[Note spectateurs]
Carte d’identité :
Nom : Mektoub my Love (Canto 1)
Père : Abdellatif Kechiche
Date de naissance : 2018
Majorité : 21 mars 2018
Type : Sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 3h00 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de famille : Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche, Alexia Chardard, Lou Luttiau, Hafsia Herzi…
Signes particuliers : Une magnifique ode à la jeunesse exaltée et amoureuse.
LA VIE DES JEUNES
LA CRITIQUE DE MEKTOUB MY LOVE
Résumé : En France, en 1994, Amin vit à Paris. Il retourne en été dans le Midi de la France où il a passé sa jeunesse chez ses parents qui tiennent un restaurant tunisien à Sète. Amin retrouve sa famille et ses amis de jeunesse, comme son cousin dragueur Tony ou sa meilleure amie Ophélie ; il passe son temps entre le restaurant familial, les bars du coin et la plage où viennent bronzer de jolies vacancières. Alors que Tony a du succès, Amin est plutôt timide. Il se trouve une occupation en photographiant la côte méditerranéenne dont il trouve la lumière fascinante et cherche l’inspiration de ses films futurs.
Plus de quatre ans après le triomphe de La Vie d’Adèle, l’iconoclaste Abdellatif Kechiche est de retour avec Mektoub my Love, une fresque fleuve malgré son cadre d’action resserré sur un été. D’autant plus « fleuve » que baptisée Canto Uno, cette œuvre romanesque au lyrisme flamboyant appelle à deux suites qui formeront ensemble, un triptyque sur les amours de jeunesse et le passage à l’âge adulte. Présenté en première mondiale à la Mostra de Venise, Mektoub my Love, qui parle du destin dans les rapports amoureux, a divisé le parterre de journalistes présents. Comme d’habitude avec Kechiche, son cinéma ne laisse jamais insensible et à l’instar de La Vie d’Adèle, Mektoub my Love va fasciner ou déranger, enivrer ou braquer.
Avec Mektoub my Love, Kechiche suit un groupe de jeunes gens le temps de vacances estivales à Sète. Une bande qui va s’épaissir avec de nouveaux venus, qui va se délester de certains, et qui va vivre au rythme de l’amour, des rapports humains, des journées ensoleillées et des soirées festives. Long de trois heures que l’on ne sent jamais passer tant la caméra baladeuse du cinéaste nous emporte dans ce maelström vivifiant, Mektoub my Love est une formidable ode à la jeunesse exaltée, une chronique qui tourne autour de la comédie, du drame ou de la romance, filmant avec une authenticité proche du documentaire, ces figures à la fois vraies, pures, libres. Observer la jeunesse libre, il n’y a rien de neuf dans la démarche de Kechiche. Rohmer le faisait déjà il y a plusieurs décennies. Mais le cinéaste nous attache, nous implique, nous fait ressentir son film plus qu’on ne le contemple. De l’aveu même du réalisateur, « On entre dans le film ou pas ». Certains diront que la défense est un peu facile mais elle est si juste. Comme le film d’ailleurs, la justesse de ce qui est peint à l’écran étant sa principale qualité, une récurrence chez Kechiche.
Porté par d’impressionnants comédiens débutants ou non-professionnels (en dehors d’Hafsia Herzi dans un rôle secondaire, dix ans après que le réalisateur l’ait révélée avec La Graine et le Mulet), comédiens dont le naturel emporte la réalité cinématographique comment un vent de fraîcheur balaierait des feuilles mortes, Mektoub my Love brille tant par ses images d’une poésie naturaliste magnifique, que par sa puissance émotionnelle et la subtilité de son écriture qui parvient à faire comprendre des idées parfois sans avoir besoin d’en faire la démonstration appuyée. Au sein de cette bande au cœur de Mektoub my Love, peuplée de nombreux personnages passionnants, passionnés et hétéroclites, le centre de gravité se déplace sans arrêt et l’on s’attache à tous ces jeunes gens, tous très différents les uns des autres, incarnant ensemble mille et un caractères, comme autant qu’il en existe dans la vie. Car finalement, il est là le cœur de Mektoub my Love, la vie et la traversée de la jeunesse avec ses joies et ses peines, cet été observé cristallisant toute une période transitoire et fondatrice de l’existence. Et c’est à travers l’instant présent que la caméra impressionniste de Kechiche offre à ses protagonistes, l’occasion de crever l’écran alors que l’amour les unie et les rattache au fil rouge de l’histoire. Il y a les fougueux, les gourmands, les mélancoliques qui traîne dans leur sillage la tristesse d’un amour inaccessible, il y a ceux qui ont envie de s’amuser, d’expérimenter, les baratineurs qui ont besoin de séduire et de flirter, les hédonistes insouciants et les victimes de leur cruauté involontaire. Mektoub my Love, c’est un portrait de la jeunesse effervescente, tour à tour effréné ou amer, épicurien ou éperdu, sensuel et bouillonnant ou fébrile voire élégiaque.
Hymne à la vie, à l’amour, aux corps, librement adapté du roman La Blessure de François Bégaudeau, Mektoub my Love est du pur Kechiche, une œuvre « vampirisante » qui travaille encore une fois ce style si discuté auquel on pourra reprocher plein de choses, critiques que le cinéaste balaiera d’un revers de la main avec un argumentaire imparable. Il s’attarde très généreusement sur les corps féminins avec un voyeurisme quasi-obsessionnel ? Oui, mais c’est comme cela que les hommes regardent les femmes, sa caméra ne faisant que transposer cet état de fait. Il montre de manière crue les scènes de sexe et sa caméra pénètre l’intimité avec une frontalité dérangeante ? Oui, mais après tout, le sexe fait partie de la vie telle qu’elle est, pourquoi l’interdire et le reléguer hors-champ ? Le fait de trouver cela « dérangeant » n’est-il pas le vrai problème de fond ? Mais au-delà de cela, Kechiche fait encore une fois la démonstration de tout ce qui fait la force et l’originalité de son cinéma. A commencer par cette manière fascinante d’aller travailler la notion du temps au cinéma en filmant la vérité absolue qui se cachent dans les interstices d’ordinaire oubliés ou volontairement jetés au nom du puritanisme ou pire, du sacro-saint sens de « l’efficacité ». Loin des canons cinématographiques traditionnels, Kechiche exploite la vraie réalité et donne du crédit à ces moments de silence, de gêne, ces hésitations quand on sait pas quoi dire, ces petites banalités qui emplissent les rapports humains au quotidien, ces longs moments de vie montrés ici en intégralité, dans de longues séquences sans découpage ni raccourcissements. Sûr de ses personnages et de la force de ce qu’il raconte, le réalisateur laisse vivre ses scènes là où tant d’autres auraient coupé au couteau pour tailler dans le gras quitte à travestir l’essence du pur cinéma-vérité reflétant la vie. Fidèle au matériau qu’il aime manipuler, sa chronique ne recherche finalement pas les enjeux dramatiques à tout prix (sans en être dépourvu cela dit) pour se faire le miroir d’un quotidien authentique et grisant.
Alors oui, Kechiche va parfois un peu trop loin au risque de se caricaturer lui-même et son cinéma en flirtant avec un excès de voyeurisme parfois un peu gratuit, oui Mektoub my Love semble moins fort dans son propos (sans être vain non plus) et oui, des maladresses s’infiltrent ça et là, comme une poignée de faux raccords par exemple, que ne verront que les plus observateurs. Mais en toute honnêteté, le voyage au côté de cette jeunesse magnifique est si exaltant, que l’on pardonne ces petits défauts pour ne garder en mémoire, qu’un film fascinant, animé par une vitalité enthousiasmante et qui aurait pu durer encore et encore alors qu’on se laisse porter par cette fougue qui emporte tout.
BANDE ANNONCE :
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Par Nicolas Rieux
ma reponse est La Mostra de Venise