Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Blind
Père : Eskil Vogt
Date de naissance : 2014
Majorité : 29 avril 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : Norvège
Taille : 1h31 / Poids : NC
Genre : Drame psychologique
Livret de famille : Ellen Dorrit Petersen (Ingrid), Henrik Rafaelsen (Morten), Vera Vitali (Elin), Marius Kolbenstvedt (Einar)…
Signes particuliers : Une immersion étrange et déconcertante dans le mental troublé et troublant d’une non-voyante. C’est pour ça qu’existe au fond Mondociné, pour parler aussi dans ces autres façons de faire du cinéma.
VOIR, NE PAS VOIR, IMAGINER, RESSENTIR…
LA CRITIQUE
Résumé : Ingrid vient de perdre la vue. Elle quitte rarement son appartement mais se rappelle encore à quoi ressemble l’extérieur. Les images qui étaient autrefois si claires se remplacent lentement par des visions plus obscures. Elle soupçonne son mari Morten de mentir quand il dit aller travailler. Est-il dans l’appartement avec elle à se cacher et l’observer en silence ? Ecrit-il à son amante quand il prétend envoyer des emails à ses collègues ?L’INTRO :
Qu’est-ce que ressent fondamentalement une personne atteinte de cécité ? Ou plutôt, qu’est-ce peut ressentir une personne qui perd soudainement la vue après avoir s’être construite avec ce sens majeur, durant une bonne partie de sa vie ? Qu’est-ce que son mental peut bien se représenter désormais ? A quoi réagit-elle ? Que pense t-elle ? Comment « visualise » t-elle et comment appréhende t-elle son nouvel environnement ? Autant de questions qui ont hanté le cinéaste norvégien Eskil Vogt à la lecture d’un roman publié par un ami, et dont l’un des personnages était non-voyant. Au terme de nombreuses recherches pour se documenter, le réalisateur a voulu consacrer un long-métrage sur cet handicap inaccessible à l’imaginaire de ceux qui ne le vivent pas, tant il fait appel à des sensations inintelligibles. Avec Blind – Un rêve éveillé, Vogt propose un voyage fascinant dans le monde d’une jeune femme devenue aveugle. Une entreprise audacieuse, dont le parcours était jonché d’embûches dans la représentation visuelle d’un sujet qui ne s’y prêtait pas, en apparence.L’AVIS :
Déconcertant, troublant, à la fois artistique et essayiste, Blind est un OFNI, une œuvre hybride, sorte de collage anti-linéaire qui propose une expérience sensorielle tournant autour de son héroïne en explorant sa solitude, sa nouvelle façon d’appréhender le monde, son imaginaire qui se substitue à son sens perdu, explorant ses ressentis, ses frustrations, ses peurs et ses doutes, sa sexualité aussi, très active, alors que le film se charge d’un érotisme frontal conférant poésie et sensualité abrupte. Pour rendre la confusion de la perte des repères de sa protagoniste, Eskil Vogt nous abandonne dans un puzzle faussement désordonné mais en réalité brillant d’intelligence dans sa construction exigeante. On est tenu par une forme d’étrangeté fascinante, par le mystère et le sens du jeu de cette partie de cache-cache où le trésor à découvrir, est la recherche du sens de ce drame aux allures de miroir teinté aux multiples facettes. On voit sans être vu, on aperçoit sans saisir vraiment, on devine, on glisse d’une réalité à l’autre, le fantasme se trouve entremêlé au réel, et si l’on est amené à ne pas tout comprendre, c’est en grande partie parce que l’on s’attache aux pas d’un personnage qui elle-même peine à saisir ce qui l’entoure, enfermé dans les murs de son univers où le visible est devenu invisible.Qui est quoi ? Qui est qui ? Qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Qu’est ce qui relève des écrits imaginaires tapés par la belle aveugle sur son ordinateur ? Où se situe la fine tranchée qui sépare le tangible du supposé ? Blind nous oblige à rester alerte, aiguise sans cesse nos sens et les poussent à être dans un éveil permanent pour démêler le vrai du faux dans ce récit confondant, qui s’ingénie à nous perdre, qui déplace sans cesse la réalité que l’on avait prise pour compte, qui met à rude épreuve nos perceptions. Ce qui est fascinant dans le film de Vogt, c’est que les acquis changent sans cesse. Tout finit par se confondre. Le rêve, les fantasmes, les réalités, les personnages, les histoires… Blind nous embarque dans un trip sensoriel à la lisière du fantastique, dont il ne faudra pas chercher cohérence ou linéarité au sens strict du terme. En plongeant dans la psyché de cette non-voyante, le spectateur est invité à accepter un saut dans l’inconnu. Comme elle, à défaut de voir, on imagine, on fantasme, on joue avec les souvenirs, qui se brouillent, qui nous brouillent. Post-modernisme, art contemporain et parfum de néo-Nouvelle Vague, Blind est un dédale singulier que certains trouveront peut-être un peu trop hermétique, mais qui est riche d’une véritable vision, d’une sensibilité toute particulière, d’une volonté de tenter quelque-chose, de relever un défi, aussi fou soit-il. En somme, un pur film d’art et d’essai au sens noble du terme.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux