Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Trumbo
Père : Jay Roach
Date de naissance : 2015
Majorité : 27 avril 2016
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h00 / Poids : NC
Genre : Biopic, Drame
Livret de famille : Bryan Cranston, Diane Lane, Helen Mirren, Michael Stuhlbarg, Louis C.K., John Goodman, Adewale Akinnuoye-Agbaje, Elle Fanning, Alan Tudyk…
Signes particuliers : Un biopic ludique, de quoi séduire les néophytes mais frustrer les plus connaisseurs de la question.
DÉLIT ET DÉNI D’OPINION
LA CRITIQUE
Résumé : Hollywood, la Guerre Froide bat son plein. Alors qu’il est au sommet de son art, le scénariste Dalton Trumbo est accusé d’être communiste. Avec d’autres artistes, il devient très vite infréquentable, puis est emprisonné et placé sur la Liste Noire : il lui est désormais impossible de travailler. Grâce à son talent et au soutien inconditionnel de sa famille, Il va contourner cette interdiction. En menant dans l’ombre un long combat vers sa réhabilitation, il forgera sa légende.L’INTRO :
Derrière le fabuleux monde du septième art, derrière sa grande histoire, ses classiques, ses auteurs et ses héros fantastiques, se cachent aussi bien malheureusement les petites histoires honteuses que l’on voudrait oublier tant elles égratignent la magie des légendes. Années 40. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les tensions entre les blocs de l’Est et de l’Ouest commencent à se cristalliser autour d’un mélange de haine et de paranoïa. Les moyens de communications de masse deviennent alors de possibles véhicules de propagande et le cinéma, dont la liberté était déjà impactée par la censure du Code Hays, n’a pas fait exception à la règle. Rapidement, la question du péril communiste inquiètera les plus hautes instances. Et si les artistes étiquetés « rouges » et implantés dans le milieu se servaient insidieusement de leurs œuvres, pour propager leurs idéaux communistes jugés dangereux ? Le début d’une nouvelle chasse aux sorcières regrettable, qui écornera l’image d’un Hollywood vivant ses heures les plus sombres.L’AVIS :
C’est à travers un biopic consacré au légendaire scénariste Dalton Trumbo, que le réalisateur Jay Roach revient sur ce triste chapitre de l’histoire hollywoodienne dont le déroulé n’aura pas manqué de rappeler lamentablement les méthodes horrifiantes de la Gestapo nazie. Dalton Trumbo, c’était l’auteur derrière une longue liste de chefs-d’œuvre tels que Vacances Romaines, Spartacus, Exodus, Papillon ou Johnny s’en va-t’en guerre. Dalton Trumbo, c’était un nom respecté dans la profession, le scénariste le mieux payé au monde, et un génie pur. Mais Dalton Trumbo, ce fut aussi un communiste en tête de gondole de la tristement célèbre liste noire des « Dix d’Hollywood », ces dix artistes déterminés qui ont refusé de se soumettre aux questions de la honteuse Commission des Activités Anti-Américaines (HUAC), au risque d’en payer le prix fort. Ils étaient communistes, ils n’étaient pas dangereux, mais le contexte politique du moment, aidé par quelques langues perfides parties en croisade, en a eu décidé autrement, au point de ruiner leurs vies, de leur faire perdre travail et dignité.Fin amateur de politique au-delà de ses précédentes réalisations légères (Austin Powers, Mon Beau-père et moi), Jay Roach signe un double-portrait historique intéressant avec son Dalton Trumbo. Le portrait d’un artiste qui aura eu le courage de ses opinions, et le portrait d’une époque peu glorieuse placée sous le signe de la vindicte, de la dénonciation, de la cabale, de la mise au banc de la société, du bafouement du Premier Amendement relatif à la liberté d’expression. Egratignant un Hollywood alors coincé entre la grandeur de son âge d’or et sa soumission aux plus viles intentions politiques, Dalton Trumbo remet en lumière cette sombre page de l’histoire du cinéma américain via quelques-uns de ses acteurs clés. Un auteur passé de la notoriété au mépris populaire, des célébrités bourreaux, victimes ou bienfaitrices (Edward G. Robinson, John Wayne, Hedda Hooper, Kirk Douglas, Otto Preminger, Edward Dmytryk), Hollywood vivait alors un tumulte politico-idéologique dépassant son seul cadre. Intéressant… mais limité. Car Dalton Trumbo s’applique surtout à illustrer son sujet en le soumettant à une intelligibilité accessible à tous, au risque de paraître très superficiel pour les plus initiés.
Ne s’embarrassant d’aucun parti pris affirmé, que ce soit au détour d’un script très simplifié ou d’une mise en scène sans aucun relief, Dalton Trumbo fait dans le résumé voulu limpide mais souffre d’un déséquilibre qui opère à plusieurs niveaux, à commencer dans ses intentions avec sa volonté d’entremêler la petite histoire de l’artiste et la grande histoire du scandale dans lequel il s’est retrouvé en première ligne, avec le risque finalement prévisible voire inéluctable, de ne traiter vraiment en profondeur ni l’un, ni l’autre. Du parcours de son personnage phare, Dalton Trumbo donne une vision généraliste mais expéditive, ne s’aventurant que très rarement dans la complexité née des enjeux en présence. Sur son contexte historique, le film de Roach ne fait malheureusement guère mieux. En cherchant le mariage entre le ludique, la pertinence explicative et la consistance historique, Jay Roach livre un film, certes adroitement raconté en surface pour les néophytes, mais finalement trop incomplet pour que sa crédibilité n’en soit pas entamée aux yeux des plus connaisseurs, balayant quantité de points par manque de temps et d’ampleur, se contentant seulement d’en mentionner furtivement d’autres (pourtant majeurs), inventant des personnages fictifs dans un souci de synthétisation… Manquant d’exigence, de maîtrise et d’intelligence pour réellement brasser un regard total sur tous les tenants, les aboutissants et les nombreux aspects relatifs à son sujet, le plus grand tort de Dalton Trumbo aura probablement été de ne pas avoir su réellement se positionner entre le récit historique sur un sujet global et le biopic sur le parcours d’un homme en particulier, se positionner aussi entre le traitement « grand public » et l’analyse poussée, au point de frustrer dans toutes ses directions.Alors que quelques idées intéressantes mais insuffisamment creusées émergent ça et là, alors que le film ne manque pas de mettre en valeur sa résonnance universelle sur la liberté d’opinion, et alors que sa distribution fait des merveilles (Diane Lane, Helen Mirren, Michael Stuhlbarg, Louis C.K. ou John Goodman) au diapason du talent monstrueux d’un impressionnant Bryan Cranston, Dalton Trumbo ne parvient pas à transcender son statut de sage biopic faisant dans l’esquisse permanente, incapable de conjuguer adroitement la trop grande richesse soulevée par son entreprise. Idéal pour un premier contact lointain avec la triste destinée de ces « communistes d’Hollywood », Dalton Trumbo ne pourra en revanche se suffire à lui-même car son récit demeure trop succinct, ses deux directions s’entre-dévorant l’une l’autre. Côté intime, le film de Roach s’efforce d’évoquer l’homme et l’artiste qu’était Trumbo sans vraiment se montrer définitif. Côté général, rien sur Kazan, quasi-rien sur Dmytryk (pourtant très impliqué), pas grand-chose sur les soutiens apportés aux « Dix » et on en passe, en raison de choix narratifs privilégiant le survol à l’approfondissement. A l’arrivée, bien que solidement fait, Dalton Trumbo est trop léger sur la forme pour donner de la valeur à son fond. En se soumettant à un traitement ludique destiné à séduire le plus grand nombre, Dalton Trumbo prend le risque de s’aliéner les cinéphiles les plus intéressés par la question, qui pourront ainsi être déçus par sa non-exploration des recoins et détails relatifs à son sujet. Mais ce public de cinéphiles n’était-il pas justement SON public, compte tenu de la très grande spécificité de son sujet, en dépit de l’universalité de sa thématique ? C’est tout le paradoxe qui finit par nuire à la démarche première du film.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux