Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Gaav
Père : Dariush Mehrjui
Livret de famille : Ezzatollah Entezami (Hassan), Ali Nassirian (Islam), Mahin Shahabi, Jamshid Mashayekhi, Jafar Vali, Khosrow Shojazadeh, Ezatallah Ramezanifar…
Date de naissance : 1968
Majorité : 04 juin 2014 – Reprise au Reflet Médicis à Paris
Nationalité : Iran
Taille : 1h45 / Poids : Budget NC
Signes particuliers (+) : Puissante fable sociale contestataire aux ramifications à la fois politiques, sociologiques, philosophies voire mystiques, portée par un comédien exceptionnel, un ton proche du néo-réalisme italien, une histoire simple, attachante, dure et riche en sous-lectures, La Vache est un chef d’oeuvre majeur et fondateur du cinéma iranien.
Signes particuliers (-) : x
LA MARCHE DE L’HISTOIRE
LA CRITIQUE
Résumé : La vache de Mashdi Hassan représente tout pour lui et son village. Un jour, elle disparaît. Le monde s’effondre alors autour de lui. L’INTRO :
Fin XIXème, le cinéma est inventé en tant que petite prouesse technique suscitant la curiosité et la distraction. Rapidement, quelques pionniers y décèlent un moyen de raconter des histoires. Des petites d’abord, et des plus grandes ensuite. Le cinéma change. Il devient un art. Puis, certains relèvent qu’il est possible d’utiliser ces histoires pour faire passer un message, des idées, soutenir un discours, qu’il soit propagandiste ou contestataire. Le cinéma devient alors un possible vecteur politico-social. En Russie par exemple, un Eisenstein conjugue brillamment toutes ces facettes pour donner naissance à des chefs d’œuvre impérissables. Conscient de son pouvoir, le cinéma devient alors un art total, aux possibilités infinies. Et certains s’appuieront sur leur maîtrise de celui-ci pour dénoncer, pour contester, pour questionner, pour illustrer. Frontalement ou de façon déguisée. Car si le cinéma contestataire est plus aisé dans les pays dit « libres » en terme d’expression, il n’aura pourtant pas été en reste dans les pays marqués par la dictature, la censure ou des régimes sévères. Bien au contraire. Avec audace, intelligence et finesse, certains génies frondeurs réussiront à exprimer subtilement des messages contestataires, usant de l’art de la fable ou de la parabole. En Turquie par exemple, où un Yilmaz Guney n’aura eu de cesse de se battre contre le pouvoir en place, quitte à se faire emprisonner pour son travail.
L’AVIS :
En Iran, un nom sonne comme un précurseur emblématique : Dariush Mehrjui. En 1969, le cinéaste réalise La Vache, son second long-métrage adapté d’une nouvelle du romancier de Gholam-Hossein Saedi. Un film censuré à sa sortie et considéré aujourd’hui comme majeur dans l’histoire du cinéma iranien, appartenant à l’histoire de ces œuvres emblématiques d’un cinéma contestataire en zone trouble. En réunissant les caractéristiques précédemment évoquées, le trio « audace, intelligence et finesse », Dariush Mehrjui signe un très grand film, recourant à la fable douce-amère pour dénoncer au détour d’une comédie dramatique, ou plutôt d’une tragédie comique, les actions du Shah et la situation de l’Iran pré-révolution de 1979. Derrière son apparente histoire tragicomique et attachante aux allures de conte noir sur les liens entre un paysan et sa vache, dans un huis clos ouvert sur un tout petit village isolé dans le désert iranien, La Vache est en réalité un très grand film à tous les égards. Une fenêtre ouverte sur un coin du monde à une époque donnée, à la fois émouvante, drolatique, mais surtout subtilement politisée, prenant des risques pour illustrer la situation sociale de son pays. Pauvreté, cohésion populaire pour lutter et survivre, misère agricole, aliénation à devoir protéger le peu possédé, dénuement poussant à la folie, rivalité, confusion entre l’homme et sa fonction sociale, La Vache erre entre le burlesque amer et la tragédie pour soulever des thématiques transcendantales. Une œuvre humaniste à rapprocher du néo-réalisme italien à l’orientale, incarnant une sorte de Nouvelle Vague iranienne et pour laquelle on ne manquera pas non plus de souligner l’étourdissante interprétation du comédien Ezzatollah Entezami, dans son tout premier rôle à l’écran, fascinant et déboussolant en simple paysan voyant son monde s’effondrer avec la perte de son seul bien précieux devenu tout pour lui. Il se dégage une simplicité et une pureté formelle et narrative du film de Dariush Mehrjui rivalisant avec la richesse des sous-lectures de son fond d’une grande acuité. Car toute œuvre sociale qu’elle est, La Vache est aussi une passionnante réflexion politique (voire géopolitique), sociologique, philosophique et même mystique, sur le rapport de l’homme à son identité. Et par extension, sur le rapport entre un pays et son identité. Car de l’infiniment petit avec cette histoire de vache représentant tout pour un homme, comme pour son petit village, véritable manne permettant à tous de subsister au point de susciter la jalousie des communauté environnantes, le film de Mehrjui peut s’extrapoler en parabole brillante sur la situation de l’Iran de l’époque, anciennement pays rural vivant de l’agriculture et troublant son identité forte en se transformant son identité pour se hisser au rang de puissance pétrolière entrant en conflit avec ses voisins et le reste du monde.
Récompensé à Venise, ce film-manifeste empruntant des éléments à l’histoire du Prince Nouh ibn Mansoûr (victime d’hallucinations l’amenant à croire qu’il était une vache) fut l’un des éléments clés ayant participé de sauver le cinéma iranien, lorsqu’après la révolution de 1979, l’Ayatollah Khomeiny décida de maintenir l’industrie cinématographique après avoir découvert le film à la télévision, épaté par sa force brute et lucide à retranscrire une réalité. Ce chef d’œuvre est à redécouvrir au cinéma Le Reflet Médicis les 4 et 5 juin prochain, grâce au travail passionné des collaborateurs de chez Splendor Films.
Bande-annonce non disponible
Par Nicolas Rieux
Un grand merci à Splendor Films et Nicole Medjeveski.