Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : L’inconnu du lac
Père : Alain Guiraudie
Livret de famille : Pierre Deladonchamps (Franck), Christophe Paou (Michel), Patrick d’Assumçao (Henri), Jérôme Chappatte (l’inspecteur), Mathieu Vervish (Eric), Gilbert Traina (l’homme du mardi soir), Emmanuel Daumas (Philippe), Sébastien Badachaoui (le copain d’Eric)…
Date de naissance : 2013 (sortie DVD le 12/06/13)
Nationalité : France
Taille/Poids : 1h37 – 1,3 million €
Signes particuliers (+) : Un immense film impressionnant par l’intelligence de son découpage et la splendeur de sa mise en scène au service d’un huis clos à ciel ouvert parlant d’amour fou, de passion, de désir brûlant, de mort et de danger. Guiraudie détourne les codes traditionnels pour un cinéma-vérité cru et sincère, avec cette immersion en milieu gay…
Signes particuliers (-) : Si le fond est une ode au véritable amour fou qui met en danger, la forme pourrait faire reculer l’image de la communauté homosexuelle par l’excessivité de sa complaisance et de son voyeurisme quant-à ses nombreuses scènes de sexe très crues entre fascination et répulsion.
UN, DEUX, TROIS, NOUS ALLONS AU BOIS…
Résumé : Un lac bordé d’un bois dans le sud de la France, est le théâtre d’un jeu de drague entre homosexuels venant y chercher amour, sexe frivole ou compagnie. Franck, un jeune homme sympathique et avenant, y tombe sous le charme du beau mais mystérieux Michel…
Présenté à Cannes, dans la sélection « Un certain Regard », d’où il repartira avec le peu conventionnel prix de la Queer Palm, L’Inconnu du Lac aura autant fait parler de lui dans qu’en dehors des cinémas. « Dans », par les louanges recueillies par un film perçu comme le meilleur de son auteur et par le bouche-à-oreille autour de la crudité de ses scènes de sexe qui confrontent frontalement le spectateur à l’articulation de l’amour noble ou de l’amour passion d’avec l’acte amoureux lui-même et sa trivialité, images reçues entre impressions choquées et fascination, c’est selon. Et en dehors, pour des motifs moins « artistiques », par la polémique déclenchée par la censure des affiches du film, décrétée dans certaines villes d’Ile de France régie par la bonne morale pieuse et « sur-catholisante ». Car oui, L’Inconnu du Lac touche à un thème sensible et à plus forte raison ces temps-ci avec la triste montée en force de l’homophobie conditionnée aux récentes vagues engendrées par la polémique de la légalisation du « mariage pour tous » : l’homosexualité dans sa plus formelle expression. Frappé d’une interdiction aux moins de 16 ans pour la radicalité avec laquelle le cinéaste met en images les déambulations sexuelles et la recherche de l’amour d’un jeune homosexuel autour d’un bois entourant une bordure de lac fréquentée essentiellement par des membres de la communauté gay locale, dans le sud de la France, L’Inconnu du Lac est la preuve d’un cinéma d’auteur français encore capable de fulgurances.
Alain Guiraudie s’est toujours passionné pour la thématique de la sexualité à l’écran et décide d’approfondir le rapport qu’entretient son cinéma vis-à-vis d’elle. Par l’entremise d’un drame mâtiné de thriller noir, le metteur en scène pose ses valises et ses caméras sur un lieu unique qui sera le seul théâtre de l’action de son film étalée sur une poignée de jours d’été où un déversement de passion torride embrasera la pellicule avec comme continuité thématique, l’expression du désir extrême assujetti aux dangers de la passion brûlante menant sur des sentiers risqués. Il filmera beaucoup, des heures de rushes, malgré l’aspect minimaliste de son récit, essentiellement des échanges, des paysages, des scènes de sexe très intimes aussi (pour lesquelles il engagera des doubleurs, pour ceux qui se poseraient la question) et c’est l’assemblage de tout ça dans un découpage faussement redondant mais réellement magistral, qui formera les pérégrinations sexualo-romantiques saisies à vif, d’un jeune et attachant homosexuel, Franck, partagé en frivolité et sincérité des sentiments, émoustillé par la passion, l’envie d’aimer et le désir charnel et sentimental éprouvé pour un « bel et sombre inconnu » comme dirait Woody Allen, dans un film qui prend de vagues allures de version revisitée du Petit Chaperon Rouge inoffensif confronté au Grand Méchant Loup étrangement troublant et avançant à pas masqués.
Chaque jour, aux mêmes heures de la journée, Guiraudie amène et promène son personnage sur le même lieu, cette même plage et ce même bois qui l’entoure, peuplés d’une sympathique petite galerie de personnages récurrents que l’on retrouve ainsi avec une certaine familiarité due à la récurrence de ces « entrées » quotidiennes dans ce terrain de jeu, de drague et de « baise » gentiment irréel. Le film, comme découpé en chapitres où chaque jour passé fait avancer le portrait et l’histoire presque fantastique et fantasmée de Franck, nous ballade sur un ton tragi-comique partagé entre humour et tension, dans cet univers gay-friendly qui sait s’effacer sur le fond derrière une sublime peinture du désir-danger où lorsqu’il nous emmène à prendre des risques inconsidérés, poussé par une force de la passion irrationnelle, par la fascination mêlée au charisme d’autrui. Film sur l’homosexualité ou sur le désir, L’Inconnu du Lac est un peu des deux mais à-coups sûrs, il est un poème sensuel, harmonieux, gravitationnel, qui nous attire dans ses filets avec une forme de douceur tranchante d’avec la brutalité des scènes de sexe filmées sans détours, sans masques, sans fausse pudeur, imprimant une sensation de séduction/répulsion. Le huis-clos ouvert dans la nature que compose Guiraudie est saisissant dans sa façon d’analyser les relations humaines où l’amour et l’amitié sont exposés dans toutes leurs formes dans un ensemble d’une cohérence thématique et visuelle qui force le respect et l’éloge.
Et que dire plastiquement… L’Inconnu du Lac confère là-aussi au chef d’œuvre avec sa photo magnifique, d’un naturalisme aussi absolu que parfait, magnifiant les décors incarnés de cette berge de lac et de ce bois délirant. Minimaliste, épurée, la mise en scène de Guiraudie est elle-aussi étourdissante de simplicité et pourtant, d’une élégance rare quand elle se met au service d’une ambiance troublante, joviale, féérique, politique ou angoissante. Elle sert sur un plateau d’argent ce conte noir qui débute comme une ballade érotique et libertine pour virer au polar sous tension. De la naïveté de son héros candide, sous la coupe d’un homme attractif comme un aimant, Guiraudie virevolte, répète ses scènes pour saisir toute la palette de l’amour, de sa beauté enivrante à sa beauté éphémère en passant par sa beauté quand il met en danger.
Chef d’œuvre aimantant et captivant tendant vers le film définitif sur l’univers homosexuel ? Oui et non. Oui car au-delà de certains questionnements, L’Inconnu du Lac est un immense film. Mais un film également matière à dérangement. Sert-il la cause gay ? Fait-il avancer le débat ? On ne peut s’empêcher de se poser la question par la focalisation du film autour d’une facette de la communauté gay qui, certes s’ouvre sur autre chose, mais qui sur une vision primaire, reste dérangeante. Les errements sexuels, les flirts fortuits, sans conséquence, ni condition, sans attache, partout et nulle part, à la vue de tous ou isolés, à même la plage ou dans ce bois, à la fois terrain de jeu drôle et sorte de baisodrome à ciel ouvert glauque et presque pathétique, laissent planer une certaine forme de peinture bestiale de la communauté sans notions de morale convoquées, de dignité ou de respect de soi, tirant presque vers un sorte de freakshow mettant mal à l’aise et dans une position dénigrante inconfortable. Guiraudie pourtant, essaie de plus s’orienter vers un esprit d’hédonisme frivole amusant et léger, plein d’insouciance touchante, que l’on peut admettre après mûre réflexion mais sa caméra extrêmement complaisante ne nous épargnant rien des scènes de nudité, de caressages ou d’embrassades, de sodomies, fellations, masturbations, éjaculations, accumule à un tel degré voyeuriste ces moments intimes offerts à la vue du spectateur, qu’elle termine le travail de rendre ce spectacle presque gênant d’impudeur. Le film avait-il besoin de cette enfilade (sans mauvais jeu de mot) de plans crus filmés en cadrage serré ? On peut comprendre l’envie d’esquiver les traditionnels détours empruntés par le cinéma plus puritain qu’il ne veut bien l’admettre, l’envie d’entrechoquer les différents visages de l’amour torride, mais à partir de combien de séquences peut-on parler de film porno-gay ? L’Inconnu du Lac peut en effet prétendre à en être un. Et si la communauté gay ne se résume pas à cela et s’il e s’agit pas des intentions finales du film, dans sa globalité, son déséquilibre laisse entrevoir une facette qui prend de trop le pas sur une autre. La recherche de l »amour sincère se noie un peu dans cette débauche de luxure aux apparences salissantes et dégradantes. L’Inconnu du Lac a un peu ce défaut d’être excessif dans ses nobles visées.
Bande-annonce :
rien a dire