Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Behind the Candelabra
Père : Steven Soderbergh
Livret de famille : Michael Douglas (Liberace), Matt Damon (Scott), Dan Aykroyd (Seymour), Rob Lowe (Dr Starz), Scott Bakula (Bob), Debbie Reynolds (Frances), Paul Reiser (Felder), Garrett M. Brown (Joe), Jane Morris (Rose), Cheyenne Jackson (Billy)…
Date de naissance : 2013
Majorité au : 18 septembre 2013 (en salles)
Nationalité : USA
Taille : 1h58
Poids : 23 millions $
Signes particuliers (+) : Une merveilleuse plongée dans les coulisses de l’univers scintillant de Liberace, pianiste de talent et artiste troublé, par l’entremise d’une liaison orageuse avec un jeune « adonis ». Intelligemment, Soderbergh s’efface doublement, d’abord derrière la beauté de son sujet fascinant, fort émotionnellement et riche de thématiques, mais aussi derrière la prestation incroyable de son duo de comédiens en état de grâce.
Signes particuliers (-) : x
UN BEAU « DERNIER » SODERBERGH
Résumé : Eté 1977, le jeune Scott Thorson fait la connaissance par l’intermédiaire d’un ami, du célèbre pianiste de music-hall, Liberace. De cette rencontre dans sa loge à une petite soirée entre amis à son domicile, ces deux êtres que tout opposent si ce n’est leur homosexualité cachée, vont entamer une liaison qui va se transformer en passion déchirante, belle mais orageuse, pendant cinq ans…
Présenté en ouverture du Festival américain de Deauville après un passage triomphant en compétition à Cannes en mai dernier même s’il est malheureusement reparti sans prix (excepté la palme Dog attribué au chien du film mais bon…) Ma Vie avec Liberace marque la suite de la carrière d’un Steven Soderbergh qui annonce sans cesse sa prochaine retraite sans la mettre à effet, continuant à enchaîner les projets et à tourner comme si de rien n’était. Bien entendu, inutile de le préciser, Liberace est donc censé être son nouveau dernier film… Si toutefois cela venait à se confirmer, au moins le cinéaste aura réussi à partir sur un succès, ce que n’était pas son précédent Effets Secondaires, petit thriller à tiroir nonchalant, voire fainéant, qui manquait cruellement… d’un peu tout en fait. Cette fois-ci, Soderbergh sera parvenu à retourner la Croisette en offrant à cette 66ème édition, l’un de ses plus beaux et forts moments d’émotion, entre le film lui-même qui a retourné pas mal de festivaliers et une conférence de presse aussi secouante que mémorable, Soderbergh y confirmant qu’il s’apprête à quitter le monde du cinéma pour marquer une « pause » et Michael Douglas y fondant en larmes en évoquant son parcours autour du film, du jour où on lui a proposé ce rôle merveilleux à à son grand étonnement jusqu’au moment où, libéré victorieusement du cancer contre lequel il se battait, il a pu accepter de rejoindre l’équipe pour prendre part à l’aventure après des années d’absence des plateaux qui lui ont cruellement manqué. L’accueil chaleureux réservé au comédien (et au film) n’était certainement pas étranger à ce moment intense et touchant.
Michael Douglas tient donc le rôle-vedette de ce dernier film de Soderbergh revenant sur une infime partie de la vie du fantasque pianiste de music-hall américain gay, Wladziu Valentino Liberace, très populaire entre les années 50 et 70. En lieu et place d’un biopic classique et linéaire avec intro, milieu et fin, le metteur en scène décide d’opter pour un angle plus intimiste, plus précis, plus indirect, un peu à la manière du récent My Week with Marilyn, en s’attachant à une période bien définie de sa vie l’entremise d’un tiers que l’on pénètrera dans l’intimité de cette star nationale étrange et emblématique. Ce tiers, c’est un jeune amant et grand amour d’un temps de Liberace, peut-être la personne qui aura su le mieux percer à jour le mythe. Scott Thorson aura entretenu une relation passionnelle avec lui, au point d’en écrire un livre qui aura servi de base à cette adaptation reprenant d’ailleurs son titre en VO : Behind the Candelabra (derrière la candélabre). C’est un superbe Matt Damon qui prêtera ses traits à Scott Thorson, alors que le reste de la distribution fourmille de sacrés acteurs, essentiellement des revenants comme Scott Bakula (génial au passage), Dan Aykroyd, Paul Reiser, Rob Lowe ou Debbie Reynolds. Avec de tels talents, Soderbergh se devait de faire quelque-chose de bien, ne serait-ce que pour offrir un retour glorieux à l’immense Michael Douglas à qui il avait évoqué le rôle il y a de cela 13 ans avant de revenir vers lui quelques années plus tard. Avec un budget assez moyen (23 millions), Soderbergh allait devoir s’attacher à un très ambitieux travail de reconstitution pour récréer à la fois les années 70 mais également le faste mégalo, kistch et luxueusement surchargé de l’environnement de l’excentrique Liberace. Pari tenu en tout cas pour un film très justement placé sous le feu des projecteurs alors que sa carrière américaine aura été marqué par un terrible injustice : une non-sortie en salles ! Jugé trop « gay », aucun distributeur n’aura accepté de prendre en charge le long-métrage qui échouera heureusement entre les mains de la chaîne HBO qui lui offrira un prime-time digne de son nom où il réalisera une très belle performance. Ma Vie avec Liberace, compétiteur à cannes et téléfilm, original…
Couronné de lauriers et de compliments ces derniers mois, Ma Vie avec Liberace est peut-être l’un des tout meilleurs films de son auteur, un Soderbergh qui, chose rare, réussit à totalement s’effacer derrière son sujet pour le laisser vivre de lui-même, adoptant une mise en scène à la fois élégante et soignée mais jamais pompeuse, troquant sa prétention naturelle habituellement affichée contre une immense intelligence de traitement et de style. L’accomplissement d’un artiste qui accouche d’une œuvre à la fois belle, sincère, touchante et d’une grande humilité. Surtout, Soderbergh s’efface derrière le talent de ses comédiens, deux immenses artistes totalement dévoués à la cause du film et qui se livrent à un numéro d’acteur impressionnant en s’investissant pleinement dans cette fabuleuse histoire riche en émotions, en originalité, en profondeur, doublée d’une belle peinture d’une époque et d’une communauté alors marginalisée, avec de foisonnantes résonnances sur notre époque contemporaine. Le statut de l’artiste et sa place dans le monde des paillettes vs l’homosexualité « honteuse », c’est l’un des nombreux enjeux du film nous entraînant dans l’univers d’un tendre doux-dingue instable affirmant ce qu’il est sans gêne en privé mais étonnamment ne pouvant se résoudre à l’exprimer en public, contraint par la pression des tenants et aboutissants, d’un contexte, d’une époque. Finalement, la catégorisation du film comme œuvre jugée « trop gay » pourrait presque passer pour la meilleure publicité faite au film et à son discours. Plus de 30 ans séparent nos deux époques et rien ne semble avoir changé. Toujours cette même honte dans le milieu du show business, toujours ce même jeu de cache-cache et de dissimulation, toujours cette même catégorisation et marginalisation…
Mais attention, Ma Vie avec Liberace est loin d’être seulement un plaidoyer pour la cause homosexuelle par l’entremise d’un biopic sur un personnage singulier. Au contraire, ce sous-texte sous-jacent est presque secondaire, ce qui ne fait que souligner à juste titre, toute la richesse de cette œuvre aussi lumineuse que les images qui l’animent. Ma Vie avec Liberace est avant tout, et surtout, une folle histoire d’amour belle et torturée, un parcours de vie à deux avec ces joies et ses drames, sa période ascendante et sa période descendante, le tout autour de deux personnages atypiques et hauts en couleur. C’est aussi une formidable esquisse sur la solitude de l’être, d’abord hors puis dans le couple, à des moments et contextes différents donnés. C’est également une immersion étonnante dans l’univers entier d’un personnage incroyable, et enfin, une splendide résurrection des années 70; car Liberace ne prend pas seulement place dans les années 70, il est les années 70, il transpire les années 70, de l’image à l’esprit, de la musique à la mise en scène d’un Soderbergh aussi discret qu’inspiré, sans parler du travail de reconstitution même, avec nombre de séquences tournées dans les authentiques lieux de vie de Liberace, nombre d’objets présents lui ayant réellement appartenu etc…
Si certains ont toujours eu du mal avec Steven Soderbergh (ce qui est notre cas), autant dire que Liberace est le symbole d’un autre Soderbergh, loin du prétentieux artiste bobo cérébro-masturbateur qu’il a pu être. Avec cette histoire vraie qui n’est pas sans nous évoquer une sorte de variation romantico-dramatique de La Cage aux Folles, il nous entraîne dans un monde-spectacle fabuleux au rythme de l’immense prestation de son duo de stars incroyables. Le cinéaste accouche d’un travail minutieux et pleinement abouti, dévoilant petit à petit ses multiples couches stratosphériques tout en rappelant le style d’un Sydney Pollack. Romance bouleversante, biopic dense et intense (couvrant seulement une partie de la vie de Liberace mais usant d’astuces ingénieuses pour déployer ses ailes au-delà de la période concernée), film engagé contre la stigmatisation de la communauté gay, travail historique pleinement accompli, délicieuse introduction à l’art du music-hall, superbe drame sombre sans pathos sur les névroses de l’artiste, Ma Vie avec Liberace est tout ça à la fois et plus encore. Une œuvre scintillant de mille feux à l’image de l’univers clinquant illuminant l’écran où le drôle côtoie le tragique, où l’émotion brute côtoie l’engagement social et où le fascinant s’entremêle au merveilleux. Soderbergh étonne, régale et bouleverse. Chapeau. Comme quoi…
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux