Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Bringing Up Baby
Père : Howard Hawks
Livret de famille : Cary Grant (David), Katharine Hepburn (Susan), Charles Ruggles (Major Applegate), May Robson (Tante Elizabeth), Barry Fitzgerald (Gogarty), Walter Catlett (Constance)…
Date de naissance : 1938
Majorité au : 02 janvier 1946 (en salles)
Nationalité : USA
Taille : 1h42
Poids : 1 million $
Signes particuliers (+) : Howard Hawks donne ses lettres de noblesse à la screwball comedy et par la même occasion à la comédie américain toute entière, avec un pur chef d’oeuvre d’hilarité, porté au firmament des classiques du cinéma par un duo détonnant, Cary Grant et Katharine Hepburn. Un régal jubilatoire mélangeant loufoque, comique visuel et joutes verbales en jouant de l’éternel concept des oppositions qui s’attirent.
Signes particuliers (-) : x
LE CHEF D’OEUVRE DE LA SCREWBALL COMEDY
Résumé : David Huxley, un paléontologue, est fiancé à sa secrétaire Alice. Susan, rencontrée lors d’une partie de golf, est également sensible au charme félin de David. Hélas, M. Bébé ne quitte pas la jeune femme d’une semelle. Enfin, d’une patte, car M. Bébé est un léopard…
1938. A la veille des plus sombres heures de l’humanité et alors que le danger monte et que le ton gronde en Europe, outre-Atlantique, le génie d’Howard Hawks était au travail, prêt à exploser à travers l’un des plus extraordinaires condensés de rire de l’histoire du cinéma. Le cinéaste ne disposait pas encore de l’aura qu’il le hissera quelques années plus tard comme l’un des plus brillants metteurs en scène américains du XXème siècle et surtout, il n’était alors pas spécialement reconnu pour être spécialiste de l’humour. La carrière d’Howard Hawks avait été jusqu’ici marquée par une poignée de films muets et une douzaine de films parlants dont un classique fondateur, la première version de Scarface avec Paul Muni en 1932. Sinon, quelques films de guerre, un peu de drame ou de films noirs et seulement une comédie méconnue, Train de Luxe avec John Barrymore et Carole Lombard en 1934. C’est à partir d’une nouvelle d’Hagar Wilde retravaillée sous la houlette du scénariste Dudley Nichols (oscarisé pour son travail sur le script du Mouchard de John Ford), qu’Howard Hawks va accoucher du classique qu’est L’Impossible Monsieur Bébé. Devant la caméra, le cinéaste réunit un duo mythique, deux légendes qui jusque-là, n’avaient jamais travaillé ni ensemble, ni sous sa direction. D’un côté, la classe incarnée avec le légendaire Cary Grant et en opposition face à lui, la pimpante Katharine Hepburn, dont ce sera étonnamment l’unique collaboration avec le maestro. Restait plus qu’à croiser les doigts pour que ce duo inédit fonctionne et que la magie entre eux prenne en espérant la voir rejaillir sur l’œuvre. Certes, deux immenses talents en présence n’est pas une forcément une garantie de complicité mais l’avantage quand il s’agit de professionnels de ce calibre là, c’est que les chances de réussite sont clairement optimisées. Heureusement, les vœux de Hawks seront exaucés au centuple, du moins pour la partie devant la caméra. On n’en attendait pas moins de ces deux monstres sacrés et l’alchimie entre eux sera au rendez-vous comme jamais. Le public, moins, malheureusement.
L’Impossible Monsieur Bébé entrera donc au panthéon des bizarreries de l’histoire du cinéma américain. Devenu un classique indémodable et intemporel au fil des années au point d’être considéré aujourd’hui comme l’une des dix plus grandes comédies de tous les temps, ce chef d’œuvre absolu a été un flop retentissant à sa sortie, peu de monde s’étant déplacé pour aller voir ce modèle emblématique de la « screwball comedy ». Ce sous-genre dont justement Hawks serait le pionnier puisque beaucoup situe la première screwball comedy en 1934 avec son Train de Luxe, L’Impossible Monsieur Bébé en porte chacune des caractéristiques comme autant d’étendards affirmés. La screwball comedy est une sorte de vaudeville très rythmé ayant recours généralement au cocasse et au loufoque et la plupart du temps basé sur un antagonisme homme/femme fort qui amène l’humour déployé. Parmi ces traits dominants, on note également la quasi-absence de prélude ou de prologue, l’action commençant dès la première minute pour ne jamais cesser avant la dernière dans un amoncellement frénétique accumulant les gags visuels ou dialogués. Par ailleurs, une rencontre entre un homme et une femme, très différent l’un de l’autre, est souvent à la genèse du développement d’une screwball comedy et les oppositions raison/intuition, classe moyenne/classe aisée ou milieu rural/milieu urbain sont autant d’éléments récurrents. A la lecture de ce rapide descriptif, on aurait presque l’impression que la screwball comedy c’est uniquement L’Impossible Monsieur Bébé tellement le film d’Howard Hawks croise chacun de ses traits dominants. Pourtant non, d’autres comme Leo McCarey, Frank Capra, Lubistch, Cukor ou John Ford auront été de valeureux artisans du genre. Mais si une chose est certaine, c’est que L’Impossible Monsieur Bébé est probablement, non seulement l’une des meilleures screwball comedy jamais faite, mais aussi l’une des meilleures comédies tout court, doublé de l’un des plus grands classiques du cinéma en général, dépassant les seules limites de son genre par l’intelligence dont il fait preuve et le talent jaillissant de ses deux icônes de légendes qui fusillent l’écran de leur complicité presque innée et d’un naturel incroyable.
Lancé à plein régime et avec une bonne humeur épatante et exaltante à l’image de son duo magique qui se renvoie la balle dans un jeu de ping-pong porté en grâce au firmament de la complicité incarnée par deux comédiens, L’Impossible Monsieur Bébé, c’est tout simplement 1h40 de pur bonheur non-stop couché sur pellicule. Une accumulation et une superposition incessante de situations, de gags et de répliques, déroulés sur un rythme frénétique et presque jubilatoirement épuisant dans une loufoquerie extravagante, conférant au génie de l’écriture et de la mise en scène. Impressionnant de précision quand on s’amuse à en décortiquer les scènes où l’humour a cette particularité de pouvoir se démultiplier pour devenir multidirectionnel dans un joyeux bordel archi-maîtrisé par un chef d’orchestre visionnaire, la comédie d’Howard Hawks est réglée comme de l’horlogerie fine et fait preuve d’une inventivité dans l’agencement et la construction de ses ressorts comique qui pourrait nourrir des heures et des heures d’analyse. L’Impossible Monsieur Bébé joue de l’opposition homme/femme avec un délicieux sens de la caricature, Hawks en profitant au passage pour faire du pur Howard Hawks avec notamment cette façon qu’il aura toujours eu dans son cinéma de s’amuser à ridiculiser la figure du mâle face à la femme affirmée. David Huxley (Cary Grant) est l’archétype même du paléontologue un peu coincé, sorte de geek avant l’heure et écrasé par une fiancée autoritaire. Un homme qui conduit sa vie avec prudence et surtout sans jamais faire la moindre vague. Sa rencontre avec la délurée Susan Vance (Katharine Hepburn) va être le déclencheur d’un cauchemar étiré sur une petite poignée de jours seulement, durant lesquels tout ne sera pour lui que maladresse, malchance et dépit profond. Il était tranquille dans sa vie calme avec son petit gilet, ses os vieux de centaines de milliers d’années et son doux air ahuri. Elle est complètement insouciante, inconséquente et extravagante, véritable boule de feu intenable qui déclenche catastrophe sur catastrophe. Les oppositions ont toujours été le ressort numéro un de la comédie, Howard Hawks va littéralement transcender cet adage pour accoucher d’un must.
Malgré le Code Hays entré en vigueur quelques années plus tôt et les bonnes mœurs paradant au-dessus de la société américaine, Howard Hawks signe une merveille que n’aurait pas renié un Billy Wilder. L’Impossible Monsieur Bébé est une farce jouissive et ébouriffante qui ne prend jamais le temps de respirer et que le cinéaste conduit sur un tempo d’enfer en enfilant comme des perles des moments tous plus cultes les uns que les autres, en grande partie avec l’aide de ses comédiens qui s’abandonnent complètement à toutes les folies décalées, à l’instar d’un Cary Grant qui se prête au jeu du ridicule dans tout un passage où sa virilité est mise à mal dans le revêtement d’un peignoir de femme à boules de fourrure ou d’une K. Hepburn les « fesses » à l’air lors d’un haut sommet d’hilarité lorsque sa robe de soirée se déchire…
Référence en matière de screwbal comedy mais surtout référence en matière de comédie américaine tout court, L’Impossible Monsieur Bébé est une cavale romantico-humoristique menée tambour battant avec une douce hystérie par un Hawks des grands soirs. Un vrai feel good movie rétro qui fait un bien fou au moral et aux esprits dans un intense moment de détente à pleurer de rire devant les mésaventures d’un pauvre homme impuissant face à la tornade qui s’abat sur sa vie si monotone. L’échec du film en est d’autant plus étrange que L’Impossible Monsieur Bébé répondait à toutes les envies de distraction légère de l’époque et avec un génie tellement incroyable, qu’encore aujourd’hui le film conserve toujours autant de saveur et de pouvoir d’hilarité. La mauvaise presse, principalement celle des journaux du surpuissant mogul des médias William Randolph Hearst (celui-là même que brocarde Orson Welles dans Citizen Kane), a souvent été désignée comme l’une des explications premières à cette étonnante déroute. Il a toujours été de notoriété publique qu’Hearst détestait cordialement Katharine Hepburn, qu’il considérait comme un « poison pour le box office ». Il y aurait une histoire d’amoureux éconduit là-dessous que ça ne surprendrait guère. Toujours est-il que le nabab se chargea d’assurer le pilonnage du film avec une mauvaise foi emblématique de cette haine jamais réellement expliquée. Mais peu importe, les années ont défilé, les décennies ont passées, le souvenir de ce méprisant sympathisant nazi s’est effacé alors qu’à l’opposé, celui de L’Impossible Monsieur Bébé brille plus que jamais. Un modèle du genre, un chef d’œuvre et le reflet du meilleur visage de l’âge d’or d’Hollywood. On ne s’en lassera jamais. A voir et à revoir. Et pour l’anecdote, avec l’arrivée de la guerre et l’embargo nazi, le film ne sortira en France qu’en 1946 soit 8 ans après sa création.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux