Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Yi dai zong shi
Père : Wong Kar-Wai
Livret de famille : Tony Leung Chiu Wai (Ip Man), Zhang Ziyi (Gong Er), Chang Chen (La Lame), Qingxiang Wang (Baosen), Tielong Shang (Jiang), Zhao Benshan (Ding), Jin Zhang (Ma San)…
Date de naissance : 2013 / Nationalité : Hong Kong, Chine, France
Taille/Poids : 2h02 – Env. 38 millions $
Signes particuliers (+) : Un arc dramatico-mélancolique fort au service d’une superbe peinture de l’art martial dans toute son essence. Des fulgurances esthétiques magnifiant quelques scènes d’anthologie.
Signes particuliers (-) : Un film pourtant raté, mis en échec par le manque d’humilité de WKW accordant plus d’importance à son esthétisme forcé permanent qu’à tout le reste. Sauf que comme le dit le film lui-même, le talent et la technique ne font pas tout. The Grandmaster gâche son fond pourtant transpirant, en se résumant à cela, en le noyant dans son artificialité auteuriste et ses velléités d’essai filmique confus.
LE COMPLEXE DE L’ARTISTE SANS COMPLEXES
Résumé : Dans la Chine de 1936, Ip Man est un maître du Wing Chun. Heureux, aisé, il prospère à Foshan où il est respecté par ses pairs. Quand le Grand maître Baosen, à la tête de l’Ordre des arts Martiaux Chinois, se rend dans le Sud avec sa fille Gong Er pour une cérémonie d’adieu alors qu’il s’apprête désigner son successeur, une succession d’évènements va changer à jamais sa vie ainsi que celle de Gong Er à commencer par son assassinat par un de ses disciples puis l’invasion japonaise…
Wong Kar-Wai, c’est un peu quelque part le Terrence Malik asiatique. Il lui faut beaucoup de temps pour penser un projet, le préparer et généralement encore plus pour le tourner, et chacun de ses nouveaux films sort aujourd’hui précédé d’un effet « événement » surtout depuis 1997, après sa période la plus prolifique qui l’a fait connaître au monde entier avec ses « classiques » qui ont révélé son style singulier. Quatre ans entre In The Mood for Love et 2046, trois entre celui-ci et My Blueberry Nights et cinq entre ce dernier et son nouveau long-métrage, The Grandmaster, sorti cette semaine après une gestation évoquée par le metteur en scène de près de dix ans. Et pour appuyer l’événement de l’accouchement douloureux de son nouveau-né, le film sera présenté en ouverture du prestigieux festival de Berlin avant de sortir en salles en Europe.
Wong Kar-Wai n’avait plus touché à l’univers des arts martiaux depuis Les Cendres du Temps en 1994, voilà près de vingt ans. Et pour l’occasion, le cinéaste se penche sur une figure légendaire de la culture chinoise, Ip Man, artiste martial de renom qui au-delà de l’anecdote d’avoir eu Bruce Lee comme élève, est avant tout l’homme qui aura popularisé et diffusé mondialement le Wing Chun, un courant martial traditionnel chinois mêlant techniques de combat rapproché et maniement d’armes telles que le couteau deux lames et surtout le bâton long. Récemment, le personnage a eu lieu a un dytique formidable réalisé par Wilson Yip avec Donnie Yen en vedette et un autre par Herman Yau, plus médiocre et anecdotique. Autant dire que Ip Man a le vent en poupe ces derniers temps, un peu comme Wong Fei-Hung pendant de longues années (magnifié à l’écran par Tsui Hark dans la saga des Il Etait une Fois en Chine).
Pour l’occasion, Wong Kar-Wai réunit à l’écran deux acteurs avec lesquels il a déjà travaillé, d’abord l’incontournable Tony Leung, avec qui il collabore pour la septième fois et la belle Zhang Ziyi qu’il avait déjà dirigée sur 2046, déjà aux côtés de Tony Leung. Question chorégraphie, composante forcément majeure compte tenu du sujet, le cinéaste fait appel au plus grand nom qui soit dans le milieu du cinéma, Yuen Woo-Ping. Après un entraînement intensif pour les comédiens afin d’être au être au point, Wong Kar-Wai peut enfin livrer sa vision plus que d’un homme auquel il rattache de toute façon quantité de personnages fictifs (en fait, tous en dehors de Ip Man) mais celle d’un art martial et de tout ce qu’il implique de philosophie de vie. En fait, The Grandmaster n’est pas à proprement parler une biographie fidèle à l’histoire de Ip Man mais plus un film sur les arts martiaux en général, sur ce que leur pratique impliquait à son âge d’or, entre exigences et éthique personnelles, respect de traditions séculaires et recherche sur soi. De fait, The Grandmaster est avant un drame presque tragique parlant des Maîtres martiaux, de leur abnégation face à leur art, et montrant comment certains ont pu ne jamais perdre un seul combat si ce n’est celui face à eux-mêmes.
A ceux qui s’attendaient à une superbe fresque historique dans la grande tradition des œuvres sino-hongkongaises du genre, attention, la descente peut-être dure. Venant d’un artiste comme Wong Kar-Wai, il fallait s’attendre à un film « différent ». Le cinéaste ne change pas son style pour s’abandonner au genre qu’il aborde mais l’incorpore dans son style. L’inverse du travail de Takashi Miike par exemple sur son 13 Assassins quand ce dernier s’est penché avec élégance sur les samouraïs. Et constat d’échec, Wong Kar-Wai s’est perdu dans son sujet, livrant un film plastiquement somptueux, ultra-léché et artistique mais aussi profondément erratique à la limite de la superproduction fumeuse qui ne comprend pas ce qu’elle énonce.
The Grandmaster explique bien, en parlant des arts martiaux, que la technique ne fait pas tout, le talent non plus. Dommage alors que Wong Kar-Wai n’est pas suivi cette voie et cet enseignement pour l’appliquer à sa dernière œuvre. Son film est certes magnifique esthétiquement parlant, une œuvre traversée de fulgurances éblouissantes dévoilant toute le talent et la technique d’un auteur particulièrement doué dans son travail sur l’image, le son, les cadrages, le montage. Wong Kar-Wai s’est y faire avec le matériau cinématographique et le prouve encore une fois en magnifiant son sujet, en élevant l’art martial au-delà du simple « sport de combat » pour en dévoiler toute la philosophie de vie et d’esprit qui l’animent. Malheureusement, sa technique et son talent indéniable ne suffisent pas à donner de l’incarnation à son The Grandmaster qui apparaît plus comme une très longue traversée dans le style du metteur en scène qui déploie son savoir-faire à outrance sans jamais donner de l’âme à un film qui en est fortement dépourvu et qui se résume presque seulement à son esthétisme forcé permanent presque fatigant. Mise en scène poseuse, sur-léchée inutilement, manquant à la fois de simplicité, d’humilité et d’épuration stylistique, cadrage abscons, ralentis incessants (à se demander si tout le métrage n’aurait pas été ralenti en post-production comme on post-convertirait un film en 3D après tournage), pluie artificielle au moindre combat pour renforcer la maestria des gestes, Wong Kar-Wai s’est concentré essentiellement sur son travail esthétique au lieu de faire un film qui aurait pris appui sur son immense travail de recherche sur son sujet, lui qui est allé à la rencontre de tout un tas d’artistes martiaux pour parler avec eux, les comprendre, comprendre leur art, leur vie, leurs exigences. Le fond y est d’ailleurs et transpire d’un film qui aurait pu être passionnant s’il n’avait pas été handicapé par cette volonté auteurisante extrême qui manque presque de sincérité et qui semble remplacer le discours pour devenir la visée prioritaire. Et c’est bien dommage. The Grandmaster, avec en prime sa construction narrative chaotique multipliant les allers et retours temporels confus, devient un patchwork disparate et dispersé dans ses velléités d’essai cinématographique et Wong Kar-Wai en chef d’orchestre passe pour un artiste ascète vouant religieusement son travail à composer une œuvre morte, décousue et se décomposant au fur et à mesure que ses coutures éclatent les unes après les autres devant l’évidence d’un résultat respirant le contentement des amateurs d’expérimentalisme facile.
The Grandmaster avait tout pour être un film prodigieux, une œuvre sensorielle et sublime nourrissant autant l’esprit que les yeux devant des combats magnifiquement chorégraphiés par Yuen Woo-Ping. Mais pour cela, eut-il encore fallu que WKW tempère ses envolées stylistiques, qu’il essaie de faire un film au lieu de s’acharner à vouloir faire de chaque plan un tableau de maître au point qu’il ne reste plus que sa technique plastique à se mettre sous la dent dans un film, non pas vide de sens car le fond du sujet est là continuellement, mais au formalisme trop accru pour qu’il laisse place à autre chose. Au fond, Wong Kar-Wai cerne bien la question de l’art martial et de ce qu’il implique autant qu’il ne brosse un superbe portrait de sa complexité entre ses nombreux courants, écoles, maîtres, techniques et inspirations (les 64 mains, le Wing Chun, le Ba Gua…) mais par égocentrisme, il préfère se regarder filmer avant toute chose et donne plus de priorité à son travail à lui qu’à celui des grands hommes dont il souhaite parler. Le spectateur est dès lors condamné à devoir gratter derrière cet esthétisme de façade, ce vernis sur-appuyé, pour aller chercher les thématiques qui jalonnent un film pourtant riche et crépusculaire sur l’âge d’or des arts martiaux à leur degré le plus élevé, sur les traditions et les idéaux qui ont façonné leurs philosophies, sur les hommes exemplaires qui l’ont faire vivre séculairement, et sur comment cet âge d’or a pris fin tristement avec la disparition progressive de ces sages d’antan et le basculement du monde chinois traditionnel quand les coups portés, de l’invasion japonaise à la deuxième guerre mondiale puis l’arrivée du communisme, lui ont été fatals. Des thématiques abordées par le prisme de personnages qui se sont voués à leur art sans jamais faillir si ce n’est dans le combat qu’il ont mené face à eux-mêmes, ce qui renforçait extraordinairement le scénario déployé par Wong Kar-Wai en lui conférant une dimension mélancolique et dramatique passionnante. Oui, The Grandmaster avait tout du grand film, du chef d’œuvre même. Malheureusement, il restera à jamais associé à un auteur qui n’a pas su se fondre dans son sujet et qui a préféré se mettre en avant, gâchant son œuvre poétique certes mais trop artificielle et sentant le préfabriqué, par sa mégalomanie auteuriste.
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