Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Nie yin niang
Père : Hou Hsiao-Hsien
Date de naissance : 2015
Majorité : 16 mars 2016
Type : Sortie en salles
Nationalité : Taïwan
Taille : 1h45 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de famille : Shu Qi, Chang Chen, Yun Zhou…
Signes particuliers : D’une beauté à couper le souffle, oui. A condition de respirer encore, et de ne pas avoir succomber à l’ennui.
LA BEAUTÉ DU SOPORIFIQUE
LA CRITIQUE
Résumé : Chine, IX siècle. Nie Yinniang revient dans sa famille après de longues années d’exil. Son éducation a été confiée à une nonne qui l’a initiée dans le plus grand secret aux arts martiaux. Véritable justicière, sa mission est d’éliminer les tyrans. A son retour, sa mère lui remet un morceau de jade, symbole du maintien de la paix entre la cour impériale et la province de Weibo, mais aussi de son mariage avorté avec son cousin Tian Ji’an. Fragilisé par les rebellions, l’Empereur a tenté de reprendre le contrôle en s’organisant en régions militaires, mais les gouverneurs essayent désormais de les soustraire à son autorité. Devenu gouverneur de la province de Weibo, Tian Ji’an décide de le défier ouvertement. Alors que Nie Yinniang a pour mission de tuer son cousin, elle lui révèle son identité en lui abandonnant le morceau jade. Elle va devoir choisir : sacrifier l’homme qu’elle aime ou rompre pour toujours avec « l’ordre des Assassins ».L’INTRO :
Le cinéma du taïwanais Hou Hsiao-Hsien n’a jamais été réputé pour son accessibilité au plus grand nombre. Exigeant, minimaliste et généralement contemplatif, il incarne à la perfection une certaine vision de l’auteurisme à l’asiatique, conjuguant drame et esthétisme fort, dans des prouesses artistiques qui ont souvent fait les beaux jours des plus prestigieux festivals du monde, à l’image de Cannes, dont le metteur en scène est un habitué, et qui lui a déjà accordé trois prix, celui du Jury en 1993 et en 2001 pour La Cité des Douleurs et Millenium Mambo, puis celui de la mise en scène cette année avec son nouveau long-métrage, The Assassin, porté par son actrice fétiche Shu Qi. Voir Hou Hsiao-Hsien se frotter au cinéma d’arts martiaux ne pouvait que laisser à penser que le cinéaste s’éloignerait passablement des codes habituels du genre, pour signer une œuvre « différente ». Récemment, une autre illustre figure atypique du cinéma asiatique s’y était essayé. On pense à Wong Kar-Wai et son The Grandmaster. Mais avec Hou Hsia-Hsien, l’idée de faire face à une œuvre encore plus déroutante était davantage prédominante. Si l’auteur reprend pourtant bien tous les ingrédients traditionnels propres au genre, le cadre d’une Chine féodale, les guerres intestines entre l’Empereur et les provinces dissidentes, une justicière fine lame, une histoire entre drames familiaux et parfum romanesque, The Assassin est bel et bien ce que l’on pouvait en attendre, un film en marge de ce que le registre a coutume de proposer.L’AVIS :
La différence n’a jamais été un mal pour le cinéma, bien au contraire. Et voir un auteur au style fort et iconoclaste s’emparer d’un genre pour mieux en détourner codes et conventions, a souvent été une démarche intéressante permettant au septième art d’éviter de sombrer dans la redondance, voire d’avancer. Malheureusement, avec Hou Hsiao-Hsien, l’effort demandé pour aborder cette plongée parallèle était peut-être un peu trop grand. The Assassin assume pleinement sa marginalité radicale à l’égard des films d’arts martiaux, toutes époques confondues. D’une nature très lente, reléguant les fondamentaux ordinairement attendus en arrière-plan du récit (très peu de combats, généralement courts et laissés à distance), le film du taïwanais s’applique davantage à proposer un voyage formel puissant et hypnotique. Du moins, dans l’idée. Impossible de dénier à cette œuvre semblable à un perpétuel tableau de maître impressionniste, son formalisme splendide et son élégance de chaque instant. The Assassin est beau à en crever, stupéfiant pour ne pas dire fascinant, et d’une immense poésie qui n’a d’égale que son époustouflante grâce de l’observation des gestes, des silences, des respirations. Empruntant grandement au théâtre des ombres à la chinoise, The Assassin est un puissant égarement du côté du plastiquement magistral, un vrai film d’art à tous sens du terme.Sauf que cette « magis-théâtralité » d’apparence a quelque-chose de pervers. Si l’on veut bien prêter à Hou Hsiao-Hsien des intentions philosophiques assises sur une certaine spiritualité de la rhétorique narrative, reste que la magnificence de l’apparat n’a absolument aucun répondant dans l’histoire racontée. Profondément assommant, faisant presque de la peinture de l’ennui, un art à lui tout seul, The Assassin essaie de cacher son indigence narrative en se servant de sa beauté comme d’une parade pour diriger les regards et pensées du spectateur le plus loin possible de ce qu’il conte, à savoir finalement pas grand-chose de réellement convaincant. En extirpant l’essence de son récit, on se rend vite compte que le dernier Hou Hsiao-Hsien sonne terriblement creux. Et alors que le metteur en scène poseur se regarde filmer dans un nombrilisme affolant de fausse-prétention (car on ne doute pas une seconde de la sincérité de sa démarche), on est voué à contempler un voyage aux confins du déplaisir. Fastidieux calvaire cinématographique, The Assassin incarne le penchant auteuriste, d’un mal que l’on reproche parfois au cinéma commercial avec bien moins de pitié. Il y a peu, on entendait ça et là des voix s’indigner devant le The Revenant d’Iñarritu, lui reprochant la soi-disante maigreur de son script masquée derrière une étourdissante plastique aux allures de « cache-misère ». The Assassin fait plus ou moins la même chose, mais son côté « œuvre d’art » semble lui offrir plus d’indulgence. En réalité, il est tout simplement beau mais profondément emmerdant, et témoigne inlassablement de son incapacité à développer la richesse de son fond au sein d’une histoire qui, non sans forcément tomber dans le didactisme ou le trop-plein d’action, aurait au moins de quoi susciter un minimum l’attention de son public. Il y a bien des années, King Hu était brillamment parvenu à faire ce que manifestement Hou Hsiao-Hsien (son disciple sur ce coup-ci) tente de faire avec The Assassin. Ça s’appelait A Touch of Zen (1969) et c’était un chef-d’oeuvre à la fois beau, lent, fabuleux et passionnant. Tout ce que n’est pas The Assassin, qui tente de reproduire son modèle mais n’y parvient pas.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux