout cela ne sera pas ignoré mais réapproprié et ravivé pour nous immerger le plus possible dans l’esprit de son héros malmené par ce traumatisme d’enfance. Grâce à des plans iconiques revisités par le regard moderne de Flanagan (et des astuces qui, on l’imagine sans peine, diviseront), la réminiscence de ces images sur l’état émotionnel du Danny Torrance répondra en effet à l’impact qu’elles ont eu sur le public au fil des années, et le conditionnera à éprouver le mal-être qui habite désormais le personnage. Mike Flanagan nous raconte bien évidemment un nouveau prolongement de cette histoire se basant avant tout sur l’écrit de Stephen King, mais il n’omet jamais rien du lien ténu entre passé et présent et en tire une force incroyable où les maux de Danny Torrance et les choix visuels de Kubrick forment un tout sous la forme de souvenirs partagés en communion par le personnage et le spectateur. Quelle approche audacieuse pour conjuguer deux visions qui s’opposaient jusqu’alors ! D’ailleurs, même King, beau joueur, n’a pu que saluer le talent de Flanagan à cet égard. On ne le contredira pas.
Au-delà de ce choix remarquable qui prendra encore plus de sens dans une certaine partie du film (et qui, toutefois, en montrera également la limite, notamment lors de la séquence d’un face-à-face capital), Doctor Sleep avait aussi pour handicap de partir d’un roman certes honorable mais, reconnaissons-le, mineur au regard de son prédécesseur et de bon nombre d’œuvres bien plus marquantes de King. L’élargissement de cette mythologie Shining passait néanmoins par des ramifications intéressantes (son incroyable antagoniste Rose The Hat ou une mise en lumière du Shining sous des perspectives inédites) mais, malgré la plaisante lecture qu’il représentait, l’ensemble se révélait moins indispensable que la puissance de l’histoire originale. Une fois de plus, on comptait sur l’instinct de Flanagan pour venir à bout de cette difficulté et élever le matériau d’origine à un niveau insoupçonné. Pari à nouveau relevé ! Même si Doctor Sleep version cinéma est sans doute trop long et n’évite parfois pas l’écueil de temporiser autour de son inéluctable affrontement final (il est même sans doute possible d’en deviner assez tôt la direction globale sans avoir lu le roman), son réalisateur va pourtant réussir l’exploit de rendre bien plus fort les mots de cette histoire par son sens virtuose de la mise en scène et sa capacité à nous plonger dans l’atmosphère troublante émanant de l’étrangeté des forces en présence. Cela commence par le Shining et la connexion qu’il induit entre les individus en ayant la connaissance, les passages « mentaux » du film (on ne peut en dire plus) frise constamment le génie par leur représentation, nous entraînant sans cesse avec eux dans des tableaux visuels où l’inventivité tutoie la fluidité pour nous faire ressentir le champ d’action d’un tel pouvoir et les connexions en dehors de toute réalité perceptible qu’il entraîne. Dans la mouvance de ces « contacts », Flanagan installe savamment les composantes de sa toile d’araignée où les personnages et les lieux s’entremêlent pour développer une tension de plus en plus oppressante, en résonance de la future confrontation/épée de Damoclès qui plane sur eux. Aux palpitations grandissantes des premiers échanges des héros et de la menace qui les guette, la bande-son répond avec des chœurs comme aspirés à l’unisson des morts laissés cruellement sur la route du camp adverse. Tout est d’ailleurs fait pour que l’on soit nous-mêmes irrésistiblement aspirés au sein de ses enjeux, les interactions entre Abra (Kyliegh Curran) et Rose (Rebecca Ferguson, absolument géniale) ne cessent de monter en puissance avec leur lot de faux-semblants dont les personnages et, par ricochet Flanagan, usent avec une maîtrise ne pouvant qu’emporter l’adhésion.
La dernière partie ne pourra laisser indifférent par l’espèce de point culminant de la démarche de Flanagan qu’elle représente sur bien des formes, elle est à la fois la rencontre de deux époques et celle du cinéma et de l’écrit soudainement fondus dans un moule cherchant à camoufler leurs spécificités respectives. Passons sur les artifices utilisés qui seront appréciés selon les goûts ou l’envie d’y croire de chacun, un défaut, peut-être le plus majeur du film, sera bien plus évident : le traitement de Danny Torrance. Comme on l’a explicité auparavant, le personnage sortait magnifié par la manière qu’avait Flanagan de nous faire renouer avec lui et, dans sa globalité, le film nous impliquera avec un certain brio dans sa remontée à la surface grâce à sa relation avec la petite Abra. Mais, arrivé dans le dernier acte, Danny semblera stagner et avoir un mal fou à vraiment exister, comme si le cadre et les deux autres protagonistes à ses côtés prenaient les devants de lui. Son rôle sera bien évidemment déterminant quant à la résolution de l’ensemble mais, au-delà des conséquences inhérentes à l’intrigue, on aura l’impression que le sort intime du personnage devient accessoire, l’artificialité (et la longueur) d’une scène que l’on évoquait déjà plus haut et dont la force supposée aurait dû exploser à l’écran, ne lui auront hélas pas assez rendu justice sur la conclusion malgré une certaine insistance. C’est peut-être là le seul grand échec de Mike Flanagan en fin de course, nous faire avoir vis-à-vis de Danny Torrance le ressenti d’un simple instrument à toute cette histoire alors qu’il aurait dû en être le cœur jusqu’à son terme…
Cela dit, ne boudons pas notre plaisir devant ce qui est la meilleure adaptation d’un roman de Stephen King depuis… eh bien… Jessie de ce même Mike Flanagan. Ce dernier s’impose comme le cinéaste le plus doué actuellement pour saisir l’essence d’une histoire de King et la retransmettre avec sa patte personnelle à l’écran. Après tout, il fallait bien un génie en devenir pour en réconcilier deux autres installés en leurs domaines. Avec Doctor Sleep, Mike Flanagan nous prouve encore un peu plus qu’il est bien parti pour les rejoindre dans leurs sommets…
BANDE-ANNONCE :
Par Frédéric Serbource
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