Mondomètre
Carte d’identité :
Nom : Le Redoutable
Père : Michel Hazanavicius
Date de naissance : 2017
Majorité : 13 septembre 2017
Type : Sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h47 / Poids : NC
Genre : Comédie dramatique, Biopic
Livret de famille : Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo, Grégory Gadebois, Micha Lescot…
Signes particuliers : Drôle, intelligent, créatif, ce « biopic » partiel sur Godard est une réussite !
GODARD A BOUT DE SOUFFLE
LA CRITIQUE DE LE REDOUTABLE
Résumé : Paris 1967. Jean-Luc Godard, le cinéaste le plus en vue de sa génération, tourne La Chinoise avec la femme qu’il aime, Anne Wiazemsky, de 20 ans sa cadette. Ils sont heureux, amoureux, séduisants, ils se marient. Mais la réception du film à sa sortie enclenche chez Jean-Luc une remise en question profonde. Mai 68 va amplifier le processus, et la crise que traverse Jean-Luc va le transformer profondément passant de cinéaste star en artiste maoïste hors système aussi incompris qu’incompréhensible.
Trois ans après le douloureux échec de The Search, son ambitieux drame de guerre qui s’était fait malmené au festival de Cannes avec un accueil plus que tiède, Michel Hazanavicius a eu le courage de revenir affronter la Croisette avec Le Redoutable, son portrait doux-drôle-amer des années maoïstes de Jean-Luc Godard, alors qu’il vivait sa romance avec sa muse Anne Wiazemsky, dont le livre Un an après a d’ailleurs servi de base au film. C’est la jeune Stacy Martin (Nymphomaniac) qui prête ses traits à la comédienne, alors que Louis Garrel est un incroyable Godard, lunettes, crâne dégarni et cheveu sur la langue à l’appui.
Aaaah Godard… Tout un poème. Un nom, un cinéaste, un intellectuel, un génie pour certains, un égocentrique énervant pour d’autres, mais dans tous les cas, un homme qui a marqué le cinéma, qui a fait avancer le cinéma, qui a su s’attirer le respect de ses pairs en France et ailleurs, comme Scorsese, Bertolucci ou Tarantino. Michel Hazanavicius décrit le personnage comme un artiste fascinant, inclassable, provocateur, iconoclaste, intransigeant, radical, libre, révolutionnaire, charismatique, politique, cinglant, hautain, drôle, joueur… Et quel plus bel hommage pouvait-il lui rendre qu’avec un film à son image, à l’image de l’homme comme de sa carrière. Le Redoutable est lui-même un peu fou, décalé, différent, imprévisible, créatif, penseur, expérimentateur, drôle, tragique, malin, pervers, aiguisé, affable. Puisant mille et une références dans l’œuvre godardienne, Hazanavicius réussit avec brio, à dresser un portrait presque complet de Jean-Luc Godard, sur la foi d’une période pourtant très spécifique de sa vie, une période charnière à travers laquelle on comprend ce qu’il a été, et ce qu’il va devenir. Pour tous ceux qui se demandent pourquoi et comment le cinéma de Godard a t-il pu autant « partir en vrille » dans la radicalisation extrême, voire excessive, Le Redoutable apporte la réponse. Il permet de comprendre comment Godard est devenu « Godard », comment Godard a tué Godard, il décrypte sa mort artistique en 1968 et sa renaissance intellectuelle en 1969, il explique pourquoi ses toutes dernières œuvres sont aussi éloignées des A Bout de Souffle et autres Le Mépris ou Pierrot le Fou. Mais aussi, il explique pourquoi Godard est devenu cette caricature d’une certaine définition de l’élitisme hermétique. Et c’est passionnant ! Passionnant, accessible et drôle. Car Le Redoutable est surtout truculent, comme l’était le jeune Godard de l’époque. Drôle sur la forme, drôle sur le fond, drôle dans les dialogues, drôle dans l’interprétation et drôle dans ses délires visuels, Le Redoutable est une comédie qui porte la marque Hazanavicius, pour son type d’humour mais aussi pour sa richissime cinéphilie.
On aurait pu craindre du film, que son sujet très pointu (Godard et le maoïsme) enferme le résultat dans un cadre un peu excluant, limitant son intérêt aux cinéphiles purs et durs ou aux aficionados du réalisateur emblématique de la Nouvelle Vague. Mais pas du tout. Hazanavicius a su façonner une œuvre à tiroirs, où chacun pourra y trouver son compte. Les cinéphiles se délecteront des débats enflammés et théoriciens dissertant sur le cinéma, la politique, la société, la manière d’y vivre, l’art ou la place et le rôle de l’artiste. A l’opposé, les autres pourront se régaler d’une comédie hilarante, subtile et intelligente, ou s’émouvoir d’un drame passionnel observant le malheur d’une femme écrasée par le poids d’un homme qu’elle admirait trop. Enfin, les curieux verront s’ouvrir devant eux, une fenêtre instructive sur un visionnaire du cinéma associée à une plongée dans une période historique riche en terme de réflexions. Il y a beaucoup de choses dans Le Redoutable, film inspiré et inspirant, à la fois fin, virtuose et imaginatif. Il y a surtout pour tous les goûts et ceux qui aimeront toutes les composantes de ce brillant effort d’Hazanavicius, ne passeront pas loin de l’orgasme cinéphilique. Et au sommet de ce délectable exercice de style, Louis Garrel. L’acteur livre une formidable partition au mimétisme génial. A l’écran, Garrel et Godard se confondent, et le comédien rend le cinéaste plus vivant et vibrant que jamais, recréant tout son sens du théâtralisme cabotin, tout son sens de la formule, sa drôlerie, son entêtement frondeur et intraitable, sa gouaille amusément agaçante ou sa cruauté involontaire, souvent due à son exaltation incontrôlée et trop passionnée.
« C’est quand que vous refaites des films comme ça ? ». Voilà ce que l’on disait souvent à Godard. Quelque part, à travers ce coup d’œil porté sur le cinéaste helvète adulé ou méprisé, Hazanavicius glisse de lui-même dans Le Redoutable. « Avec ma femme, on a adoré OSS 117, c’est quand que vous refaites un film comme ça ? » Combien de fois a t-il dû l’entendre celle-ci, le Michel… Pareil avec The Artist, d’ailleurs. Mais s’il parle un peu de lui via une réflexion sagace sur l’artiste en général, c’est avec humilité que le fait Hazanavicius, car son intention est avant tout de rendre hommage à un cinéaste-penseur-théoricien qui, quoiqu’on en pense aujourd’hui, fut un électron libre dont le cinéma avait, a eu, et a encore besoin. Avec Le Redoutable, Michel Hazanavicius explore le cinéma de Godard en se glissant derrière le mythe. Il ponctue son film de petits clins d’œil cinéphiles fort malins, renvoyant à Vivre sa Vie (toute la brillante séquence au cinéma devant La Passion de Jeanne d’Arc) au Mépris (la reprise est immanquable), mais aussi à A Bout de Souffle (le dialogue face caméra adressé au spectateur), à Bande A Part voire même à Adieu au Langage. Tout cela pour (re)créer des scènes farceuses d’anthologie mais aussi pour élaborer un film-miroir absolument grandiose, jamais gratuit ou en toc, et toujours plein de sens et d’idées. Bref, vous aimez Godard ? Alors Le Redoutable est fait pour vous. Vous détestez Godard ? Alors Le Redoutable est fait pour vous. Vous vous fichez éperdument de Godard ? Ça marche aussi ! Car derrière tout ce portrait, il y aussi l’histoire d’un couple, l’histoire d’une femme qui se libère alors que son artiste de mari se perd. Formidable, généreux, audacieux, mélancolique et excitant, ainsi va la vie à bord du Redoutable…
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux
film génial