Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : La tierra y la sombra
Père : César Augusto Acevedo
Date de naissance : 2014
Majorité : Indéterminée
Type : Cannes 2015 – « Semaine de la critique »
Nationalité : Chili, Colombie
Taille : 1h37 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de famille : Haimer Leal (Alfonso), Hilda Ruiz (Alicia), Edison Raigosa (Gerardo), Marleyda Soto (Esperanza), José Felipe Cárdenas (Manuel)…
Signes particuliers : Un premier film social et engagé, basé sur des inspirations autobiographiques, sur la tragique défiguration du monde agricole colombien.
LES CENDRES D’UN MONDE À L’AGONIE
LA CRITIQUE
Résumé : Alfonso est un vieux paysan qui revient au pays pour se porter au chevet de son fils malade. Il retrouve son ancienne maison, où vivent encore celle qui fut sa femme, sa belle-fille et son petit-fils. Il découvre un paysage apocalyptique. Le foyer est cerné par d’immenses plantations de cannes à sucre dont l’exploitation provoque une pluie de cendres continue. 17 ans après avoir abandonné les siens, Alfonso va tenter de retrouver sa place et de sauver sa famille.L’INTRO :
Pour son premier long-métrage, le colombien César Augusto Acevedo (scénariste de Los Hongos, sorti l’an passé) intègre la section de la Semaine de la Critique au 68eme Festival de Cannes. Des débuts prometteurs pour cet auteur qui semble particulièrement attiré par un cinéma tellurique à tendance social et engagé. Avec La Tierra y la Sombra, Acevedo puise dans sa propre vie et se penche sur le portrait minimaliste d’une famille de paysans écrasés par la marche expansionniste impitoyable de l’industrie sucrière colombienne. Ils sont quatre dans une petite bicoque perdue au milieu des vastes étendues de cannes à sucre. Un cadre idyllique pour une vie difficile mais heureuse ? Loin de là. La tragédie extérieure a fini par contaminer ce modeste foyer et alors que la progression dévastatrice d’une industrie mondialiste et déshumanisée phagocyte tout sur son passage, Manuel tombe malade. Son père, qui revient à son chevet après 17 ans d’absence. Ils sont désormais cinq à survivre au milieu de ces terres arides balayées incessamment par une pluie de cendre continue, résultat de l’exploitation outrancière des plantations et des sols.L’AVIS :
Avec La Tierra y la Sombra, fresque intimiste prenant des allures de « combat épique pour la liberté et la dignité », comme il aime à le souligner, César Augusto Acevedo nourrissait des ambitions fortes, à la fois dramatiques, sociales et naturalistes. Faire le portrait de ces paysans attachés à la terre, à leur terre, faire également la critique de la propagation galopante d’une manière de penser l’exploitation agricole, défigurant et épuisant aussi bien les paysages que les hommes qui y habitent. Pour ce faire, Acevedo s’attarde sur chacun de ses plans dans une temporalité spécifique où la lenteur a pour but de saisir avec justesse et puissance évocatrice, le ressenti du quotidien harassant de ces âmes déambulantes évoluant dans l’austérité d’une terre désolée où la beauté de la vie agricole a laissé place à des nuages de cendres permanents, symbole d’un traditionalisme sacrifié sur l’autel d’un système d’exploitation intensif tueur de nature, et tueur de vie humaine. Et la lente agonie d’un de ces agriculteurs rendu malade par cette nouvelle vie de souffrance, de venir personnifier tout un système où le noble labeur humain n’a plus sa place dans la quête d’une productivité assassine.Avec sa culture d’un minimalisme repoussant loin le sens de l’épure, La Tierra y la Sombra essaie de conjuguer forme et fond dans une radicalité qui ne manque pas de pertinence. Et si l’on peut comprendre la démarche d’Acevedo sur le papier, visant à rendre toute la lourde rigueur qui régit la vie de ses protagonistes à travers une rigueur formelle et narrative qui l’est tout autant, difficile en revanche de le suivre dans les faits, La Tierra y la Sombra s’enlisant lentement dans la caricature d’un certain cinéma auteurisant défiant toutes les notions de rythme et de temporalité au profit d’une rigidité excessive. Tant est si bien qu’au final, on ne parviendra jamais à s’émouvoir de cette chronique rurale dramatique chargée en humanisme douloureux, y compris dans une dernière partie pourtant très forte et dévastatrice, mettant admirablement à nu son cœur battant, en même temps que l’aboutissement de ses enjeux. Mais il est sans doute trop tard pour que l’on soit saisit par la dénouement d’une partie perdue d’avance, par l’effondrement d’un monde, de convictions, d’une dignité, d’une famille, d’un cadre naturel mis en opposition avec l’agonie des gens qui l’incarnent.Une chose est sûre, La Tierra y la Sombra est splendide mais appelle à une résistance peut-être trop exigeante pour qu’on s’abandonne pleinement à sa force implacable scrutant tragiquement ces âmes écorchées par le poids de leur quotidien désenchanté. Associé à une facture très contemplative, le parti pris de cette lenteur nonchalante qui étreint formellement et narrativement le film, a vite fait de nous faire décrocher en nous plongeant dans un semi-ennui poli, venant contrarier les ambitions de puissance d’une œuvre aussi réaliste et sincère, que longue et pesante. Au final, La Tierra y la Sombra pouvait-il survivre à tant de sécheresse et de radicalité, et surpasser un propos qui trouve dans cette même aridité extrême, un terrain d’expression naturaliste rappelant une certaine veine du néo-réalisme italien ou le cinéma d’un Tarkovski ? Pas évident, car César Augusto Acevedo n’aura jamais réussi à étreindre et maîtriser un sens du rythme adéquat, général et interne à chaque scène. On n’attendait bien évidement pas un film trépidant, cela va de soi, mais chaque plan étant étiré jusqu’à la rupture, tout finit par se craqueler alors que le spectateur sombre avec les nobles intentions organiques qui régissaient ce drame, gâchant sa puissance iconique par son recours maniériste à un langage trop distant et assommant pour faire vibrer.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux