Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Mommy
Père : Xavier Dolan
Date de naissance : 2014
Majorité : 18 mars 2015
(chez Diaphana Édition Vidéo)
Genre : Sortie DVD & Blu-ray
Nationalité : Canada
Taille : 2h14 / Poids : NC
Type : Drame
Livret de famille : Anne Dorval (Diane), Suzanne Clément (Kyla), Antoine-Olivier Pilon (Steve), Patrick Huard (Paul)…
Signes particuliers : Le surdoué Xavier Dolan a atteint une forme de maturité dans son cinéma, qui confère au génie pur. Mommy est l’un des films les plus puissants de l’année. Et un chef d’oeuvre.
LE COMPLEXE DE LA MÈRE
LA CRITIQUE
Résumé : Une veuve mono-parentale hérite de la garde de son fils, un adolescent TDAH impulsif et violent. Au coeur de leurs emportements et difficultés, ils tentent de joindre les deux bouts, notamment grâce à l’aide inattendue de l’énigmatique voisine d’en face, Kyla. Tous les trois, ils retrouvent une forme d’équilibre et, bientôt, d’espoir. L’INTRO :
Attention, le génie québécois Xavier Dolan réapparaît à tribord. On l’avait déjà aperçu il y a quelques mois à bâbord avec son magnifique Tom à la Ferme, le voici de retour avec Mommy, son cinquième long-métrage (il n’a que 25 ans, rappelons-le) qui a fait grand bruit du côté de la Croisette, déchaînant les passions et repartant du dernier Festival de Cannes avec le Prix du Jury. Le cinéaste retrouve à nouveau ses comédiens fétiches, de Suzanne Clément à Anne Dorval en passant par Antoine-Olivier Pilon, voit le toujours excellent Patrick Starbuck Huard se joindre à son univers, et se projette à nouveau dans un drame laissant une place de choix, pour ne pas dire centrale, à la figure de… « la mère ». Étonnant non ?L’AVIS :
Xavier Dolan s’imprègne une fois de plus de son vécu, de son passé, de ce qui a fait de lui l’artiste et la personne qu’il est aujourd’hui, et couche sur pellicule une sorte de thérapie jamais nombriliste, jamais égocentrique, jamais prétentieuse. Passionnante et extraordinaire réflexion sur l’amour filial, l’amour tout court, sur le rôle de mère et la figure maternelle en général, sur le pardon, les difficultés existentielles, l’angoisse de la perte aussi… Mommy est un yoyo émotionnel terriblement fort, un drame cathartique à l’opposé du ton tragicomique d’un Guillaume Gallienne par exemple, le cinéma de Dolan étant plus torturé, plus sombre, plus douloureux mais néanmoins d’une prodigieuse luminosité. Les scènes s’enchaînent avec une grâce et une virtuosité qui n’ont d’égale que leur perfection, leur sincérité et leur puissance déboussolante. Car Mommy est de ces films qui assènent un coup, qui marquent au fer rouge, de ces films dont on ne se remet pas, déstabilisant le spectateur de ses bases les plus inébranlables pour tutoyer des sommets que seuls que les très grands sont capables d’atteindre.Avec une intelligence narrative, créative et une audace follement épatante, affirmant un peu plus le statut de petit génie surdoué et précoce de cet artiste déjà majeur malgré son jeune âge, Xavier Dolan accouche sans doute de son film le plus abouti, le plus parfait, le plus fascinant et bouleversant aussi. Saisi à vif à l’image des thématiques qu’il déploie, Mommy soulève le cœur et se révèle comme une détonation faite de colère, d’exaltation, d’énergie, de drôlerie, de dureté. Voilà une véritable sensation, un choc cinématographique salvateur, d’une intensité foudroyante. Pour son sujet délicat et abordé avec lucidité, complexité, subtilité et esprit. Pour sa finesse, notamment dans sa façon de disséquer les relations complexes entre son trio de personnages. Pour sa bande originale mélangeant l’électrisant et le désenchantement au rythme des chansons de Oasis, Dido, Andréa Bocelli, Céline Dion, Eiffel 65 ou Sarah McLachlan. Pour ses partis pris formels (le jeu sur le cadre et les formats d’image lourds de symbolique sur l’alternance entre le fatalisme et la lueur porteuse d’espoir qui s’entrechoquent tout au long du récit). Pour sa fluidité narrative où, même si l’on ressent la longueur conséquente du film (2h15), force est de constater que tout y est utile, pas de gras, pas de surplus, pas de fioritures, pas de chemins de traverses à s’y perdre, seulement de la chair dense et de la consistance pleine de sagacité et de discernement. Et enfin, pour sa distribution éclatante, du jeune Antoine-Olivier Pilon renversant en adolescent instable, crevant l’écran par son talent et son implication habitée, à une Anne Dorval formidable en mère tantôt irresponsable, tantôt follement aimante ou dépassée par les enjeux et la vie. Et que dire de Suzanne Clément, désarmante en femme fragile cherchant à se reconstruire et dont on perçoit à demi-mots les cicatrices béantes infligées par un drame cruel.Mommy est un chef d’œuvre, un met de choix passionné et passionnel, torturé et splendide, dérangeant et riche, pourvu d’une âme et d’un coeur, et qui appelle à une question. Que s’est-il passé à Cannes pour que la Palme d’Or puisse échapper à un tel film dont la sensibilité à fleur de peau nous écorche ?
Il y aurait tant de choses à dire sur Mommy… De quoi remplir des heures et des heures de bonus. A défaut d’une profusion de suppléments partant dans toutes les directions, Diaphana Distribution a préféré se focaliser sur le phénomène « Xavier Dolan ». Le jeune metteur en scène est au centre de ces bonus qui lui offrent une tribune pour évoquer son art et surtout son film. Aux côtés de la bande-annonce, d’une revue de presse et de son discours très émouvant au Festival de Cannes (prix du Jury), l’essentiel de ces suppléments tient en deux interviews. Le premier, vidéo, est extrait de l’émission Rencontres de Cinéma sur Canal+. Conduit par Laurent Weil, cet entretien donne la parole à Dolan, mais également à ses comédiennes Anne Dorval et Suzanne Clément. Le second, audio uniquement, est une interview par le célèbre critique de cinéma Michel Ciment, issue de l’émission Projection Privée sur France Culture. Dans les deux cas, pour peu que l’on soit un amoureux du cinéma de Dolan, on boit littéralement les paroles du prodige canadien. Les autres pourront peut-être s’agacer de sa soi-disant prétention.Dans Rencontres de Cinéma (19 minutes), Laurent Weil revient sur l’émotion du sacre cannois, sur le choix du jeune acteur Antoine-Olivier Pilon et sur son personnage d’ado en crise. Xavier Dolan s’attarde sur le mélange tension/tendresse qui soutient son long-métrage, sur la caractérisation de ce héros fabuleux de richesse, note une récurrence dans son cinéma, celle des relations éphémères, et évoque le format en 1:1 qui a tant fait parler, expliquant qu’il s’agissait surtout d’une volonté de réaliser un film à échelle humaine, avec un format humain, loin du scope « mille fois plus prétentieux d’un Nolan dans les Batman ».Le second entretien avec Michel Ciment (48 minutes) reprend les grandes lignes de son voisin mais entre nettement plus en profondeur dans le cinéma de Xavier Dolan et surtout dans les choix stylistiques et artistiques du metteur en scène. Le cinéaste y détaille brièvement les thématiques qui jalonnent son travail, puis revient sur la genèse et les idées à la base de son film, revient sur son rapport à la musique (très importante dans ses oeuvres), sur sa manière d’écrire et de travailler, que ce soit en amont ou avec ses comédiens. Les passionnés y apprendront beaucoup sur les méthodes créatrices (parfois singulières) de l’artiste et sa vision du cinéma, à travers des anecdotes, des réflexions personnelles et de l’auto-analyse, notamment lorsqu’il explique que tout est question de scénario, la réalisation ou le montage n’étant que de nouvelles formes de réécriture d’un script précédemment écrit. Dolan s’exprime également sur l’ambivalence de sa façon de travailler, partagée entre la spontanéité et le tout-contrôle, l’artiste assurant tous les postes, scénariste-réalisateur-monteur et même costumier ! Parce qu’après tout, c’est son film, son travail, sa vision. Il évoque ensuite les influences qu’on lui prête, déclinant la comparaison avec Almodovar qu’il juge infondée. On aurait simplement aimé voir Michel Ciment davantage creuser les thématiques du film et du cinéma de Dolan en général, d’autant que le cinéaste se montre très loquace, avec toute sa verve spontanée et sa sympathique « prétention » toute relative et retenue, qu’il essaie souvent de désamorcer avec humour. On l’entend par exemple, confier qu’il n’est pas un cinéphile, qu’il n’a d’ailleurs vu que peu de films dans sa vie !
Bref, si vous avez aimé Mommy, vous ne pourrez que vous régaler de ces quelques instants à écouter le surdoué revenir sur cette oeuvre fabuleuse et majeure. Il ne manque finalement à ces bonus, qu’un making of (dommage) et l’acteur prodigieux Antoine-Olivier Pilon, qui en est absent.
Bande-annonce :