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Nom : Ainda Estou Aqui
Père : Walter Salles
Date de naissance : 15 janvier 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : Brésil, France
Taille : 2h15 / Poids : NC
Genre : Drame, Thriller, Historique
Livret de famille : Fernanda Montenegro, Fernanda Torres, Selton Mello
Signes particuliers : Passionnant, minutieux, bien écrit, bien réalisé.
Synopsis : Rio, 1971, sous la dictature militaire. La grande maison des Paiva, près de la plage, est un havre de vie, de paroles partagées, de jeux, de rencontres. Jusqu’au jour où des hommes du régime viennent arrêter Rubens, le père de famille, qui disparait sans laisser de traces. Sa femme Eunice et ses cinq enfants mèneront alors un combat acharné pour la recherche de la vérité…
LES AFFRES DE LA DICTATURE BRESILIENNE
NOTRE AVIS SUR JE SUIS TOUJOURS LA
Douze ans que Walter Salles n’avait plus signé un film de sa main. Depuis Sur la Route, son adaptation du célèbre roman de Jack Kerouac. Et c’est encore avec une adaptation que le réalisateur brésilien revient, en l’occurrence celle du livre Ainda Estou Aqui de Marcelo Rubens Paiva paru en 2015 dans lequel l’auteur relatait la disparition de son père, ancien député du parti travailliste, emmené pour une soi-disante « »déposition » aux prémisses de la dictature brésilienne en 1971… et jamais revenu. Présenté à la dernière Mostra de Venise, le film y a remporté le prix du meilleur scénario.
Nombreux sont les films et documentaires à avoir traité des horreurs de la dictature dans les pays sud-américains. Si le calvaire vécu par les chiliens a souvent été mis en avant, la dictature au Brésil a été moins privilégiée. Walter Salles lui consacre un film captivant qui brille par la minutie de son déroulé et de son écriture sans cesse nourrie par un équilibre parfait entre dimension humaine et portrait d’une terreur politique qui peut frapper partout. Le plus bel accomplissement de Walter Salles dans ce nouveau long-métrage, c’est sa capacité à enrichir subtilement et intelligemment son récit de sorte que l’évident autant que les détails disent ou traduisent quelque chose.
Tout commence dans l’insouciance idyllique d’une famille de la haute bourgeoisie qui jouit des sensations d’un bel été dans un Brésil de carte postale. Mais pas très loin de leur belle maison et des plages ensoleillées où les enfants jouent, la dictature commence à ronger une population apeurée par une tension rampante. Le statut social de ce microcosme familial en apesanteur sur son bonheur semble le mettre à l’abri des horreurs de ce brusque vent de changement politique qui souffle sur le pays dans ces années 70. Un temps seulement. Très vite, la dictature rattrape tout le monde, frappe partout. Et Je suis toujours là de montrer qu’il suffit d’un rien pour que tout bascule dans ces climats de tension paranoïaque où le moindre possible contre-pouvoir doit être mis à terre pour que le nouvel idéal politique règne d’une main de fer. Et voilà comment cette famille aisée se retrouve emportée comme bien d’autres, privilégiées ou non, dans les limbes d’une terreur qui ne dit rien mais qui prend tout.
De ce portrait, Walter Salles va tirer plusieurs axes. Les actes de la dictature qui muselait, terrifiait, enlevait, torturait. Puis le courage d’une femme qui va se métamorphoser de mère douce et épouse bienveillante en combattante acharnée pour savoir et comprendre où est passé son mari disparu. Minutieusement reconstitué et méticuleusement raconté, Je suis toujours là evolue avec finesse du portrait familial enchanteur vers l’angoisse de l’incompréhension. Quand le père de famille est emmené pour être interrogé, une atmosphère lourde s’installe sur tout le film. Les personnages s’inquiètent. Le spectateur sait. On comprend sans que ce soit dit que la tournure des événements est plus grave qu’elle n’en a l’air. Impressionnante (et fraîchement récompensée d’un Golden Globes), l’actrice Fernanda Torres va être à l’écran le visage d’une population brésilienne qui voit le bon-vivre disparaître et la peur devenir un quotidien. Ses enfants vont être les visages d’une jeune génération qui voit les illusions d’avenir s’effondrer. Et la subite disparition du père va symboliser les mécanismes de la dictature et du régime autocratique qui va faire peser une chape de plomb sur le pays pour de longues années.
Plus qu’un film historique sur les heures sombres de l’histoire du Brésil, Je suis toujours là est un film qui résonne fort aujourd’hui. À l’image de son titre qui pourrait être perçu comme à double-sens. Rappelons qu’il y a encore peu, Jair Bolsonaro était à la tête du pays. Ancien Président d’extrême-droite, il est depuis accusé d’une tentative de coup d’Etat au lendemain de sa défaite dans les urnes en 2023. Une nouvelle preuve que tout peut basculer à chaque instant.
Par Nicolas Rieux