Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : I Declare War
Père(s) : Jason Lapeyre et Robert Wilson
Livret de famille : Siam Yu (Kwon), Gage Munroe (PK), Michael Friend (Skinner), Aidan Gouveia (Quinn), Mackenzie Munro (Jess), Alex Cardillo (Frost), Dyson Fyke (Sikorski), Spencer Howes (Joker), Andy Reid (Wesley), Kolton Stewart (Caleb), Richard Nguyen (Bak) Eric Hanson (Kenney), Alex Wall (Scott)…
Date de naissance : 2012
Majorité au : indéterminée
Nationalité : Canada
Taille : 1h50
Poids : Budget NC
Signes particuliers (+) : Un film inclassable, sorte d’ovni abordant la délicate question de la perte de l’innocence de l’enfance dans une curiosité au départ déroutante puis finalement palpitante et ludique. Mais sa vraie force, est de ne jamais perdre de vue le cap de sa véritable visée finale, une parabole intelligente sur la corruption de cette candeur enfantine, attaquée par la culture de la violence qui a tout gangrenée dans nos sociétés modernes.
Signes particuliers (-) : Pas de véritable génie dans la concrète mise en scène (plus dans l’imagination de celle-ci), et le jeu des enfants est parfois mis à mal lorsqu’il s’agit de jouer des scènes très compliquées.
LA DEUX FONT LAPEYRE
Résumé : Un été, dans une forêt quelque part. Une bande de gamins séparés en deux camps opposés se livrent une guerre stratégique cruciale. Progressivement, la notion de jeu devient floue et tend à disparaître au rythme des escarmouches, des animosités, de l’imagination débordante et de la découverte de l’expérience malsaine de la barbarie…
Bête de festival passée par toutes les manifestations américaines avant de venir faire une petite incursion en Europe grâce au BIFFF bruxellois, I Declare War est une étonnante pépite canadienne sortie en Amérique du Nord voilà quasiment un an et demi et tristement toujours inédite chez nous tout support pris en compte. Et c’est bien dommage car ce petit budget aussi original qu’inclassable, aurait bien mérité un autre traitement. I Declare War est coréalisé à quatre mains par Jason Lapeyre (rien à voir avec les fenêtres) et Robert Wilson. Le premier, également à l’origine du scénario, a comme expérience du long-métrage Cold Blooded, un thriller à l’excellente réputation sorti lui-aussi en 2012. Le second a signé un nanar SF en 2006 avec le perdu Edward Furlong (Warriors of Terra) et un obscur DTV horrifique en 2007 (Dead Mary) en plus d’avoir beaucoup œuvré comme producteur sur des bisseries de genre.
Comme tout film réunissant une bande de gosses dans une comédie dramatique soulignant le passage de l’enfance à l’adolescence et la fin de l’innocence (et à plus forte raison quand il se passe comme ici en forêt et qu’on peut lui coller un vague fond initiatique), I Declare War n’a pu éviter la trop fréquente comparaison facile au culte Stand By Me de Rob Reiner. Mais finalement, il existe que très peu de connexions dans le ton et le style entre les deux œuvres même si, en le triturant dans tous les sens, on pourra aller poussivement en racler quelques-unes tirées par les cheveux. Curiosité au casting juvénile et sans le moindre adulte à l’horizon, l’histoire nous entraîne dans une guerre acharnée au milieu des bois entre deux « armées » équipées de mitraillettes, revolvers et autres grenades… imaginées puisqu’il s’agit d’une bataille de paintball géante mais tournée depuis le point de vue de ces jeunes gamins qui voit dans un gros bâton un puissant bazooka et dans une arme en plastique une terrible kalachnikov ! Mais petit à petit, pris par le jeu, par la conviction et l’imagination, par les rivalités, les tensions et les frustrations personnelles, la notion de « jeu » s’effilochera lentement, sournoisement, faussée par l’irrépressible envie et besoin de gagner ce combat stratégique important pour la réputation et la place dans la société juvénile. Le tandem Lapeyre/Wilson va alors s’amuser en multipliant les paris et choix stylistiques et narratifs aussi courageux que déroutants, faisant de leur actionner en culotte courte raconté en temps réel, un film d’une redoutable intelligence de fond.
I Declare War est un récit sur cette période critique où l’innocence de l’enfance commence à s’effacer au profit de la cruelle adolescence. Expérience de la brutalité, de la méchanceté, de la violence mais aussi premiers émois affectifs, frustrations, besoin de reconnaissance et envie de se faire une place dans la société de leur âge, I Declare War brosse un portrait très fin de la fin de l’enfance, au-delà de ses allures de simple film à postulat original. Un portrait non sans cynisme et nihilisme quelque-part, dans sa façon de glisser une vision assez sombre de cette période de vie, derrière une farce rigolote et ludique dans l’âme. D’apparence, les partis pris du duo de cinéastes sont étranges et décalés dans un premier temps et surprennent, d’autant que le film ne ménage aucune introduction et nous plonge directement dans son histoire sous tension. Il faudra du coup un temps d’adaptation pour s’habituer à ce choix d’illustrer le faux imaginé par le vrai recréé. D’un jeu de paintball avec armes en plastique, cailloux, boules de peinture et bâtons, on se retrouve face à une véritable guérilla des bois, tournée comme une guerre réelle et adulte, avec balles réelles, explosions de grenades, pistolets, etc… où un pauvre lance-pierre devient mentalement une arbalète aux flèches aiguisées, un rondin de bois devient un bazooka, un revolver en plastique devient un 38 mm… Des visions imaginaires mais le film entretient la confusion volontairement pour illustrer son propos et assume ses choix qui en font une fantaisie qui pourra en laisser plus d’un sur le carreau.
Mais I Declare War ne se résume pas à cette seule originalité rhétorique et c’est bien ça qui en fait toute sa qualité et son intelligence. Ces choix audacieux ont une visée bien plus importante et dépasse le simple « coup » cinématographique. Le but est avant tout de mettre en exergue la façon dont l’apparente innocence de l’enfance peut déraper, perturbée par les mauvaises références balancées par la société moderne, par l’imagination mal dirigée, nourrie par la violence du monde actuel et de la culture qu’il développe. Jeux vidéos, films, BD, dessins-animés, la petite jeunesse d’aujourd’hui est cernée de toute part par une indirecte et directe culture de la violence qui lui sert désormais de références presque innées avec lesquelles ils grandissent. Les temps changent, le monde changent, les références changent et les mentalités avec. Et I Declare War de se muer en une très fine et malicieuse parabole sur l’évolution de l’âge de l’enfance moderne, tiraillée entre l’innocence des jeux de gamins d’antan et la violence de la culture qui l’a bercée. Quand The Experiment version enfant rencontre Battle Royale et La Guerre des Boutons, ça nous donne ce cocktail grinçant qu’est I Declare War, un film qui balaie brillamment à la fois les interrogations et préoccupations du jeune âge (premiers émois amoureux et découverte du pouvoir de séduction, solitude et manque d’amitié, école, rivalités, besoin de reconnaissance et d’appartenir à un groupe, envie d’être populaire, cool, moqueries face à la différence et aux particularités, cruauté du jeune âge, insouciance…) et les dangers qui le guettent. Car enrobé dans un film « d’action » palpitant extrapolant les guerres imaginaires d’enfants pour les illustrer à l’écran comme celles des adultes afin de mettre en lumière la face obscure de ces jeux que l’on a tendance à trop percevoir comme innocents et « de cet âge » mais qui sont finalement plus lourds de sens qu’ils n’y paraissent, I Declare War montre ainsi cette tendance qu’ont les plus petits, influençables, de vouloir copier les actes des plus grands, influenceurs. Et le film de devenir un rappel moralisateur (dans le bon sens du terme), une mise en garde destinée au monde adulte actuel face à ce qu’il est en train de cultiver comme image de la société transmise à la jeunesse d’aujourd’hui. D’une petite série B décalée et sympathique, I Declare War se métamorphose alors en superbe parabole radicale et intelligente de l’évolution des codes qui façonnent l’esprit des futures générations qui dès leurs jeux de jeunesse, trahit le fléau de la culture néfaste qui les encadrent, l’innocence ayant été pervertie au point de ne plus l’être totalement.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux