Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : The Water Diviner
Père : Russell Crowe
Date de naissance : 2014
Majorité : 18 août 2015
Type : Sortie vidéo
(Editeur : Universal Pictures)
Nationalité : USA, Australie
Taille : 1h51 / Poids : NC
Genre : Drame, Guerre
Livret de famille : Russell Crowe (Joshua), Olga Kurylenko (Ayshe), Yılmaz Erdoğan (Hassan), Jai Courtney (Hughes), Cem Yilmaz (Jemal), Ryan Corr (Art), Ben O’Toole (Henry), James Fraser (Edward), Steve Bastoni (Omer), Dylan Georgiades (Orhan)…
Signes particuliers : Comme bon nombre de comédiens avant lui, l’acteur Russell Crowe passe derrière la caméra et signe son premier long-métrage en tant que metteur en scène. Un drame de guerre ambitieux et ô combien incroyable, pont à cheval entre l’Australie et la Turquie ottomane…
RUSSELL CROWE, LA NAISSANCE D’UN CINÉASTE LYRIQUE !
LA CRITIQUE
Résumé : La Promesse d’une vie est une épopée d’aventures se déroulant en 1919, 4 ans après la terrible bataille des Dardanelles, dans la péninsule de Gallipoli. Un paysan australien, Joshua Connor se rend en Turquie à la recherche de ses trois fils portés disparus. Malgré les barrages de la bureaucratie militaire, sa détermination ne fléchit pas. Il est d’abord aidé par la belle Ayshe, la propriétaire de l’hôtel dans lequel il séjourne à Constantinople, puis par un officier turc ayant combattu contre ses fils. Pour découvrir la vérité et enfin trouver la paix intérieure, Joshua, accompagné du Commandant Hasan, est contraint de sillonner un pays ravagé par la guerre où la frontière entre le Bien et le Mal n’est plus si nette et l’ennemi si clairement identifiable.L’INTRO :
On connaissait tous Russell Crowe, l’acteur. Place maintenant à Russell Crowe, le réalisateur. Pour son premier long-métrage en tant que metteur en scène, le « Gladiator Maximus » n’a pas choisi la facilité avec un drame d’aventure historique sur fond de guerre, à cheval entre deux continents, deux langues, deux cultures, deux genres, et très librement inspiré de faits réels, à partir des écrits du lieutenant-colonel Cyril Hughes, évoquant la lettre trouvée d’un homme désespérément à la recherche de son fils après la guerre. Une première œuvre accouchée dans la sueur et le sang au terme d’un tournage éprouvant, avec les contraintes du film d’époque, des prises de vue réparties entre Istanbul, les studios de Sidney et le sud de l’Australie et ses 49° au soleil, et un casting international réunissant l’ukrainienne Olga Kurylenko, l’américain Jai Courtney, des comédiens turcs comme Yilmaz Erdogan (Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan, Vizontele et sa suite dont il était également le réalisateur) ou Cem Yilmaz (GORA, Yashi Bati), tous rangés derrière un Russell Crowe volontaire, qui endosse la double-casquette fort exigeante de comédien principal et cinéaste. La Promesse d’une Vie (curieuse traduction de The Water Diviner) nous plonge aux côtés d’un père australien traversant le globe pour aller à la recherche du corps de ses trois fils, tués au cours de la bataille des Dardanelles (ou Campagne de Gallipoli) dans ce qui était alors une péninsule stratégique de l’Empire Ottoman, aujourd’hui appartenant à l’actuelle Turquie. Une bataille tragiquement emblématique de la Première Guerre Mondiale, au passage cuisant revers pour les Alliés, qui coûta la vie à plus de 110 000 soldats dont 8 000 australiens et 56 000 ottomans. Pour l’acteur-réalisateur natif de Nouvelle-Zélande, le choix d’un tel sujet n’est pas le fruit du hasard. La Campagne de Gallipoli est un point d’histoire lourd de sens, souvent présentée comme une sorte de « baptême du feu » où l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont acquis leur véritable identité nationale malgré la défaite, quelques années seulement après avoir marqué leur indépendance vis-à-vis de l’Empire britannique. Encore aujourd’hui, le 25 avril, date du début de l’affrontement, y demeure comme l’une des fêtes nationales commémoratives parmi les plus importantes.L’AVIS :
La Promesse d’une Vie ou le film de tous les superlatifs pour souligner à quel point ce premier effort de l’acteur chevronné est une œuvre magnifique, pour ne pas dire magistrale, à la richesse aussi fabuleuse que le résultat est fort et passionnant. Tourbillon d’émotions et d’intensité adossés à un scénario écrit avec soin et narré avec fluidité et intelligence dans son agencement et son montage, décuplant sa force au fil de son histoire, faits et rebondissements, le voyage dramatique aux allures de pérégrination endeuillée proposé par Russell Crowe est non seulement bouleversant mais par ailleurs magnifiquement humaniste. Plutôt que d’opposer, plutôt que de fonder toute son entreprise sur des ressentiments et des rancœurs national(ist)es en déterrant et draguant les vieux fantômes du passé, le désormais cinéaste avec un grand « C » parle avec simplicité et sagesse, des hommes impactés par le maelström des conflits dévastateurs quels qu’ils soient au fond, dans un esprit de fraternité peut-être utopiste ou naïf, mais d’une beauté universelle et d’une puissance qui n’ont d’égales que la délicatesse et la clairvoyance infinies d’une œuvre qui emporte tout sur son passage. Intense moment de cinéma en appelant aux grandes émotions, à la densité et à la splendeur permanente, La Promesse d’une Vie voit grand, fait grand et devient grand.
De la pureté des sentiments soulevés aux paysages splendides filmés par une caméra amoureuse de son sujet et de ses images, de la précision du travail de reconstitution historique au formidable boulot de documentation effectué pour capter la fragilité du contexte politique d’une époque troublée (pour l’Australie à peine née comme pour la Turquie en train de naître), la richesse de ce premier effort est saisissante. Fascinante. Et le résultat est d’autant plus admirable que Russell Crowe, que l’on devine aisément dévoué corps et âme à son projet, réussit quasiment sur tous les tableaux à atteindre ses objectifs, ses ambitions et ses intentions nombreuses se mouvant avec grâce derrière un spectacle grand public aux enjeux savamment entretenus, y compris quand on aurait tort de croire qu’ils vont se faner à mi-parcours par des relancements de l’intrigue en apparence hasardeux mais ouvrant au contraire de surprenantes nouvelles voies encore plus belles.Double portrait, d’un père accablé portant son deuil sur ses épaules marquées, et d’un Empire agonisant dont les cicatrices seront le point d’appui d’une renaissance, La Promesse d’une Vie est une sublime réflexion à la fois particulière et générale, sur la mort et le renouveau, sur la capacité de la vie à se frayer un chemin au-delà des plaines et des corps les plus dévastés, sur la communion des hommes et de leur histoire. Car derrière le parcours tragique et émouvant de ce père errant avec obstination dans un chaos frissonnant, Russell Crowe ne néglige jamais sa toile de fond qui s’anime avec une incroyable virtuosité formelle et narrative, revenant sur la mort de l’Empire ottoman vs la naissance de la Turquie, avec un soin immense accordé au réalisme de la cartographie historique, de l’ambiance au contexte géopolitique complexe, des costumes traditionnels aux langages et dialectes, en passant par les traditions, coutumes ou le folklore culture (même l’infime nuance entre le drapeau ottoman et turc est respectée !)… Derrière son mélodrame poignant, le cinéaste capte à merveille cette Turquie en train de naître dans un mélange de colère, de cendres, de feu et de sang, écartelée entre le poids d’un passé encore fumant et celui des promesses d’un avenir qui essaie de se frayer un chemin dans la confusion. À l’heure où l’histoire de la Turquie est sans cesse traitée par le prisme du génocide arménien et même si le sujet du film reste étroitement lié à l’histoire de l’Australie avant tout, Russell Crowe évoque autre chose, un autre pan du passé turc, un empire ottoman s’effondrant et une Turquie essayant de se dégager, de s’affranchir, de pousser pour exister. Le néo-cinéaste parvient à conjuguer habilement l’intelligible pour tous et le sérieux historique documenté dans un film aussi captivant qu’instructif, jamais patriotique ou quoique ce soit du genre, se faisant un devoir d’honorer une universalité pleine de tact et de maturité.Malgré quelques petites erreurs de discernement, quelques scènes, dialogues ou plans maladroits (à l’image de la séquence finale) inhérents à un premier film, mais qui ne viennent jamais entacher le superbe d’une œuvre follement intense, proposant un drame d’aventure d’exception doublé d’une radiographie historique certes élaguée mais qui affiche néanmoins un grand mérite, Russell Crowe signe un premier film épique et lyrique, mené avec talent et conviction. Son voyage dramatique n’est jamais facile ou larmoyant, au contraire, puisant sa force dans la lumière resplendissante qui se dégage d’une œuvre se voulant avant tout, comme un pont entre les hommes au-delà des conflits, rappelant que derrière eux, tous partagent une chose en commun : le chagrin et les cendres d’une tragédie conférant au désastre humain. Une réussite à la sincérité et à l’humilité évidentes, qui n’aurait sans doute pas été aussi belle sans une distribution étincelante venant incarner des personnages écrits avec finesse et passion. A commencer bien entendu par Russell Crowe lui-même, éclatant d’intensité et de charisme, et qui fait rejaillir son aura et son talent sur ceux qui l’entourent, Olga Kurylenko en tête, d’une douceur attachante (même si l’on aura un peu du mal à passer outre sa crédibilité entamée par son doublage en turc) mais aussi Jai Courtney, sobre dans un rôle secondaire aux antipodes de ses prestations musclées mono-expressives ou encore le petit Dylan Georgiades, garnement espiègle et attachant comme pas deux, fruit d’un long travail de casting. On soulignera dans les seconds rôles, la très belle interprétation de la star turque Yilmaz Erdogan, associé à un Cem Yilmaz loin de ses rôles comiques habituels.Animé d’un souffle lyrique enflammé que n’aurait pas renié un David Lean, et traversé de part en part de plans d’un éclat renversant, La Promesse d’une Vie est le cadeau d’un Russell Crowe à un cinéma qui lui a tant donné. Un Russell Crowe qui a su observer, apprendre, et qui s’appuie aujourd’hui sur toute son expérience devant la caméra pour réaliser un premier film déchirant à la grandeur incroyable, si réussi que les quelques faux pas s’y noient pour ne laisser subsister que le meilleur d’une oeuvre conjuguant à merveille l’humain, l’émotion et le spectacle.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux