Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Tokyo toraibu
Père : Sion Sono
Date de naissance : 2014
Majorité : 02 décembre 2015
Type : Sortie vidéo
(Editeur : Wild Side)
Nationalité : Japon
Taille : 1h51 / Poids : NC
Genre : Action, Musical
Livret de famille : Ryohei Suzuki (Merra), Yôsuke Kubozuka (Nkoi), Akihiro Kitamura (Mukade), Riki Takeuchi (Buppa), Yui Ichikawa (Norichan), Ryuta Sato (Tera), Shunsuke Daitô (Iwao), Shôta Sometani (MC)…
Signes particuliers : La cinquantaine passée, Sion Sono n’a rien perdu de sa forme, de son audace, et sa modernité hallucinante.
QUAND SONO SONNE !
LA CRITIQUE
Résumé : Dans un Tokyo futuriste, une immense guerre des gangs fait rage et divise la ville en quatre clans qui veulent imposer leurs règles. À la tête de deux bandes, deux anciens amis rivalisent et les rancoeurs et sentiments personnels viennent se mêler aux affrontements des hommes dans un chaos toujours grandissant.L’INTRO :
S’il y a bien un cinéaste au monde auquel on ne pourra jamais reprocher d’accoucher d’une œuvre désincarnée, c’est bien l’iconoclaste Sion Sono. A travers un cinéma sombre, violent et sexualisé, le metteur en scène nippon n’a de cesse de mettre en exergue les perversions de la société moderne et son éclatement sordide. De Suicide Club à Strange Circus en passant par Guilty of Romance ou Cold Fish, l’œuvre de Sion Sono a toujours été fascinante, dérangeante, fantastiquement fabuleuse voire vénéneuse. Ultra-prolifique, le cinéaste, qui s’est encore récemment illustré avec Why Don’t You Play in Hell, est de retour avec Tokyo Tribe, l’un de ses six longs-métrages produits rien qu’en 2015 (!!). Tokyo Tribe est l’adaptation d’un manga culte au Japon, plus particulièrement de sa suite Tokyo Tribe 2. Bienvenu dans un univers néo-futuriste à la lisière du post-apocalyptique, où Tokyo est divisé en quartiers régis par des bandes armées faisant leur loi dans un désordre chaotique. Une nuit, l’affrontement éclate…L’AVIS :
Une fois de plus, Tokyo Tribe est l’occasion pour Sion Sono de déverser toute la folie de son cinéma à l’écran. Ayant fait le choix (risqué) de tourner son film comme une sorte d’ovni musical rap/hip-hop volontairement kitsch et coloré, non loin des clips du genre et de leurs codes (univers bling-bling, caïds cherchant à s’iconiser, illustration de la violence, excès en tous genres, personnages fantasques, belles filles gratuitement dénudées), le cinéaste livre une sorte de délirium volontairement grotesque à l’univers sur-exagéré. Sion Sono n’a jamais fait dans un cinéma classique et le metteur en scène le prouve une nouvelle fois en poussant loin l’audace créative. Inventif, marginal, foisonnant, viscéral et iconoclaste, Tokyo Tribe reprend l’hystérie des mangas originaux et se mue rapidement en expérience de cinéma ne ressemblant à rien de connu. Violent, musical, sexuel, furieux, esthétisé, pop, foudroyant, frénétique, épuisant, ce nouveau méfait totalement inclassable, déconcerte autant qu’il fascine et électrise par son agitation névrotique permanente.Avec Tokyo Tribe, Sion Sono vient jouer à la lisière du cinéma d’un Takashi Miike, sans toutefois s’éloigner de ses thématiques récurrentes, assurant au contraire une véritable continuité artistique, même si l’on est loin de ses récents drames plus intimistes à la The Land of Hope. A travers son Tokyo semi-futuriste et déliquescent, il peint le portrait d’une société à l’agonie, empêtrée dans une descente infernale vers la violence, où les femmes sont considérées comme des objets, où les mœurs et l’ordre établi se sont effondrés dans les abysses d’une anarchie terrifiante. Par le biais de cette éternelle poésie violente de la dégénérescence et de l’étrange, Sion Sono signe une sorte de saut en parachute cinématographique, exigeant un abandon total à une expérience vertigineuse où l’on déteste ce que l’on aime, et où l’on aime ce que l’on déteste. Tokyo Tribe est en effet, une œuvre à deux visages, dont le pouvoir de fascination et la virtuosité fabuleuse, sont dans le même temps ses plus belles qualités et ses plus larges défauts, alors que ses intentions le font autant briller qu’elles érigent ses propres limites.Sion Sono restitue le chaos par le chaos. Une démarche à la fois maligne, fantasque, intelligente et presque impossible à soutenir sur la longueur. Tokyo Tribe fait preuve d’une immense virtuosité stylistique dans l’énergie de sa mise en scène visuellement folle, dans la confection de ses plans-séquences saisissants, dans son rejet de tout ancrage dans la réalité (narrative et plastique) dans la maîtrise de son univers ou de la cinégénie dévastatrice de ses combats sensationnels et impressionnants. Mais dans le temps, le film fatigue, énerve. Chose peu commune, Tokyo Tribe attire et repousse pour les mêmes raisons. Son outrance à tous les niveaux est autant son point fort que son point faible. C’est surtout ce cœur aux battements forts et bruyants, qui déterminera au final, le ressenti de chacun à l’égard d’une œuvre à n’en pas douter unique et incroyable, délivrant suffisamment de « Cinéma » pour briller, autant qu’elle pousse le spectateur vers le harassement. Souvent confus et débridé, Tokyo Tribe fait face aux choix de son auteur qui se retournent parfois contre lui. Excessive, cette adaptation manque peut-être de variété dans sa structure et sa narration, sombrant lentement dans la linéarité de son tempo monocorde over-soutenu. Film complètement « a-rythmé » par sa vitesse frénétique jouant de l’accélérateur en permanence et sans répit, Tokyo Tribe est radical, trop peut-être. La musique ne prend aucune pause, le mouvement et l’énergie non plus, et le résultat pourra lasser par sa redondance formelle et narrative, alors que son génie se retrouve par moments masqué par sa proposition effrénée, faute de proposer des variations structurelles dans un ensemble au final un brin répétitif voire indigeste. Le meilleur exemple étant l’absence de mise en valeur des péripéties et de l’arc du scénario, pour leur permettre de se démarquer et d’imposer leur rythme dans un film, qui finit par devenir plus une question d’univers intense, qu’une œuvre racontant vraiment quelque-chose au-delà d’un perpétuel affrontement de bandes dans un Japon « dystopique » décrépi.Néanmoins, au-delà de sa démarche sur-bouillonnante et presque trop énervée, il s’avère vite impossible de détester ce Tokyo Tribe. Parce que Sion Sono reste Sion Sono, et que, si son génie est difficile à soutenir sur la durée car noyé dans la volonté d’un triomphe du dément, ce nouvel effort halluciné (et hallucinant) impose une certaine virtuosité qui régale les amateurs d’orgies cinématographiques cherchant à proposer quelque-chose. Et à ce titre, on ne pourra pas échapper à la mise en exergue de son final dantesque et complètement barré, balançant frontalement du grand cinéma dans un monument de folie épique aussi jouissif qu’incroyable. A terme et à rebours, on se rend alors compte de ce qu’est vraiment Tokyo Tribe, la peinture d’un chaos grandissant illustré comme tel, à travers un exercice dont l’outrance est la base de ses fondations pour ériger un divertissement flamboyant laissant côtoyer le foutraque et le surréalisme survolté. Certes, le résultat est parfois exténuant, mais au moins autant qu’il est superbement dingue !
LE TEST BLU-RAY
Formellement, l’édition Blu-ray concoctée par Wild Side s’applique à rendre au mieux, la foisonnance de l’univers plastique complètement fou et hétéroclite de Sion Sono sur Tokyo Tribe. La fréquence d’échantillonnage et la qualité de l’image, associée à une résolution en 1080, servent la richesse de la mise en scène du cinéaste japonais, tout comme ses étonnantes variations colorimétriques ou ses mouvements de caméra sous acides. Côté son, le DTS Master Audio 5.1 du Blu-ray rend à pleine puissance, les nombreuses couches sonores qui s’entremêlent entre la musique, les voix et les bruitages. Le seul point faible de cette galette ira vers les suppléments, au nombre d’un seul, à savoir un peu plus de 3 minutes de scènes coupées.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux