Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Carol
Père : Todd Haynes
Date de naissance : 2015
Majorité : 13 janvier 2016
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 1h58 / Poids : 12 M$
Genre : Drame, Romance
Livret de famille : Cate Blanchett (Carol), Rooney Mara (Therese), Kyle Chandler (Harge), Sarah Paulson (Abby), Carrie Brownstein (Genevieve), Jake Lacy (Richard), Cory Michael Smith (Tommy)…
Signes particuliers : Succès au dernier festival de Cannes, Carol pourrait bien foncer maintenant sur la routes des Oscars. Et ce ne serait pas immérité.
PRISONNIÈRES DE L’AMOUR ET DU TEMPS
LA CRITIQUE
Résumé : Dans le New York des années 1950, Therese, jeune employée d’un grand magasin de Manhattan, fait la connaissance d’une cliente distinguée, Carol, femme séduisante, prisonnière d’un mariage peu heureux. À l’étincelle de la première rencontre succède rapidement un sentiment plus profond. Les deux femmes se retrouvent bientôt prises au piège entre les conventions et leur attirance mutuelle.L’INTRO :
Todd Haynes est un réalisateur rare, dont le talent suffit à lui-seul, pour maintenir une certaine excitation à chacune de ses nouvelles sorties artistiques. En 28 ans de carrière, le cinéaste n’a tourné que sept longs-métrages. C’est peu. Mais voilà, parmi ces sept efforts, Velvet Goldmine, Loin du Paradis ou I’m Not There. Autant de films qui ont participé d’entourer son œuvre d’une véritable fascination cinéphile. Son grand retour en 2015, neuf ans après son biopic sur Bob Dylan, était dès lors très attendu. D’autant qu’avec Carol, Todd Haynes a choisi un sujet en or en adaptant le roman éponyme de Patricia Highsmith, paru en 1952. Aussi, parce que le britannique met en scène deux talents purs, appartenant chacune à deux générations de grandes comédiennes : Cate Blanchett et Rooney Mara. Un choix de casting payant, puisque la seconde s’est vu récompensée du prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes. Tourné en Super 16 pour capter et restituer religieusement la texture des films en 35 mm de l’époque, carol nous emporte au cœur d’une romance homosexuel dans l’Amérique des années 1950. Un sujet que Todd Haynes avait déjà approché en 2002, avec Loin du Paradis. Mais cette fois-ci, ce n’est pas d’homosexualité masculine qu’il s’agit, mais d’une histoire d’amour passionnée entre une jeune new-yorkaise d’une vingtaine d’années d’origine modeste, et une quadragénaire bourgeoise appartenant à la Haute Société.L’AVIS :
Il y a autant de manière de traiter de l’amour au cinéma, que de façon d’aborder l’homosexualité, féminine en l’occurrence, dans le cas de Carol. On se souvient de l’illustration des ravages du colportage médisant avec La Rumeur, plus récemment de la passion dévastatrice avec La Vie d’Adèle, de la romance adolescente avec Summer ou du pouvoir de domination avec The Duke of Burgundy. Todd Haynes, lui, replace l’amour au centre de tout et choisit l’angle de la délicatesse, couplé avec le saisissement d’une époque sociale où les mœurs étaient en train de vaciller concernant le regard sur l’homosexualité, entre la vision rétrograde d’une « déviance malade » et l’acceptation à venir d’une autre normalité. « Je ne te parle des ‘gens comme ça’ mais juste de deux personnes qui tombent amoureux. » déclare le personnage de Rooney Mara. Tout est dit. Carol est certes la peinture d’une époque, mais c’est avant tout une fabuleuse, poignante et magnifique histoire d’amour entre deux femmes bouleversantes et bouleversées.Avec tout son art de la beauté illustrative et son sens de la mise en scène douce et soyeuse, Todd Haynes signe une ode poignante au plus noble des sentiments, à travers une romance sublime, contrainte par son temps et ses conventions encore passéistes. Sa propre déclaration d’amour au cinéma et à l’humanité, trouve sa plus belle expression dans la subtilité permanente qui enveloppe ce long-métrage touché par la grâce émotionnelle et une magistrale poésie de la pureté. Somptueux de bout en bout, fin et vibrant, Carol est une démonstration de puissance des sentiments, une ode à l’amour au-delà des sexes, une ode à la nécessité de s’affirmer soi et sa liberté, dans une société cherchant à imposer un modèle unique pour repousser une différence qui lui fait peur. Observant l’évolution de cette histoire au beau romantisme teinté de tragédie, Carol replace son récit au cœur d’une nation conservatrice changeante, commençant à lentement se diriger vers une acceptation de l’homosexualité qui mettra fin à l’horreur de sombres et défavorables années torturées, dans un temps où la morale réprimait ces passions « anormales » au point d’être un motif de privation des droits parentaux. Par le truchement de cette relation taboue, Todd Haynes double son drame d’un regard passionnant sur cette Amérique d’antan, errant entre optimisme post-Deuxième Guerre Mondiale et paranoïa à l’égard des changements et de l’évolution des mœurs.Devant sa caméra, deux âmes, produits de leur classe sociale respective, qui se rencontrent et se retrouvent irrésistiblement attirées par une connexion peut-être explicable par leurs troubles personnels, comme si leurs maux trouvaient un écho résonnant l’une chez l’autre. Impressionnante dans son rôle complexe de femme élégante au charisme inaccessible mais en réalité au bord du précipice psychologique, Cate Blanchett livre une interprétation de très haut vol, face à une Rooney Mara formidable en jeune femme troublée par ce désir inattendu qui pourrait lui apporter ce battement de cœur qui lui manque dans une vie monotone avec laquelle, elle semble ne pas être en phase. Deux générations d’actrices disions-nous, deux étoiles qui scintillent de mille feux, sous l’objectif d’un Todd Haynes des grands soirs.Une exquise douceur entre lumière et mélancolie, étreint ce drame bouleversant au pouvoir de séduction insoupçonnable. Maniériste dans le bon sens du terme, Haynes soigne chaque plan, chaque scène, chaque cadrage, chaque décor, mouvement, détail, trait de lumière ou geste d’interprétation de ses prodigieuses comédiennes, conférant ainsi une immense richesse inouïe à son exercice à la maîtrise suprême. Une fois n’est pas coutume, on retrouve du Douglas Sirk modernisé (voire du Billy Wilder, du Wyler, du Lubitsch ou du James Ivory) dans ce nouvel effort qui met à genou un spectateur, rapidement sous la coupe d’un film fascinant et incroyablement maîtrisé, mettant aux prises attraction sexuelle et pression sociale étouffante. Et le combat impossible et déchirant de ces deux amantes devant faire face à l’opinion réductrice, de trouver dans de petites brèches discrètes, un écho contemporain formidable d’intelligence et de justesse. Mais tel un aigle dominant une vallée depuis le ciel, c’est avant tout la beauté qui survole ce nouveau long-métrage de Todd Haynes, sa prestigieuse élégance et sa sensualité à fleur de peau, qui rendent encore plus crasse et révoltante, l’ignominie de l’entreprise de destruction de ce superbe couple d’amour, et de cinéma.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux