Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Le Soupirant
Père : Pierre Etaix
Livret de famille : Pierre Etaix (Pierre), France Arnel (Stella), Laurence Ligneres (Laurence), Claude Massot (le père), Denise Peronne (la mère), Karin Vesely (Ilka)…
Date de naissance : 1964
Nationalité : France
Taille/Poids : 1h25 – Budget NC
Signes particuliers (+) : Une première oeuvre délicieuse, drôle et tendre, dans la droite lignée du Mr Hulot de Jacques Tati.
Signes particuliers (-) : Le démérite de passer derrière ce même Tati, dans le temps comme dans la notoriété.
PIERROT DE LA LUNE
Résumé : Pierre, un jeune homme vivant dans ses rêves sans cesse enfermé dans sa chambre de la maison bourgeoise familiale, est sommé par ses parents de se bouger et de se marier. Il se lance à la recherche du grand amour pour vite expédier cette formalité…
Le Soupirant est le tout premier long-métrage réalisé par l’acteur/clown français Pierre Etaix. On était en 1963 et ce jeune homme un peu lunaire et doux rêveur, élève de Jacques Tati pour qui il a travaillé, a réalisé un premier court-métrage deux ans auparavant, en 1961, intitulé La Rupture. Inscrit dans le prolongement d’artistes comme Buster Keaton, Harold Lloyd, Max Linder ou Chaplin, Pierre Etaix est surtout très proche du style de son mentor et sorte de père spirituel, Tati. Gagman sur Mon oncle par exemple, Etaix est un pur talent très doué pour le comique de situation visuel efficace et d’inspiration clownesque. Il sait enchaîner les gags sur un rythme soutenu en jouant de son corps, de ses mouvements, de situations absurdes et cocasses accouplées à des gags hilarants. Et comme chez Tati époque noir et blanc, années 50, le cinéma de Pierre Etaix n’est pas un cinéma très bavard. Avare même de dialogues, il joue essentiellement sur le visuellement rocambolesque plus que sur des textes source de drôlerie. Il évoluera légèrement avec le temps et toujours dans le sillage de Tati puisque son cinéma en couleurs entretiendra beaucoup de similitudes avec le cinéma de Tati en couleurs (Le Grand Amour par exemple, récemment chroniqué ici, proche dans l’esprit d’un Playtime).
Le Soupirant est donc une première œuvre, un essai mais un essai fabuleux puisqu’il s’agit là d’un des meilleurs films de Pierre Etaix. Œuvre douce et délicate, elle s’attache aux aventures d’un jeune homme rêveur poussé par ses parents à se marier. Du jour au lendemain, Pierre se décide et se lance à l’abordage de la gente féminine non sans peine et sans désillusion. Prix Louis-Delluc en 1962, Le Soupirant va faire entrer Pierre Etaix dans la galaxie des auteurs français aux univers singuliers et inimitables (quoique lui a imité).
La première chose qui ressort du film est évidemment sa drôlerie. Le Soupirant est une œuvre hilarante, à la fois tendre et touchante et dans le temps gentiment moqueuse de son personnage tête en l’air et maladroit, accumulant les gaffes comme un homme politique accumule les casseroles. Impossible de ne pas voir dans ce personnage de Pierre, ce doux-rêveur un peu lunaire et dans son monde, un reflet inspiré du fameux Mr Hulot, le personnage de Mon Oncle et des Vacances de Mr Hulot de J. Tati. C’est presque le même mais en plus jeune et dynamique. Ils ont en tout cas en commun ce facteur déclencheur de rire, ce que justement Etaix maîtrise le mieux. Son expérience de gagman pour Tati va considérablement lui servir, autant que son passé dans l’univers du cabaret et du music-hall où il a travaillé avec le célèbre clown Nino. La seconde chose, qui se vérifiera avec le temps, c’est que Le Soupirant prend pour cadre la petite bourgeoisie parisienne dont le film se moque gentiment et avec tendresse et délectation, de même qu’il se moque de la vie maritale chez elle (le père dominé par sa femme, imaginant des stratagèmes improbables pour fumer ou boire en douce). Il s’avère que cette classe sociale deviendra le sujet privilégié du cinéaste de film en film. Enfin, troisième chose point notable concernant ce Soupirant, le film est co-écrit avec Jean-Claude Carrière. Ensemble, les deux hommes avaient déjà écrit le script de La Rupture. Cette seconde collaboration va lancer un duo qui ne se quittera plus puisque carrière deviendra un fidèle de Pierre Etaix, l’un aux histoires, l’autre aux gags.
Pierre Etaix met à profit toute son expérience passée dans Le Soupirant, qu’il interprète bien évidemment lui-même. Son passé d’auteur de gags bien sûr pour imaginer les péripéties de cet homme à la recherche de l’âme sœur, mais aussi de clown dans la construction et l’interprétation de ces dits gags, son passé de dessinateur également (le film a un ton très bande-dessinée) et pour finir de cinéaste, fort de l’expérience de son premier court, Etaix s’affine, et livre une première œuvre finalement très aboutie et intelligente.
Film sur une sorte de Pierrot un peu lunaire, Le Soupirant est un petit classique méconnu. Son personnage de petit bourgeois passionné par ses activités personnelles (une sorte de geek avant l’heure) sortant du cocon familial pour se lancer dans une aventure de la vraie vie, à la recherche de l’amour comme s’il s’agissait d’une tâche administrative à remplir, est un savant mélange de moquerie douce et d’attachement émouvant et qui va se confronter initiatiquement à la vie personnifiée et aux désillusions qu’elle amène par, entre autres, le biais du music hall dont les coulisses tiendront une partie importante du film.
Le Soupirant sera le premier film et premier succès de Pierre Etaix qui entrera brusquement dans la lumière du vedettariat après ce coup réussi et primé. Hilarant (les premières recherches d’une femme dans les rues, la scène de la cigarette dans un bar…), attendrissant (les séquences avec la jeune étrangère), ce premier film est une douceur réjouissante à consommer sans modération, représentant le meilleur de l’artiste multi-facettes qu’était Pierre Etaix.
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