Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Marooned
Père : John Sturges
Livret de famille : Gregory Peck (Keith), Gene Hackman (Lloyd), Richard Crenna (Pruett), David Janssen (Dougherty), James Franciscus (Stone), Lee Grant (Mme Pruett), Nancy Kovack (Mme Stone), Mariette Hartley (Mme Lloyd)…
Date de naissance : 1969
Majorité au : 23 février 2005 (DVD)
Nationalité : USA
Taille : 2h14
Poids : 8 millions $
Signes particuliers (+) : De bonnes idées et surtout de bonnes intentions notamment dans sa quête de réalisme apposée à une oeuvre recherchant la rupture d’avec le reste de la production de masse, dans les années 60, de séries B de science fiction seulement divertissantes. Avec son beau casting, Sturges quitte son terrain de prédilection, le western, et prend la direction des étoiles pour un thriller-SF-catastrophe ironiquement prémonitoire, qui se double d’un message d’appel à l’apaisement dans un contexte de guerre froide accru.
Signes particuliers (-) : Malheureusement, malgré toutes les bonnes intentions de départ qu’il se traîne, Marooned est un film ambitieux mais raté, handicapé par une foule de défauts qui le plombe dès l’envol. Des effets visuels déjà datés en son temps, une construction narrative très maladroite, des enjeux dramatiques trop faibles pour soutenir l’entièreté du film, une longueur conséquente mais souffrant d’un déséquilibre nocif, un manque d’étoffement du récit trop auto-centré sur l’action dans ses deux seuls angles d’approche (la salle de commandement et le module lunaire), peu de spectacle et beaucoup d’ennui, quasiment aucune émotion, une distribution qui cabotine… Sturges était décidément plus à l’aise dans les plaines du Far West que dans les étoiles et Les Naufragés de l’espace apparaît trop désuet pour convaincre.
L’ANCÊTRE DE GRAVITY ?
Résumé : Après une mission de plusieurs mois en orbite dans l’espace, il est l’heure de rentrer au bercail pour trois astronautes américains qui s’apprêtent à rentrer sur Terre. Mais au moment d’enclencher la procédure, le propulseur de leur appareil ne répond plus. Coincé dans l’espace avec leurs réserves d’oxygène qui diminuent dangereusement, c’est une course contre la montre qui s’engage pour essayer de les sortir de ce mauvais pas alors que les problèmes s’accumulent…
L’espace est revenu à la mode ces temps-ci avec le succès mérité et la magnificence du chef d’œuvre d’Alfonso Cuaron, sur toutes les lèvres et dans toutes les conversations de bureau, entre amis ou sur les réseaux sociaux. Mais bien avant Gravity, il y a eu Les Naufragés de l’espace et avant Alfonso Cuaron, il y a eu John Sturges. 44 ans précisément, séparent ces deux thrillers de science-fiction mâtinés d’ambiance catastrophe et visant le « réalisme ». De là à se demander si le cinéaste a vu ce vieux classique méconnu avant de plonger Sandra Bullock et George Clooney dans l’immensité de l’espace, on ne sait pas, mais une chose est sûre, la comparaison entre les deux est de premier abord amusante même si elle s’arrêtera finalement assez vite pour de multiples raisons. Les Naufragés de l’espace présente en effet quelques similitudes, visuellement dans la façon de considérer la beauté majestueuse de l’univers d’en-haut avec de courts passages relevant au ballet spatial (par exemple ce plan fascinant que l’on retrouve d’un film à l’autre, du lever de soleil effleurant les courbes de notre belle planète bleue) et surtout dans sa façon de viser la crédibilité réaliste (absence de son, gestuelle…) ou encore thématiquement, avec l’idée de « naufragés » seuls et abandonnés dans l’immensité de la galaxie étoilée et l’intrigue tournant essentiellement autour de la question du manque d’oxygène. La mise en parallèle des deux œuvres cessera ici mais c’est déjà pas mal.
Car finalement, mis à part la démarche prenant place à l’époque, dans une période prolifique pour le genre, notamment de série B, en recherchant la rupture par rapport à ce qui se faisait alors, en s’attachant à proposer quelque-chose de différent et de plus respectueux d’une réalité, (bien entendu du haut de ses moyens technologiques de l’époque), Les Naufragés de l’espace s’avère nettement plus proche du Apollo 13 de Ron Howard que du Gravity de Cuaron. Plus que proche même, et dans tous les sens du terme, car ironie du sort, le film de John Sturges date de 1969, soit tout juste un an avant la catastrophe réelle narrée par le classique de Ron Howard. Hasard des choses, Les Naufragés de l’espace préfigurait-il un futur très proche ? C’est dans tous les cas étonnant de voir Hollywood imaginer le pire l’année même où ses cosmonautes réussissaient avec succès à fouler le sol lunaire et que l’année suivante, ce pire arriva, comme pour illustrer un scénario hollywoodien virant avec le recul à l’anticipation ! Si l’on a des doutes concernant la proximité d’Alfonso Cuaron et des Naufragés de l’espace, ça semble en revanche plus que probable pour Ron Howard. Entre son Apollo 13 et cette production rétro de la Columbia, les similitudes sont bien plus nombreuses, notamment dans la façon de rendre visuellement les sujets et points abordés par le film : le mélange à suspens entre thriller et cinéma catastrophe, les choix de plans pour illustrer le décollage de la fusée, l’insistance sur la présence et l’inquiétude des épouses, la façon de filmer la tension et l’effervescence de la salle de commandement de Cap Canaveral, certaines situations ou certains plans comme le détachage des modules inutiles une fois arrivé dans l’espace, les interactions entre les trois astronautes et les liaisons avec leur responsable de mission, etc. Il est logique que nombre de points soient proches vu leurs sujets similaires mais plus que narrativement, c’est toute une mise en scène de l’aventure qui rapprochera Ron Howard de Sturges, sauf que 26 ans les séparent et surtout que le cauchemar d’Apollo 13 survenu en 1970, est passé par là.
Pour illustrer son histoire adaptée d’un roman de Martin Caidin, le maître du western John Sturges (Les Sept Mercenaires) s’offre un beau casting de stars qui viennent ici jouer les cabotineurs de première à commencer par un Gregory Peck en responsable de mission pour le compte de la NASA. Côté espace, ils sont trois à s’envoyer en l’air, Richard Crenna (le colonel de Rambo, au cas où), James Franciscus (solide comédien, ersatz de Charlton Heston et davantage connu pour ses rôles télévisés que cinéma) et enfin, un jeune comédien moustachu ayant alors une dizaine de rôles secondaires derrière lui, un certain Gene Hackman. Un mot des visages féminins du film même si leur sort reste un peu trop secondaire dans la narration, avec la présence de l’oscarisée Lee Grant.
Si certains ont pu voir dans Les Naufragés de l’espace (alias Marooned en VO) un thriller spatial intense au suspens intenable, ils ne devaient pas être bien nombreux, car à sa sortie, le film de John Sturges a été un échec, doublé d’un accueil très mitigé. Et pas besoin d’aller en chercher les explications bien loin. Vu depuis notre époque, difficile de ne pas voir là un film aux effets extrêmement datés et la plupart du temps passablement kitsch. Le film datant de 1969, l’indulgence devrait donc être de mise sur le plan technique, sauf que c’est bien là l’un des plus gros problèmes que se traîne comme un boulet Les Naufragés de l’espace, qui peine à s’octroyer cette bienveillance. Concrètement, Marooned date d’un an après le 2001, L’Odyssée de l’espace de Kubrick, sauf que le fossé entre les deux films semble au moins aussi important que celui qui séparerait le premier Star Wars d’un Avatar, même si tous ne sont pas à jeter et que quelques plans seulement sont relativement bien bâtis, il faut le lui concéder (à cet égard, la restauration en blu-ray lui a fait beaucoup de bien). Le film de Sturges paraît avoir au moins 10 ans de retard sur son temps, aussi bien technologiquement que visuellement et narrativement, et c’est d’autant plus curieux de l’avoir vu recevoir un Oscar en 1970, pour ses SFX justement. Du cinéma de papa rétro qui malgré son casting prestigieux, malgré son réalisateur prestigieux et malgré son statut de grosse production SF, peine à convaincre aujourd’hui et apparaît trop dépassé pour marquer.
Les codes ont changé au cours des années 60, notamment dans la deuxième moitié de la décennie, avec l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes ayant participé de transformer en profondeur le style intrinsèque du cinéma américain. Et même si certaines œuvres ont réussi à passer le cap de la modernité en s’appuyant sur bien d’autres qualités qui leurs permettent de rester gravées dans la mémoire collective du septième art, les évolutions ont en revanche fait beaucoup de dégâts sur Les Naufragés de l’espace qui passe presque pour un film déjà dépassé en son temps. Malgré un certain intérêt historique avec son message humaniste appelant à l’apaisement et à la réconciliation des peuples américains et russes dans un contexte de guerre froide accru (en cela, la présence à la distribution de l’actrice Lee Grant est à noter, elle qui aura subi de plein fouet la « chasse aux rouges » du sénateur McCarthy), le réel naufragé est finalement cette œuvre poussive, freinée par une mollesse et un manque d’intensité handicapant, dans laquelle une maigre idée soutenant l’entièreté des enjeux dramatiques est exploitée sur 2h15 bien longuettes et fatalement linéaires. Les Naufragés de l’espace étire sa mince intrigue limitée à la force de beaucoup de remplissage de vide, d’autant que les enjeux sont très (trop) rapidement éventés avec une mise en condition dans son postulat de crise constituant le cœur de son récit, avant même la 20eme minute, expédiant dès lors toute exposition et établissement d’un cadre et d’un contexte, et ménageant un suspens qui se retrouve avec la lourde tâche de devoir tenir sur pas loin d’1h45 haletantes, ce qui représente beaucoup au vu de la pauvreté des idées en présence pour alimenter le récit. Terne et ennuyeux, dénué d’émotion et de poigne, Les Naufragés de l’espace est une assommante course contre la montre qui a l’air d’avoir largué son potentiel captivant quelque part au décollage. Sturges visait de nobles intentions très ambitieuses mais manque complètement le coche avec un film trop autocentré sur le filin fragile qui lui sert de ligne directrice, très maladroitement construit et incapable de s’étoffer pour enrichir son intrigue morne et faiblissante de minute en minute, débouchant sur un final à la fois intéressant dans son écriture et dans sa façon d’aller au bout de ses idées, et abscons dans sa forme.
Redécouvrir à l’automne 2013 cette œuvre ancienne après le tumultueux passage d’un immersif Gravity qui vient tout fraîchement de redistribuer les cartes de la SF et « d’enterrer » tout un pan de son cinéma en le renvoyant à une désuétude marquée, est plutôt compliqué. Les Naufragés de l’espace appartient clairement à un autre temps et ne représente pas en plus, le meilleur de son époque, entre pauvreté de la structure narrative, faiblesses en tout genre, notamment techniques, interprétation hasardeuse, illogismes et incohérences. Trop poussiéreux pour trouver une crédibilité, le film n’aura pas vraiment traversé les âges et d’ailleurs, demeure encore aujourd’hui bien méconnu. Et on comprend pourquoi. Car « ancien » ne rime pas toujours avec « classique indémodable ».
Bande-annonce en VO :
Par Nicolas Rieux