Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : La Marche
Père : Nabil Ben Yadir
Livret de famille : Olivier Gourmet (Christophe), Tewfik Jallab (Mohamed), Vincent Rottiers (Sylvain), Charlotte Le Bon (Claire), Lubna Azabal (Kheira), Hafsia Herzi (Monia), M’Barek Belkouk (Farid), Nader Boussandel (Yazid), Philippe Nahon (René), Jamel Debbouze (Hassan), Rufus…
Date de naissance : 2013
Majorité au : 27 novembre 2013 (en salles)
Nationalité : France
Taille : 2h00
Poids : 10,6 millions €
Signes particuliers : Une œuvre politique et engagée, féroce mais jamais haineuse, fraternelle et jamais excluante, ouvrant son cœur à tout le monde sans catégorisation ni esprit communautariste.
LA MARCHE POUR TOUS
Résumé : En 1983, dans une France en proie à l’intolérance et aux actes de violence raciale, trois jeunes adolescents et le curé des Minguettes lancent une grande Marche pacifique pour l’égalité et contre le racisme, de plus de 1000 km entre Marseille et Paris. Malgré les difficultés et les résistances rencontrées, leur mouvement va faire naître un véritable élan d’espoir à la manière de Gandhi et Martin Luther King. Ils uniront à leur arrivée plus de 100 000 personnes venues de tous horizons, et donneront à la France son nouveau visage.
C’est une page de l’histoire de France récente trop largement oubliée, que le cinéaste belge Nabil Ben Yadir (Les Barons en 2009) a décidé de porter à l’écran pour son second long-métrage. Il aura fallu beaucoup d’énergie pour batailler contre vents et marées afin de monter un tel projet engagé sur un sujet sensible là où les financiers n’y voyaient qu’un énième film « communautariste ». Sauf que l’esprit de La Marche, ce n’est pas ça et heureusement qu’un Besson avisé a entendu ses auteurs car le résultat est là et ne tombe pas comme un cheveu sur la soupe, bien au contraire, arrivant même au meilleur des moments avec ce qu’il défend, dans un climat émergent de dégénérescence sociétal au « pays des droits de l’homme ». Rappel des faits. 1983, les crimes à caractère raciste se multiplient en France. Au lendemain d’une énième bavure policière dans le célèbre quartier des Minguettes à Lyon, où un jeune homme s’est reçu une balle tirée à bout portant par un policier sans discernement, une réaction inattendue se produit. Cet événement va être le déclencheur d’un mouvement pacifiste incroyable, une très longue marche ralliant Paris depuis Marseille, organisée par une poignée de jeunes voulant sortir de leur ghetto accompagné de quelques adultes engagés dans leur cause, tous réclamant égalité, fraternité, respect et la cessation des crimes xénophobes. Inspirés par les actions des plus grands, de Martin Luther King à Malcolm X en passant par Gandhi, ce petit comité étonnant va faire entendre sa colère à travers toute la France, allant à la rencontre des gens de village en village, débattant, discutant, expliquant, essuyant brimades et coups durs mais maintenant leur foi et leur volonté de convaincre la Nation toute entière par leur action, qu’il est temps de stopper la montée de l’intolérance et la violence qui l’accompagne, et d’éveiller les consciences.
Pour fêter les 30 ans de cette grande Marche qui aura marqué l’histoire sociale et politique française des années 80 et qui aura participé de changer le visage du pays en y apportant quelques évolutions majeures (leur cause portée au sommet de l’Etat, la carte de résident pour 10 ans, la création de SOS Racisme…), Nabil Ben Yadir recrée cet élan fraternel au cinéma, en l’adaptant très librement (et avec beaucoup de changements et de fictionnalisation) au détour d’une magnifique aventure humaine, pleine de crédibilité et de nuances, à la fois drame dur et comédie joyeuse, bref, comme le cours de la vie avec ses joies et ses peines. Avec un réalisateur belge issu de l’immigration marocaine, un jeune producteur français de seulement 29 ans et des acteurs intergénérationnels issus de la grande France black, blanc, beur, La Marche, c’est un mouvement de solidarité et de réunification couché sur pellicule avec une sincérité, une générosité et un cœur débordant. Côté casting, Nabil Ben Yadir parvient à réunir une distribution très hétéroclite où les nouveaux visages côtoient les anciens que l’on connaît par cœur, où les vedettes côtoient les plus méconnus, où les espoirs de demain côtoient l’expérience des anciens… Une distribution magistrale peuplée de vedettes et de noms qui ne se prennent pas pour des stars, qui s’effacent dans l’arrière-plan du véritablement important, le discours, le sujet, l’œuvre. Et ils sont tellement méritants et magiques qu’il serait presque criminel de ne pas les évoquer pour les mettre en lumière. Il y a d’abord les solides, comme un Philippe Nahon impressionnant de puissance sourde en vieux con faussement raciste mais authentiquement généreux ressemblant à s’y méprendre à Jean Gabin, comme un Olivier Gourmet une fois de plus épatant ici en curé engagé, ou comme une Lubna Azabal tout simplement brillante, incarnant l’un des personnages les plus marquants du film avec celui de ctte combattante trop zélée et aveuglée par sa cause. On pourra également citer Rufus qui fait un passage où la star Jamel Debbouze, absolument énorme et bouleversant au-delà du numéro comique auquel il se prête. Puis il y a les jeunes qui se sont fait un nom. Le drôle Nader Boussandel par exemple (déjà dans Les Barons) ou l’ex-miss météo de Canal+ Charlotte Le Bon, qui sans teint ni maquillage, prouve qu’elle n’est pas que jolie mais aussi une authentique actrice en devenir. Hafsia Herzi (La Graine et Le Mulet) est là également, dans le rôle fort et riche d’une jeune étudiante maghrébine qui redresse la tête après des années à l’avoir baissée. Et il y a des révélations (ou presque), les jeunes plus méconnus et que l’on espère vite retrouver. Tewfik Jallab, Vincent Rottiers et M’Barek Belkouk. Le premier est celui « par qui le scandale arrive », le second, un ami touchant, désireux de sortir une fois dans sa vie des Minguettes et le troisième, un rigolo enveloppé qui suit ses amis pour prouver à son père qu’il peut le faire. Trois jeunes acteurs aux expériences différentes mais au talent fou comme dénominateur commun. Et au final, autant de personnages sensibles et attachants qui forment un tout d’une grande diversité dans un film profondément humain et animé d’une vaste galerie extraordinaire de vie et de saveur dans son mélange, la principale thématique du film.
La Marche, c’est beaucoup de choses. Beaucoup trop en tout cas, pour en faire le tour le temps d’un papier « concis ». Pour le définir en quelques mots, on pourrait dire du film de Nabil Ben Yadir qu’il est une œuvre d’utilité publique, qui trouve une résonance à la fois exaltante et terrifiante dans notre société d’aujourd’hui. Exaltante en ce qu’elle remotive à ne jamais cesser le combat contre l’intolérance, le racisme, les préjugés, les inégalités. Un film très politisé qui tombe au moment parfait alors que la montée du FN devient une réalité effrayante comme si ces 30 dernières années n’avaient finalement servies à rien question apprentissage et évolution de la société désormais en plein processus de régression. La Marche, c’est aussi la France. Toute la France. Tout un pays et ses différences mises en boîte en un film rassembleur qui vient rappeler, comme une piqûre nécessaire, à quel point notre Nation a, dans son cosmopolitisme, une richesse phénoménale et non un lourd fardeau à porter. Sous nos yeux, défilent la France qui avance, la France qui se bat, la France raciste, la France choquée, la France aimante, la France conne, la France fraternelle, la France cosmopolite, la France haineuse, la France belle, la France moche, la France forte, la France faible, la France étriquée, la France généreuse, la France des français, la France des autres français, la France des autres tout court, la France de tous, la France rêvée et celle qui a du chemin encore à parcourir… La Marche montre beaucoup de choses, défend beaucoup de causes avec comme moteur principal un cri d’appel à l’unification et à l’égalité dans sa plus pure essence, mais surtout, il le fait avec une très rare intelligence…
Grâce à son parti pris risqué de s’éloigner du récit historique fidèle, Nabil Ben Yadir a trouvé un moyen de pouvoir ouvrir son film de sorte qu’en l’espace de deux heures, il brasse quantité d’idées, quantité de points de vue, quantité d’axes. Car la haine, l’exclusion, ne sont pas seulement le malheur d’une communauté mais de bien des gens de tous horizons confondus. Pour cela, La Marche sera une adaptation plus que libre, un film seulement « inspiré » par un événement et brodant autour, même si l’axe central ne bouge pas de sorte à ne pas trahir le matériau historique, mettant en lumière davantage un idéal qu’une histoire précise. Beaucoup de personnages sont inventés, rajoutés, créés ou recréés, fusionnés, de sorte à ce que la petite poignée de protagonistes représentent à elle-seule l’essentiel de l’intolérance quotidienne élargie et du racisme multidirectionnel, de celui envers les étrangers, entre les étrangers, envers les français, entre les français… Et c’est probablement là la plus grande réussite du film de Nabil Ben Yadir. Le cinéaste enveloppe son travail d’une multitude de nuances et de subtilités qui témoignent toutes de l’intelligence de son approche et de son regard qui, mine de rien, réussit un tour de force bien plus retentissant qu’il n’y paraît, en surmontant une colline sur laquelle généralement, 90% des auteurs engagés dans ce type de cause se cassent les dents. Sous ses airs de comédie dramatique sympathique et émouvante, La Marche fait quelque-chose de réellement grand en trouvant la voie parfaite pour parler d’exclusion, de racisme, de communautarisme, d’intégration, de fracture raciale, de différences culturelles etc. sans jamais tomber dans l’enfermement idéologique et surtout sans jamais tomber à son tour dans le travers qu’elle dénonce. Film à 100% « a-communautaire », La Marche est une œuvre qui n’exclut PERSONNE. Une véritable ode multicolore, rageuse dans le bon sens du terme et jamais haineuse, un film qui défend un point de vue sans tomber dans les écueils faciles qui jalonnent le parcours de sa démarche et qui lui sont souvent associés. Nabil Ben Yadir fait sauter un à un tous les verrous qui auraient pu cadenasser son travail et l’enfermer dans un aveuglement excluant mettant en lumière une communauté au détriment des autres, hurlant son message sans distinction, finesse ou nuance et avec haine, établissant des généralités faciles… Au contraire, lucide, fin, brillant même, derrière l’apparente nonchalance souvent détendue d’un projet caractérisé par une fausse impression de facilité et de légèreté, le cinéaste fait preuve d’une approche bien plus intelligente qu’au demeurant, esquivant tous les récifs de l’enfermement dans un discours politiquement engagé réducteur et de l’assénement de généralités pour ne pas à avoir à faire dans le détail. Ici, la démarche est autrement plus complexe et pénible. Avec une maestria étonnante de naturel, Nabil Ben Yadir ouvre sa Marche à tous, ouvre ses images au plus grand nombre sans différence et tend sa pellicule vers le spectateur quel qu’il soit, d’où qu’il soit, qui qu’il soit, sans jamais juger, sans jamais sectoriser, ni catégoriser, et surtout sans jamais tomber dans un généralisme colérique empli d’obscurantisme. La Marche, c’est beau, c’est tendre, c’est un film qui ouvre son cœur à qui veut l’étreindre.
Et c’est pour cela d’ailleurs qu’il n’y a pas de héros dans le film. Le seul héros, c’est la marche elle-même, c’est l’esprit, l’idéal défendu, c’est la masse, les gens dans leur globalité. En terme d’écriture, là encore le travail est noble et épatant de conjugaison entre fausse simplicité et véritable complexité talentueuse. Où comment arriver à faire extrêmement fin sans l’afficher et sans s’en vanter. La marque de l’absence de prétention d’un auteur à l’humilité frappante. Les différents protagonistes ont chacun leur(s) moment(s), chacun est sur une petite portion le héros de sa propre histoire mais au final, ça va ça vient, dans une écriture fluide et brillante, sachant jongler avec ses personnages en leur offrant à tous une tribune sans qu’un ne prenne l’ascendant et ne devienne le héros cachant le message de fond. C’est fort. Au moins autant que l’équilibre également trouvé dans le dosage des tons représentant les différentes phases d’une vie. La Marche trouve un style juste, avec une harmonie parfaite entre humour et dureté. Des moments très drôles, il y en a à la pelle dans un film réellement vivant, refusant l’austérité, refusant de céder au chantage de la rigidité rigoureuse pour ne pas donner l’impression d’aborder trop futilement son sujet. Cette marche aura ses moments de joies, ses moments de rires mais ils n’occulteront pas cependant ses moments très douloureux et durs, au détour de scènes aussi crues que cruelles. La Marche ne fait pas de misérabilisme, pas plus qu’il ne fera dans la frivolité irrespectueuse. Nabil Ben Yadir s’applique à trouver le subtil dosage idéal, ni trop suffocant ni trop inconséquent, rendant son film à la fois fort, marquant, émouvant, drôle, triste, en somme, réaliste avec son parcours de plus 1000 kilomètres fait de moments de joie, de moments de peine, de moments de doute ou de peur…
Des maladresses, évidemment qu’il y en a quelques-unes. Mais elles sont si minuscules au regard de l’ensemble. Des détails dans un film qui est Grand et avec un « G » immense. Au moins aussi immense que le cœur, la sincérité et la générosité dont il fait preuve dans son discours bouleversant et passionné, peut-être un peu naïf, mais finalement comme la démarche des personnages originels. Sauf que l’histoire a souvent prouvé que ce sont les naïfs avec leurs idéaux de naïfs qui au final ont fait avancer le monde, bien plus que les septiques convaincus qui n’osent jamais rien. Chapeau l’artiste. Voilà maintenant « le film pour tous ».
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux