TIK, TIK… BOOM ! de Lin-Manuel Miranda : la critique du film [Netflix]

En France, le nom de Lin-Manuel Miranda est certes méconnu mais aux Etats-Unis, l’artiste est un véritable phénomène aux talents multiples, figure de Broadway où il brille à l’image de sa comédie musicale archi-récompensée Hamilton, parolier très apprécié chez Disney (Vaiana, Encanto, le prochain live action de La Petite Sirène) ou encore acteur vu notamment dans la suite de Mary Poppins (il y incarnait Jack l’allumeur de réverbères). Bref, un vrai statut de rock star, ce qui explique qu’on lui ait offert l’opportunité de réaliser son premier long-métrage. Et pour cette première derrière la caméra, une nouvelle corde à son arc, Lin-Manuel Miranda s’attaque à la destinée tragique de Jonathan Larson, jeune génie de Broadway au parcours emblématique.

Qu’est-ce qu’une comédie musicale ? Un film partiellement chanté. Ça, on sait. Qu’est-ce qu’une bonne comédie musicale ? Un film partiellement chanté avec une bonne histoire et de bonnes chansons. Ok. Qu’est-ce qu’une super comédie musicale maintenant ? C’est Tick, Tick… Boom ! par exemple. Ou autrement dit, d’excellentes chansons, une histoire vivante et vibrante, des comédiens qui illuminent l’écran, de l’émotion, du rire, du spectacle, des images qui transportent, un parfum original et grisant qui n’a pas ce triste goût de soupe tiède et un propos qui a du sens, qui raconte quelque chose, qui donne corps et étoffe à tout ça. Ces cases, le film de Lin-Manuel Miranda es coche toutes une à une, et même plus encore puisqu’il ne se contente pas de les cocher, il les sublime.

Avec son titre évoquant le bruit d’une bombe, Tick, Tick… Boom ! fait l’effet d’un bâton de dynamite qui a secoué Netflix en cette fin d’année. Lin-Manuel Miranda signe l’une des meilleures comédies musicales de ces dernières années. Pas un mince exploit alors que Steven Spielberg proposait parallèlement sa revisite saluée de West Side Story. Mais il y a ce petit supplément d’âme qui fait toute la différence dans Tick, Tick… Boom !, comme une sensation de perfection et d’indécente réussite, peu importe l’angle avec lequel on aborde le film.

L’histoire. Passionnante. Jonathan Larson n’est pas n’importe qui pour Miranda -et accessoirement pour Broadway. C’est l’un de ses plus grands modèles inspirants (avec Stephen Sondheim, l’un des créateurs de West Side Story). L’artiste qu’il est aujourd’hui se retrouve en lui, pour de nombreuses raisons. A commencer par cette rengaine qui dévorait Larson, « je manque de temps » alors qu’il angoissait de ne pas avoir encore percé à l’approche de ses 30 ans. Comme lui, Miranda a mille idées, mille envies, mille projets. Comme lui, il court contre le temps qui l’empêche(ra) de tout faire. Et contre cette angoisse que la vie est trop courte pour y réaliser ses multiples rêves. La narration ensuite. Elle gagne en vitalité grâce à un montage maîtrisant à l’extrême sa construction « puzzle ». Miranda multiplie les allers-retours entre la vie, les chansons, la scène où Larson se raconte avec humour, tout ça pour donner du rythme, encore du rythme, beaucoup de rythme. Un rythme qui épouse le « Tick Tick » de l’horloge qui tourne trop vite et qui finit par crisper tant on voudrait pouvoir faire pause pour soulager un personnage au bord du burn out. Les chansons maintenant. Superbement écrites, et qui traversent tous les genres musicaux avec une cohérence et une fluidité exemplaire. La mise en scène (la grosse interrogation du film, Miranda étant un néophyte). Elle affiche une créativité débordante qui confère au spectacle un panache jubilatoire. Pour un premier film, Miranda sidère de virtuosité. Et enfin, Andrew Garfield, qui sort un show monumental, qui danse, qui chante, qui traduit les angoisses de son personnage, qui communique sa passion autant que ses tourments. A ses côtés, une mention pour le formidable Robin de Jesus (Michael, le meilleur ami) dont la prestation restera mémorable.

Petit bijou inattendu, Tick, Tick… Boom ! régale les yeux et les oreilles et n’en oublie pas de glisser quelques commentaires afin de donner de la densité à une histoire entre rêve et amertume. Loin d’être une coquille vide, le film de Lin-Manuel Miranda est une réflexion foisonnante sur le processus de création, sur la quête de l’artiste, ses obsessions dévorantes et son combat contre le temps qui passe toujours trop vite pour lui. En projetant humblement de lui-même à travers ce personnage, aussi son modèle, Miranda signe une fabuleuse comédie musicale dépourvue de la moindre fausse note, divertissante, introspective et méta.

Par Nicolas Rieux