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CELLE QUE VOUS CROYEZ de Safy Nebbou : la critique du film

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Carte d’identité :
Nom : Celle que vous croyez
Père : Safy Nebbou
Date de naissance : 2018
Majorité : 27 février 2019
Type : Sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h41/ Poids : NC
Genre : Drame

Livret de famille : Juliette Binoche, François Civil, Nicole Garcia, Guillaume Gouix, Charles Berling…

Signes particuliers : Un drame riche et dense, porté par une immense Juliette Binoche.

JULIETTE BINOCHE SE MET À FACEBOOK

LA CRITIQUE DE CELLE QUE VOUS CROYEZ

Synopsis : Pour épier son amant Ludo, Claire Millaud, 50 ans, crée un faux profil sur les réseaux sociaux et devient Clara une magnifique jeune femme de 24 ans. Alex, l’ami de Ludo, est immédiatement séduit. Claire, prisonnière de son avatar, tombe éperdument amoureuse de lui. Si tout se joue dans le virtuel, les sentiments sont bien réels. Une histoire vertigineuse où réalité et mensonge se confondent.

En lisant le roman éponyme de Camille Laurens paru en 2017, le cinéaste Safy Nebbou avoue avoir tout de suite pensé à la dimension cinématographique de son histoire, par la manière dont l’auteure la racontait. Le réalisateur de L’Autre Dumas ou Dans les Forêts de Sibérie explique y avoir senti un peu du Rashomon de Kurosawa pour la multiplicité des points de vue sur un même récit, un peu du Vertigo d’Hitchcock aussi pour l’idée d’être amoureux d’une femme « fantôme » et fuyante. De nobles idées en tête qui ont poussé Nebbou a vite entamé les démarches pour porter le livre à l’écran, avec le concours de Julie Peyr, scénariste récurrente de Desplechin. Pour incarner le visage de cette quinquagénaire malheureuse en amour, qui va trouver du réconfort en séduisant un jeune homme sur les réseaux sociaux en se faisant passer pour une belle jeune femme de 24 ans, l’immense Juliette Binoche, accompagnée de François Civil dans le rôle de la « victime » et de Nicole Garcia en psychologue-thérapeute.

Vu de loin, Celle que vous croyez est un drame assez sombre, qui dresse un constat terrifiant des réseaux sociaux modernes et les dangers qu’ils véhiculent par leur principe même d’existence, cette dimension virtuelle détachée de la réalité où l’on évolue derrière un masque. Safy Nebbou explore ainsi les risques de duplicité, d’usurpation, l’addiction aussi, mais surtout les dérives, avec ce piège de s’enfermer dans des relations basées sur du vent, sur des fantasmes truqueurs. A travers le personnage de cette femme d’âge mûr qui s’enlise dans le mensonge au point de s’abîmer dans une spirale infernale dont elle ne peut plus sortir, Nebbou tricote un canevas inquiétant sur les ravages de ces « relations » 2.0 qui peuvent prendre la forme de dangereux palliatifs émotionnels, surtout quand elles sont basées sur la tentation de tout embellir en recourant à un avatar déformé et idéalisé. Mais la seule thématique des réseaux sociaux se serait sans doute un peu essoufflée d’elle-même sur la durée d’un film. Et c’est là que Celle que vous croyez est vraiment intéressant. Safy Nebbou ne se cantonne pas à la facilité d’un long-métrage prévenant seulement des dangers -bien connus de surcroît- des réseaux sociaux. Outre ce premier sujet d’apparat, le cinéaste développe une multitude de choses dans son sillage.

Divorcée, Claire ne voit en l’avenir qu’un long chemin de croix sans espoir. Facebook arrive comme un outil pouvant matérialiser ses fantasmes d’un nouveau départ, d’une nouvelle jeunesse, d’une nouvelle beauté, d’un monde où elle séduirait et surtout, où l’on s’intéresserait à elle. Sur internet, elle n’est plus Claire mais Clara. Elle n’a plus 50 mais 24. Elle n’est plus ridée mais jeune, fraîche et lumineuse. Elle n’est plus invisible dans le regard des hommes, elle excite, elle rend fou, elle est tout simplement désirable. Le mot est lâché. Celle que vous croyez devient alors encore un autre film, qui coexiste parfaitement avec le premier. Cette fois, il est un film portraitiste sur la condition des femmes de cinquante ans et la difficulté de vivre avec cette perte d’intérêt aux yeux des hommes, cette perte du pouvoir de séduction et d’attirance sur une gente masculine trop focalisée sur la fraîcheur des « jeunes minettes » aux formes fermes. Tout homme qui soit, Safy Nebbou signe un grand film sur la femme, comme s’il l’avait parfaitement cerné ses ressentis. Celle que vous croyez est porté par un regard fort sur l’âge et le temps qui passe pour une femme, mais aussi sur la manière dont la société regarde ces quinquagénaires immédiatement rangées dans des cases peu flatteuses. La question des réseaux sociaux est formidablement implémentée à cette seconde lecture. Dans le film, Facebook est présenté comme un radeau autant qu’un naufrage pour une personnalité fragile, esseulée et affectée, qui ne supporte plus le sentiment de rejet de la part des hommes, humiliation qui la renvoie à son âge et à son non-épanouissement.

A l’écran, Juliette Binoche brille dans ce portrait fin et bouleversant d’une femme brisée, humiliée, désemparée, qui voit l’âge grignoter son visage et lui barrer la route d’un bonheur perdu en même temps que sa jeunesse. La comédienne, qui trouve là l’un de ses plus beaux rôles récents, impressionne tant elle donne tout, sans retenue, telle une immense tragédienne qui met ses tripes sur pellicule. Il fallait bien cela de toute manière pour personnaliser le travail de Safy Nebbou, une interprète entière et dévouée à ce rôle qui traverse tellement de choses dans sa progression, la peine, l’oppression émotionnelle, le romantisme, la séduction, le drame, la culpabilité… Beaucoup de visages à l’image du film lui-même puisque Celle que vous croyez est tour à tour bouleversant, cruel, humain, angoissant. La subtilité d’écriture du scénario tient bien toutes ces facettes, ces différents registres et ces multiples thématiques, qui viennent toutes et tous renforcer la densité d’un film au final riche et passionnant qui, sur la forme, oscille entre la tragédie intimiste déchirante et le thriller psychologique suffocant.

On regrettera quelques petites imperfections dans l’effort, comme une deuxième moitié qui tente de faire dans le film à tiroirs sans tout réussir avec adresse. Difficile d’en dire plus sans spoiler mais le résultat donne parfois une impression de sur-écriture un peu trop manufacturée et artificielle. Mais passons sur les défauts, Safy Nebbou signe son meilleur film à ce jour, le plus maîtrisé en tout cas. Car on pourrait aussi évoquer la fraîcheur de François Civil, la beauté de la photographie, la magistrale composition musicale d’Ibrahim Maalouf ou encore la puissance de certains plans (notamment des plans aériens vertigineux) dont une ultime image qui reste gravée.

BANDE-ANNONCE :

Par Nicolas Rieux

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