A l’occasion de la sortie du magnifique film UNE BELLE FIN qui sortira en salles le 15 avril prochain, nous avons rencontré le cinéaste Uberto Pasolini. Extraits choisis.
Une Belle fin : John May est un modeste fonctionnaire dans une banlieue de Londres, passionné pour son travail. Quand une personne décède sans famille connue, c’est à lui de retrouver des proches. Malgré sa bonne volonté, il est toujours seul aux funérailles. Jusqu’au jour où atterrit sur son bureau un dossier qui va bouleverser sa vie : celui de son voisin Billy Stoke.
Est-ce que vous croyez en Dieu ?
La réponse la plus simple est non. Bon, dans le film, l’influence est relative. Je crois en l’humanité. Je suis un optimiste. La fin est une sorte de remerciement à l’humanité pour cet homme. C’est un peu du surréalisme. J’avais cette fin avant même d’écrire le scénario. C’était une décision émotive, pas intellectuelle. La fin de la vie et puis l’arrivée de ces gens qui viennent le remercier. Il a plusieurs lectures sur la fin. Enfin, j’espère. Pour moi, c’est une fin optimiste, on n’est ni content ni triste ou désespéré.
Parmi les lectures, il y a la vision du patron du héros…
Le patron de John May a une vision très pragmatique des funérailles. Pour lui, les funérailles, c’est pour les vivants. Les morts ne sont pas là donc ça ne vaut pas la peine, on éviterait les larmes, la douleur etc… D’une façon, il a raison, les funérailles, c’est un peu pour les vivants. Mais c’est aussi pour la société car si une société a conscience de l’importance d’un moment comme ça, si on traite la vie des gens qui nous ont quitté avec respect, alors notre société (les vivants) va continuer à être civilisée. A partir du moment où on commence à jeter les cendres des morts, alors, la façon dont la société va traiter les « faibles », les gens qui ne sont pas là pour se défendre, risque de se répandre. Ca risque d’être « normal » pour toutes les situations et problèmes, les vieux, les drogués etc… Les plus vulnérables vont souffrir et toute notre société va perdre cette humanité en laquelle je crois. J’ai passé sept mois avec les gens qui font ce métier là, de s’occuper des morts qui n’ont pas de famille et de leurs funérailles, et beaucoup le font avec une grande compréhension de l’importance de la vie des autres. Certains le font comme de la bureaucratie normale, ils organisent les funérailles mais ne sont jamais présents, ils prennent peu de temps pour rechercher une éventuelle famille, ils expédient ça… J’ai été à des funérailles où il y avait le curé et moi, c’est tout. Dans ces moments là, vous sentez l’importance de votre rôle, vous représentez « la société » en fait.
Il y a un paradoxe curieux chez votre héros. Il a beaucoup d’empathie pour les morts et dans sa vie personnelle, il est pourtant très seul. Il a beaucoup de compassion pour les morts mais ne semble jamais avoir eu besoin de construire des liens avec des vivants…
Peut-être que le scénario est mauvais en fait… (rires) Pour moi, c’est un homme qui a une vie complètement dévouée aux autres. Il ne pense pas à sa vie à lui. Elle n’est ni triste ou solitaire pour lui. Nous, on peut la voir comme ça. Mais pour lui, elle n’est pas immobile, elle est pleine des vies des autres. C’est une illustration de ces gens qui pensent aux autres avant de penser à eux-mêmes. Il y a des gens comme ça, qui ont une sensibilité pour les autres. Il y a sûrement des explications dans son passé personnel, mais cela ne m’intéressait pas d’expliquer ça. Je préférais éviter le film psychologique sur tout ça pour mieux m’intéresser à lui dans son travail etc…
Pourtant, il finit par établir une relation avec une vivante, la fille d’un défunt. Cette relation indique une suite possible à sa vie. Et on a presque l’impression qu’il est puni de cette envie soudaine.
On le voit en effet s’ouvrir à des expériences différentes au cours du film. Mais le choix de le faire mourir, c’était parce que je ne voulais qu’on quitte le film avec la sensation qu’il va avoir une belle vie désormais. Ca aurait pu vouloir dire que sa vie d’avant n’était pas pas bien. Et au contraire, je trouve que sa vie dédiée aux autres est belle. Oui, il pense à changer. Il aime ces nouvelles possibilités qu’il découvre. Mais j’espère que ça n’enlève rien à la valeur de sa vie d’avant.
Pourquoi pas une fin ouverte, alors ?
Mais s’il ne meurt pas… Il ne meurt pas. Ce n’est pas ouvert donc…. (rires).
Comment vous en êtes venu au choix d’Eddie Marsan ? C’est un choix original car ce n’est pas un acteur que l’on visualise comme quelconque et pourtant, il incarne presque quelqu’un de quelconque, au final…
Dès le départ, j’ai voulu que le film soit subtil et délicat. D’ailleurs, la caméra ne bouge quasiment pas, les couleurs sont très désaturées au départ, il y a peu de musique. Je voulais un film naturaliste. La chose la plus important était d’avoir des acteurs capables d’être des personnes et non des personnages. Eddie Marsan est capable de communiquer beaucoup sans parler, sans montrer son talent. J’avais travaillé avec lui il y a longtemps sur un petit film sur Napoléon. Il avait seulement quelques scènes et en si peu de temps, il avait su construire un personnage et transmettre le regard de son personnage sur Napoléon, au public. C’est un comédien très connu en Angleterre pour des seconds ou troisièmes rôles. C’est son premier « premier rôle ». Pour moi, il a cette capacité à communiquer sans jouer, « sans faire ». Il ne démontre pas son talent, il sert ses rôles, les histoires, le réalisateur. Peu d’acteurs savent faire ça. Beaucoup de comédiens n’auraient rien fait, mais aussi rien communiqué. Lui sait faire les deux. On a l’impression qu’il ne fait rien et pourtant, il communique beaucoup de choses.
Vous disiez que vous aviez la fin en tête, dès le début. Est-ce que dès le départ, l’espoir était la dimension qui allait caractériser le film ?
Je ne pense pas être un cinéaste capable de faire passer des messages. J’espère que les gens en trouveront un. Quand on fait un film, on veut partager quelque-chose mais je ne suis pas là à dire « vous devez avoir de l’espoir etc… » Je ne suis pas philosophe et ce n’est pas mon rôle. Bien sûr, il y a un message d’espérance mais… Avant de faire mon film, je ne connaissais pas mes voisins. Peut-être vous aussi. Je me suis obligé un jour à aller les rencontrer car ne pas les connaître, c’était tout le contraire de ce que je transmettais avec mon film. Après le tournage, je suis même allé aux funérailles d’un de mes voisins. Si au final, l’un d’entre vous va frapper chez ses voisins, j’aurai gagné.
La musique est très belle. Mais vous disiez que vous vouliez un film très naturaliste. Est-ce que sans musique, le film n’aurait pas été plus impactant ?
C’est une question de goût, je crois. Il y a des films qui communiquent de façon fantastique sans musique, comme les films des frères Dardenne, et le contraire, comme Ozu par exemple. Certains aiment être accompagnés, d’autres, non. Si je suis encore dans le cinéma dans dix ans, j’essaierai de faire un film sans musique. Là, j’aimerai produire un western et je ne peux pas l’imaginer sans musique, ça fait partie du truc.
Les animaux ont l’air d’avoir un rôle important dans le film, une raison ?
Je ne suis pas sûr qu’il y ait une signification. Je n’ai pas une grande imagination vous savez (rires). Tout ce que vous voyez dans le film, ce sont des choses empruntées à ce que j’ai pu voir, entendre, ou prises de ma vie à moi. J’ai vu dans mes recherches, une femme qui avait eu une vie normale et qui d’un coup, s’est mise à vivre entourée de chats. D’ailleurs, les dîners très monotones du personnage principal, ce sont mes dîners à moi ! Sauf que moi, j’aime les sardines. Mais comme ce n’est pas très graphique, j’ai choisi le thon, pour le héros. J’ai vécu vingt ans avec mon ex-femme et je suis séparé depuis cinq ans. Et les soirs de la semaine, je rentre chez moi dans une maison vide, sans bruit, sans lumière, sans présence. Cette sensation de solitude est entrée dans le film. Je l’ai pas écrite mais c’était là. Il y a plein de choses comme ça. La scène de la glace qui tombe de la camionnette, par exemple. Ca m’est arrivé exactement comme ça. Bon sauf que moi, c’était des glaces Häagen Dazs au café et c’était franchement pas génial. Pour le film, ils nous ont donné des glaces à la menthe, c’était vraiment meilleur (rires).
BANDE-ANNONCE :