Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Joe
Père : David Gordon Green
Date de naissance : 2013
Majorité : 30 avril 2014 (en salles) / 10 septembre 2014 (vidéo)
Nationalité : USA
Taille : 1h57
Poids : 4 millions $
Livret de famille : Nicolas Cage (Joe Ransom), Tye Sheridan (Gary Jones), Gary Poulter (Wade Jones), Aj Wilson McPhaul (Earl), Adriene Mishler (Connie), Ronnie Gene Blevins (Willie Russel), Aaron Spivey-Sorrells (Sammy)…
Signes particuliers (+) : Avec des enjeux dramatiques finalement assez faibles dans ce pseudo-récit filial sur fond de transmission du savoir, Joe parvient à fasciner par sa mélancolie crépusculaire et son atmosphère lourde, contenant une explosion de rage terriblement refrénée. Mais c’est bien la distribution qui sublime cette rugueuse histoire, d’un Nicolas Cage iconique retrouvé à une jeune pousse talentueuse en passant par un génie mort-né.
ON DIRAIT LE SUD…
LA CRITIQUE
Résumé : Dans une petite ville du Texas, l’ex-taulard Joe Ransom essaie d’oublier son passé en ayant la vie de monsieur tout-le-monde : le jour, il travaille pour une société d’abattage de bois. La nuit, il boit. Mais le jour où Gary, un gamin de 15 ans arrive en ville, cherchant désespérément un travail pour faire vivre sa famille, Joe voit là l’occasion d’expier ses péchés et de devenir, pour une fois dans sa vie, important pour quelqu’un. Cherchant la rédemption, il va prendre Gary sous son aile…L’INTRO :
Souvent moqué tant pour sa diversité capillaire devenue un running gag de fans que pour sa capacité à enchaîner les séries B pas des plus finaudes, on en oublierait presque que Nicolas Cage est quand même un sacré acteur au charisme ravageur et à la filmographie pas des plus ridicules à Hollywood. Et si pour certains il est en passe de devenir has-been à force d’accumuler les nanars pour payer ses rattrapage d’impôts, l’acteur se paient de temps à autre le luxe de se rappeler au bon souvenir des cinéphiles par quelques sorties cinématographiques marquantes. Bon il est vrai que ces temps-ci, Cage n’était pas au meilleur de sa forme. Il faut bien avouer qu’entre le ridicule Ghost Rider 2 ou les thrillers insipides style Effraction, Le Pacte ou 12 Heures, son talent était un peu mis à mal. Mais voilà, au milieu de ce paysage de désolation artistique, jaillit tel un oasis salvateur, Joe, le nouveau film de David Gordon Green. Plus connu pour ses comédies déjantées telles que Pineapple Express, Votre majesté, Baby-Sitter Malgré lui ou la série Eastbound and Down avec Kenny Powers, David Gordon Green prend un virage dans sa carrière avec ce drame indépendant à petit budget (4 millions) adapté d’un roman de Larry Brown, spécialiste de la littérature du « Rough South », ce sud de l’Amérique dur et poisseux actuellement en vogue au cinéma. Passé par de prestigieux festivals comme Deauville ou Venise, Joe nous emporte au pays des rednecks à la force d’un duo de comédiens extraordinaires, Cage en tête et le jeune Tye Sheridan, véritable révélation du film.
L’AVIS :
Drame magnifiquement filial sur la transmission, Joe prend la direction de l’Amérique profonde et crasseuse peuplée de rednecks pathétiques. Le film s’inscrit dans toute cette vague post-moderne de films misérabilistes à ambiance forte sur l’Amérique des laissés pour compte, dans la veine des Out of the Furnace, Mud, Winters Bone, Killer Joe, Dans la Brume Electrique, Killing Fields etc. tous héritiers de la littérature South Rough et des classiques des seventies comme Délivrance, Massacre à la Tronçonneuse, Sans retour et autres. Au fond, Joe ne raconte pas grand-chose. Il n’offre rien de nouveau, ni dans le style, ni dans le contexte, ni dans son récit aux jeux dramatiques finalement assez faibles. Toute la puissance du film de David Gordon Green réside dans ces fabuleux personnages se mouvant dans cette atmosphère pesante, aussi tendue qu’un tissu de muscle noué. Comme une après-midi à l’air lourd et humide laissant planer le doute fort probable d’un orage soudain, violent et explosif. Œuvre étrange et lancinante sans cesse dans une forme de retenue terrifiante quant à son issue que l’on pressent dramatique par instinct, Joe a tout pour rebuter et s’attirer les foudres de la critique et pourtant… Fasciné, imprégné par sa rudesse et sa violence sourde constamment étouffée qu’il retient sous pression, ce drame sec et brut à l’image du rugueux sud américain qu’il dépeint, repose sur une puissante et magnifique histoire plus ou moins filiale ou s’y apparentant, entre un sauvage au grand cœur à l’existence que l’on comprend chaotique et un jeune gamin qui avait tout pour déraper avant d’être pris sous l’aile protectrice de cet ange gardien charismatique.
Le Joe du film est définit par son auteur comme le bon, la brute et le truand réuni dans un seul et même personnage. Complexe, il sublime un film aussi destructeur que ne le sont ses protagonistes, aussi mystérieux qu’eux, aussi errant, sale, fonctionnant à l’économie narrative et à l’énergie du désespoir. Mais fonctionnant surtout grâce à un Nicolas Cage des grands soirs, impressionnant de force animale et d’intensité, dominant une distribution magistrale de laquelle émerge Tye Sheridan, adolescent forcé de grandir trop vite par les coups que lui a assené la vie, et Gary Poulter, l’acteur né au destin tragique. Comédien raté devenu SDF de longue date vivant en marge de la société dans la drogue et l’alcool, Poulter avait été repéré lors d’un casting sauvage dans la rue alors que Gordon Green recherchait des « gueules ». Sa trogne d’ersatz de Bruce Dern avait tapé dans l’œil du cinéaste. Sa performance à l’écran en écho avec son existence dramatique, vaut tous les Oscars du monde. Enorme, bouffant l’écran à chaque apparition, Poulter était un vieil acteur né. Il est mort deux mois après le tournage, son corps ayant été retrouvé baignant dans un lac, après une énième nuit de beuverie.
Joe est en équilibre audacieux sur l’excès contrôlé, au bord de la caricature sans que pourtant elle ne prenne jamais le dessus sur une œuvre au caractère fort, crépusculaire, mélancolique, inconditionnellement iconique. Des zones d’ombre traversent un film profondément énigmatique. Passé et présent des personnages souvent obscurs, certaines idées disséminées finalement pas explorées ni exploitées… On en viendrait presque à se demander si le montage final ne serait pas victime de scènes coupées pour donner du rythme à une narration lente. Ou peut-être que Gordon Green entretient volontairement un parfum de mystère renforçant la singularité d’un grand film laissant un souvenir fort. Œuvre réaliste, hypnotique, frontale, dérangeante, tendue, Joe souffre de quelques petites imperfections ou de micro-longueurs, mais dans son ensemble, ce petit bijou délivre une charge émotionnelle incroyable, dont la noirceur terrible voire malsaine est compensée par une luminosité rédemptrice et une humanité sublimes, agrémenté d’un humour étonnant, offrant d’ailleurs à Nicolas Cage l’une des scènes les plus cultes de sa carrière (le « sourire cool »). Un tour de force et le retour de Nicolas Cage sur le devant de la scène. Oscar, vous avez dit Oscar ?
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux