Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : The Broken Circle Breakdown
Père : Felix Van Groeningen
Livret de famille : Johan Heldenbergh (Didier), Veerle Baetens (Elise), Nell Cattrysse (Maybelle), Geert Van Rampelberg (William), Nils de Caster (Jok), Bobby Cleiren (Jimmy), Bert Huysentruyt (Jef), Jan Bijvoet (Koen)…
Date de naissance : 2012
Majorité au : 28 août 2013 (en salles)
Nationalité : Belgique
Taille : 1h52
Poids : Budget NC
Signes particuliers (+) : Un drame épidermique qui prend toute sa teneur et sa densité au fil des minutes, se refusant autant au trop lourdement irrespirable qu’à la légèreté frivole de mauvais goût. L’équilibre juste entre le sérieux implacable de la tragédie et la romance passionnelle au doux son de la musique bluegrass, lui confère le caractère singulier qui fait sa force alors que son histoire prend aux tripes, élevée dans sa dimension artistique par le foudroyant talent de ses interprètes.
Signes particuliers (-) : Une entame qui laisse un temps perplexe…. avant que le film ne vous retourne comme une crêpe.
LA GUERRE EST DE NOUVEAU DÉCLARÉE MAIS AVEC LES BONNES ARMES
Résumé : Elise et Didier vivent une romance passionnée. Lui est musicien dans un groupe de bluegrass, elle est tatoueuse. Ensemble, ils auront Maybelle, une petite fille adorable, rattrapée par le fléau du cancer…
Le phénomène belge The Broken Circle Breakdown s’apprête à traverser la frontière pour tenter sa chance dans les salles françaises quelques semaines après son phénoménal succès en Belgique flamande et aux Pays-Bas. Ce cinquième film du réalisateur de La Merditude des Choses est précédé d’une réputation sensationnelle pour un film venu du plat pays, loué aux festivals de Berlin et de Tribeca. Felix Van Groeningen s’est emparé du sujet de ce qui était une pièce de théâtre à l’origine, une histoire émotionnellement très forte rappelant le récent drame français à succès La Guerre est Déclarée puisqu’il y est également question de la tragédie d’un couple passionnément amoureux et confronté à la pire des horreurs avec le crime injuste et naturel d’avoir un enfant atteint du cancer. Les auteurs de la pièce originelle n’ayant pas souhaité prendre part à la transposition, Van Groeningen s’est tourné vers un scénariste estimé (Carl Joos) pour travailler à quatre mains sur ce projet délicat qui peut vite vaciller s’il n’est pas abordé avec tact, délicatesse et précaution d’écriture. Si le coauteur Johan Heldenbergh n’a pas voulu participer au travail d’écriture, il aura en revanche accepté la proposition du cinéaste de reprendre son rôle qu’il tenait déjà dans la pièce, celui du père. Il sera associé dans la version cinématographique à la comédienne Veerle Baetens, star de la télévision (elle jouait dans Sara, la version flamande d’Ugly Betty) considérée néanmoins comme l’une des meilleures actrices de son pays.
Traduit en France sous le titre Alabama Monroe, ce dernier film de Felix Van Groeningen a tout de la bête de festival, film d’auteur bouleversant, poignant, abordé avec beaucoup de sensibilité et bien entendu, des intentions qui partent à l’opposé du gros mélo larmoyant appuyé. La démarche de fond est d’ailleurs sensiblement la même que celle de La Guerre est Déclarée, essayer d’articuler au drame, des errements emprunt de légèreté qui lui offriront des respirations. Si Valérie Donzelli avait choisi une esthétique pop colorée et une forme de décalage ambiant pour introduire un peu de légèreté par l’humour, Van Groeningen s’appuie sur la musique, l’autre réservoir thématique de la pièce d’origine. Le cinéaste part dans une direction plus sobre, moins « décalée » et entremêle romance puissante, passion frissonnante pour la musique country et bluegrass et bien entendu le drame source. Son film pourrait être perçu en quelque sorte comme un mélange du Crazy Heart de Scott Cooper (merveille avec Jeff Bridges) conjugué au Restless de Gus Van Sant et à La Guerre est Déclarée, seulement pour sa thématique commune. Car rien ne rapproche Alabama Monroe de l’insupportable exercice de style exutoire de Donzelli (qui racontait sa propre histoire) qui cumulait tous les défauts et risques possibles inhérents à sa tentative d’auto-portrait dramatique.
L’ancrage à la vision d’Alabama Monroe est difficile car de prime abord, il est aussi attachant qu’énervant, l’arrière-train posé entre deux chaises. Sur-écrit, sur-mis en scène, sur-construit, parasité par un tas d’éléments renvoyant à des notes de symbolique discrètement placées, il étale une artificialité du langage cinématographique qui fait craindre le manque de sincérité simple et épurée dans sa démarche poseuse, comme une œuvre sous forte influence du cinéma indépendant américain type « sundance-ssien ». Van Groeningen semble ne pas se préoccuper de son propre film à force d’avoir l’œil rivé sur un style indé à la mode en plus de s’acoquiner à des éléments métaphoriques lourds en appelant à du mauvais Gus Van Sant. Enfin, reste le cas de sa construction éclatée sans cesse dans l’aller et retour temporel. Un effet de rhétorique qui veut lui permettre d’esquiver l’iceberg du pathos tragique écrasant en éventant rapidement les enjeux pour ne pas tomber dans l’emphase dramatique soudaine, mais comme le Titanic, Alabama Monroe fonce dessus prêt à l’effleurer assez pour créer une brèche dans la coque. Cette tournure de construction dramatique maniérée et sans cesse réfléchie, articulée à des moments spécifiques choisis pour toucher à grands coups de coude dans le bras, est bien partie pour barrer la route au naturel et fonctionne comme une chape de plomb empêchant le film de se laisser aller et de prendre son envol gracieux au-delà de la lourdeur de son histoire. Mais voilà, l’ensemble ne manque pourtant pas de charme et convainc assez rapidement qu’il ne sera pas un autre La Guerre est Déclarée, car au-delà du redouté, l’horripilant ne vient finalement jamais même s’il semble traîner ses guêtres pas loin…
Et quelques dizaines de minutes passant, Alabama Monroe balaie les craintes et les angoisses, sa poésie chatoyante, sa patte presque onirique sensible et bouleversante, son approche juste des situations, finissant par retourner une œuvre mal engagée. L’ensemble se dessine lentement mais puissamment au rythme des beaux moments de grâce, des belles images, des beaux plans, au son d’une musique envoûtante qui invite à la balade triste. Les passages brillants se multiplient, s’enchaînent, s’emboitent, tant dans la dureté (la dispute désespérée où les deux personnages se renvoient leur propre culpabilité face à face, ou les violentes prises de position politisées nourrie à la douleur du quotidien inexprimée) que dans la légèreté (les scènes passionnelles ou celles musicales créant le décalage d’avec la lourdeur du sujet en y invitant une certaine forme d’apaisement régénérant l’air ambiant d’une atmosphère suffocante par des bouffées de fraîcheur aérant l’histoire en y amenant une luminosité touchante).
Le positif l’emporte sans équivoque. Alabama Monroe est une attachante et délicate immersion douloureuse dans la pire des tragédies parentales, défiant la prétention pompeuse autant que la simplicité mélodramatique facile. Fort à parier il saura trouver le chemin des cœurs, qu’il plaira et convaincra comme il a déjà convaincu le plus grand nombre. Car il sait habilement caresser dans le sens du poil tout en se dédouanant du statut de mélo sur-appuyé classique, jouant la carte du cinéma d’auteur différent en dehors des conventions classiques mainstream tout en trouvant son propre ton et sa propre justesse d’approche dans ce cinéma-là. Alabama Monroe évite au final non sans génie le piège du misérabilisme outrancier malgré l’infini tristesse de son drame grâce à un subtil équilibre trouvé liant l’éprouvant à l’incarnation de la beauté transcendantale. Van Groeningen a beau nous conter l’abominable, il parvient par son montage étudié et finalement fluide et créatif, à désamorcer la lourdeur des situations et à éclairer les zones sombres par une hymne à la vie privilégiant la lutte optimiste au défaitisme fataliste même s’il peut parfois donner l’impression du contraire. La seule continuité qui persiste entre les nuances de tonalités déployées, est l’émotion à fleur de peau, dans le sens de la beauté comme dans celui du chagrin. Une émotion qui n’aurait pas pu opérer si le cinéaste n’avait pas eu à disposition deux exceptionnels comédiens au charisme magnétique auxquels il est impératif de tirer un immense coup de chapeau. Johan Heldenbergh et Veerle Baetens donnent à l’arrivée toute la force de cette résonnante histoire d’amour filiale et familiale. Intense, Alabama Monroe est un petit chef d’œuvre étincelant, très élaboré, parfois un peu trop, mais résolument magnifique. Le couple Elise et Didier et leur petite Maybelle ont de quoi hanter le cinéma belge et d’ailleurs, et ce pendant longtemps. La rage remuante et la justesse de ce bijou intelligent et jamais ostentatoire fait oublier instantanément cette insupportable Guerre est Déclarée, trop vite érigée au rang de joyau sur le sujet.
Bande-annonce :