Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Réalité
Père(s) : Quentin Dupieux
Date de naissance : 2014
Majorité : 18 Février 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : France, Belgique
Taille : 1h27 / Poids : NC
Genre : Comédie dramatique
Livret de famille : Alain Chabat (Jason), Jonathan Lambert (Bob), Élodie Bouchez (Alice), Kyla Kenedy (Reality), John Glover (Zog), Eric Wareheim (Henri), Erik Passoja (Billie)…
Signes particuliers : Amateurs de cinéma original et bien toqué, Quentin Dupieux est de retour avec son sixième long-métrage. Le roi du loufoque à la française signe un nouvel OFNI délirant…
ALAIN CHABAT SE FAIT UN FILM
LA CRITIQUE
Résumé : Jason Tantra, un cameraman placide, rêve de réaliser son premier film d’horreur. Bob Marshall, un riche producteur, accepte de financer son film à une seule condition : Jason a 48 heures pour trouver le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma…L’INTRO :
Au sortir de Wrong il y a trois ans, on se demandait si Quentin Dupieux n’avait pas atteint quelque part, les limites de son cinéma loufoque, scrutant les astres du 74eme degré en apesanteur depuis son nuage gentiment toqué. Il fallait bien avouer qu’avec Rubber, deux ans auparavant, le cinéaste avait placé la barre assez haute dans le maniement subtil de l’absurde. Wrong décevait car sa loufoquerie semblait être une fin en soi et le film peinait à soutenir son mode d’expression en l’adossant à autre chose. L’an passé, Wrong Cops, son cinquième long-métrage, faisait preuve d’une certaine forme d’originalité narrative, qui redonnait foi en Quentin Dupieux. Restait à confirmer en prouvant qu’il peut trouver au fond de son art, les ressources nécessaires pour se renouveler sans cesse, en contournant l’impasse de la redite. Avec Réalité, il semble avoir trouvé une brèche pour s’ouvrir un nouvel horizon à explorer. Réalité est du Dupieux. Du pur Dupieux. Tous les fondamentaux de son cinéma sont là, de l’Amérique parfaitement filmée et imagée à l’humour décalé sacrément perché, en passant par un sens inné de l’étrange amusant ou de l’irréel nonsensique et un cadre où se meuvent des personnages qui n’ont pas nécessairement besoin d’être très bavard pour exister.L’AVIS :
Avec cet effort passablement conceptuel et complexe, comme si Inception rencontrait les David, Lynch et Cronenberg, Quentin Dupieux signe son film le plus maîtrisé, quelque part, la somme de tous les autres, la somme de toutes les bonnes choses des précédents, conjuguées à un temps qui n’appartient ni au passé, ni au présent, ni au futur, mais à un univers « autre », un univers de « l’ailleurs », un univers où tout peut paraître crédible et acceptable. De Roi, Dupieux devient Empereur dans son domaine et élève l’absurde et le nonsensique au rang d’art, comme l’on fait les Monty Python à leur manière, il y a plus de trente ans.
De quoi parle Réalité ? Ce serait presque mission impossible de le dire et ce papier s’autodétruirait en quelques lignes. De quel genre il se réclame ? À vrai dire de tous et d’aucun. De la comédie, du drame, du film psychologique, de l’horreur même, quelque part… On se contentera de dire qu’il s’agit d’une espèce de rêve cinématographique. L’histoire d’un homme qui veut faire un film. Qui rencontre un producteur drôlement fêlé. Qui cherche le gémissement parfait. Puis qui rêve. Et il n’est pas le seul. Et Réalité d’être une invitation délirante à se promener dans les esprits de ses différents personnages formant une galerie délicieusement ubuesque et étonnante, pour sauter de rêve étrange en rêve étrange, de psyché en psyché, au point de perdre repères et clarté didactique pour privilégier le trip savoureux et l’abandon à un univers iconoclaste, radical et timbré. Un film d’intello réglé sur les ondes de la masturbation prétentieuse et chiante ? Pas du tout. Avant toute chose, Réalité veut être drôle. Et dans son registre, il l’est brillamment. Et si Dupieux arrive à aller plus loin que la seule ligne de l’humour, en poussant les murs pour ménager suffisamment d’espace afin de déployer un scénario aussi vertigineux que retors, c’est encore mieux.
On ne va pas se mentir, les allergiques au cinéma de Quentin Dupieux n’auront que peu de chance d’aimer ce nouvel exercice qui marche sur les traces de ses précédents travaux. De même, les amoureux de son art de la drôlerie saugrenue devraient être séduit par cette nouvelle proposition parfaitement inscrite dans la continuité de son œuvre. Reste les autres. A ceux-là, on ne pourra que conseiller d’aller tenter l’expérience Réalité. A l’heure où l’on se plaint trop fréquemment d’un cinéma français formaté et sans saveur, à plus raison dans le registre de comédie, Dupieux appartient à ce cercle très fermé des metteurs en scène qui ont le mérite (et le courage) de tenter autre chose, d’ouvrir le chemin à une alternative, de formuler une réelle « proposition de cinéma ». Réalité ne ressemble à rien d’autre, si ce n’est au cinéma de Dupieux bien entendu, mais surtout, il jaillit dans celui-ci comme son œuvre la plus aboutie en cela qu’elle parvient à régler le défaut récurrent qui alourdissait son louable travail depuis toujours. Si l’on a souvent pu lui reprocher une forme de redondance au sein de ses films, où passé une heure, les récits tournaient en rond autour de leurs concepts, Réalité réussit à faire l’inverse. Plus il progresse, plus il devient riche, intéressant et foisonnant. Plus il prend des allures de diamant taillé aux multiples facettes réfléchissantes, comme autant de lectures ou lectures proposées. Et Dupieux d’atteindre enfin la maturité formelle et narrative, bien épaulé par une brochette de comédiens épatants. Bravo.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux