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MEKTOUB MY LOVE : CANTO DUE d’Abdellatif Kechiche : la critique du film

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Nom : Mektoub my love : Canto Due
Père : Abdellatif Kechiche
Date de naissance : 03 décembre 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 2h14 / Poids : NC
Genre : Chronique, Comédie, Drame, Romance

Livret de Famille : Shaïn BoumedineOphélie BauJessica Pennington, Salim Kechiouche, André Jacobs, Dany Martial, Hefsia Herzi, Lou Luttiau…

Signes particuliers : Magistralement Kechiche !

Synopsis : Amin revient à Sète après ses études à Paris, rêvant toujours de cinéma. Un producteur Américain en vacance s’intéresse par hasard à son projet, Les Principes essentiels de l’existence universelle, et veut que sa femme, Jess, en soit l’héroïne. Mais le destin, capricieux, impose ses propres règles.

LA MAGIE KECHICHE OPÈRE ENCORE

NOTRE AVIS SUR MEKTOUB MY LOVE : CANTO DUE

Dans une vie de cinéphile, il y aura toujours quelques regrets ou frustrations. La nôtre, c’est de ne jamais avoir eu la chance de pouvoir découvrir Mektoub My Love : Intermezzo d’Abdellatif Kechiche, montré à Cannes en 2019 et privé ensuite de distribution en salles pour de nombreuses raisons (polémique concernant le montage, liquidation de la société du cinéaste, coût des droits d’auteur, échec commercial du volet précédent). Intermezzo était le trait d’union entre Canto Uno et Canto Due, sa suite. Enfin, un gros trait d’union de près 4 heures suivant les personnages de la trilogie Mektoub le temps d’une soirée en boîte de nuit… en temps réel. En découvrant enfin Mektoub my love : Canto Due, sept ans après Canto Uno, on y repense forcément. Mais on ne le verra probablement jamais, et à coup sûr jamais dans sa version originelle. Il va falloir se faire une raison, tant pis. Au moins, on a Canto Due et avouons-le, on a eu peur d’en être privé aussi pour des raisons similaires. Tourné en même temps que tout le reste à l’été 2016 et en montage pendant des années, Canto Due prolonge l’histoire d’Amin, Ophélie, Tony, Céline et les autres. Nous sommes toujours à Sète, et l’été 1994 touche à sa fin. Ophélie va se marier avec Clément mais elle découvre être enceinte de Tony. Amin a lâché médecine et veut faire du cinéma. Tony drague toujours autant et Céline est toujours l’amoureuse transit d’Amin. Au milieu d’une fin d’été qui continue de faire battre des cœurs, un producteur américain et son actrice de femme passent leurs vacances dans le coin.

Aaaaaaaaah Kechiche… Tout un poème. Dans le genre cinéaste clivant, le réalisateur de La Vie d’Adèle se pose là. Monstre égocentrique et tyrannique pour les uns, cinéaste de l’ennui ou génie naturaliste pour les autres, le cas Kechiche cristallise des passions cinéphiles exacerbées, des points de vue tranchés sur la notion de l’artiste, des visions du cinéma aussi. Pour les amoureux de son travail, les retrouvailles étaient très attendues. Canto Uno n’existait que parce qu’il allait y avoir Canto Due et vice versa. Il ne s’agissait pas de deux films distincts mais d’une seule et même oeuvre scindée. Sept ans, ce fut long. Mais l’attente en valait la peine. L’immense projet Mektoub my love dévoile enfin sa conclusion et elle a la hauteur des espérances, à la hauteur de son premier volet, à la hauteur de la vision du cinéma de Kechiche, à la hauteur de l’effervescence vivifiante d’un portrait de la jeunesse qui vit.

Avec Canto Due, le cinéaste signe une deuxième partie à la fois fidèle et différente. Moins sulfureuse, moins polémique, moins transgressive, moins longue, cette « suite » prend un chemin plus espiègle, plus drôle, plus crépusculaire, un brin plus narratif aussi. Mais le sel du cinéma kechichien est toujours là. Une fois encore, les maîtres-mots sont le naturel, la spontanéité, l’envie de montrer ce que le cinéma ne montre pas d’habitude, l’envie de sublimer une jeunesse qui vibre, l’envie de nous donner envie comme dirait Johnny. Au diable la sur-écriture d’intrigues forcées, au diable les narrations traditionnelles, le sur-montage et le sacro-saint impératif de rythme, Kechiche est un expérimentaliste qui veut filmer l’authenticité, la vie dans toute sa chair, sa pureté, ses tourments, sa véracité, son rythme. Mené par son amour inconditionnel pour l’hyperréalisme, Kechiche invite à nouveau dans l’écran ce que l’on en évacue d’ordinaire, soi-disant parce que ce n’est « pas intéressant ». Il montre des personnages qui partagent, qui rient, qui mangent, qui parlent, qui réfléchissent, qui dansent, qui baisent, qui pissent, qui dorment. Et la magie se reforme à l’écran. Comment ne s’ennuie t-on pas devant des banalités ? Tout simplement parce que Kechiche sait raconter des choses sans donner l’impression de raconter des choses. Parce qu’il sait que la vie est une aventure en soi, donc la filmer dans toute son authenticité donne forcément des aventures à l’écran.

C’est une nouvelle fois le cas avec Canto Due. Ophélie essaie de contenir son tiraillement inavoué entre deux hommes, Amin entrevoit une porte vers le monde du cinéma à travers sa rencontre hasardeuse avec ce producteur américain et cette actrice de soap, la gouaille de son cousin Tony en est la clé pour que ça marche mais aussi le danger pour que tout foire. Et puis il y a Céline, qui est amoureuse d’un garçon qui ne la regarde pas avec les mêmes yeux en retour. Et il y a une mère en alerte mais qui donne le change mais se méfie, un oncle jovial, des sœurs qui s’aiment, une Camélia saoulée par les chichis de ses américains friqués qui croient que tout leur est dû, un homme jaloux et une comédienne qui ne supporte plus la pression. En quelques personnages, Canto Due résume la vie. On y trouve du drame, de la comédie, de la romance et du romanesque, des possibilités de succès, des risques d’échecs, de la joie, des peines, de la mélancolie, des affables et des timides, des extravertis et des taciturnes, du soleil, des larmes, du piment, et surtout des moments. C’est ça la vie selon Kechiche, une succession de moments, certains plus marquants que d’autres. Et c’est ce que fait le cinéaste, filmer des moments plus ou moins truculents ou importants, avec la malice d’aller jusqu’à même glisser un côté sitcom, du suspens, voire un soupçon de thriller domestique. Et pourquoi pas ? Ça existe aussi.

Moins cru mais peut-être plus lyrique, Canto Due n’est pas une suite assagie mais juste un fabuleux prolongement crépusculaire à l’histoire en cours. Un prolongement enchanteur dans lequel Abdellatif Kechiche reste fidèle à lui-même, sa philosophie, ses principes et intentions de cinéma. Un prolongement au détour duquel il réussit à nouveau l’exploit de dire des choses avec la subtilité de la chronique éprise de naturel. Le cinéaste parle de la vie et ses mille et un reflets, il parle d’amour, de rêves, d’épanouissements, de tiraillements, il parle du cinéma aussi à travers cette actrice broyée par la pression ou ce producteur yankee réduisant l’art au mercantilisme et la création au formatage. Kechiche aurait-il des comptes à régler et le ferait-il à travers ce personnage ?

Magnifique parenthèse de cinéma-vérité qui n’a pas peur du temps réel, des longs moments, des hésitations ou des silences, Canto Due est un nouveau bijou dont le seul défaut est d’avoir été considérablement monté pendant des années. On sent qu’il y avait la place pour dilater le temps et laisser encore plus d’espace pour qu’un Canto Tre existe, d’autant que l’on quitte le film avec la petite frustration d’un récit non achevé qui se termine étonnamment en l’air. Était-ce d’ailleurs vraiment prévu comme ça ? Une chose est sûre, cet univers va nous manquer, ces comédiens et comédiennes vont nous manquer, autant que leurs personnages que l’on aura tant aimés. Mais il restera des images gravées pour l’éternité. Des corps olympiens, des courbes mouillées sous le soleil du sud, des regard amoureux, des sourires imparables, des visages, des voix qui font résonner des conversations authentiques. Vive Mektoub my love, vive Kechiche, vive ce cinéma !

 

Par Nicolas Rieux

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