Nom : Spectateurs !
Père : Arnaud Desplechin
Date de naissance : 15 janvier 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 2h00 / Poids : NC
Genre : Documentaire, Fiction
Livret de Famille : Mathieu Amalric, Dominique Païni, Clément Hervieu-Léger…
Signes particuliers : PASSIONNANT !
Synopsis : Qu’est-ce que c’est, aller au cinéma ? Pourquoi y allons-nous depuis plus de 100 ans ? Je voulais célébrer les salles de cinéma, leurs magies. Aussi, j’ai suivi le chemin du jeune Paul Dédalus, comme le roman d’apprentissage d’un spectateur. Nous avons mêlé souvenirs, fiction, enquêtes… Un torrent d’images qui nous emporte.
DESPLECHIN CÉLÈBRE LA PUISSANCE DU CINÉMA
NOTRE AVIS SUR SPECTATEURS !
Après des années fructueuses dans la fiction traditionnelle, Arnaud Desplechin fait un pas de côté et signe un film hybride, ni vraiment fiction, ni complètement documentaire, au mieux un croisement des deux et encore. Avec Spectateurs !, le cinéaste réfléchit sur l’art qui l’habite depuis toujours : le cinéma. Sa réflexion, il la mène entre discussions théoriques, extraits de films, interviews et scènes frictionnelles mettant en scène Paul Dédalus, son fameux personnage récurrent (et alter-ego) semblable au Antoine Doisnel de Truffaut. Le résultat est absolument passionnant, et magistral.
La définition du cinéma, l’essence de l’image, le pouvoir du septième art, son passé et son avenir… Voilà quelques-uns des sujets abordés par Desplechin avec Spectateurs !. Piochant dans son propre parcours initiatique, le cinéaste pense et repense. Il repense à son propre chemin de spectateur, aux films, aux écrits et aux idées qui ont forgés sa cinéphile, sa vision et son travail. Puis il pense. Fort d’un recul de cinéphile de plus de 60 ans et d’un recul d’artiste qui fait des films depuis trois décennies, Desplechin nous emporte dans l’histoire du cinéma et les tréfonds de son analyse théoricienne. On parcours les premières expérimentations techniques, le pionnier L’arrivée d’un Train en Gare de la Ciotat ou le Shoah de Claude Lanzmann, on y croise Hitchcock, Coppola, Bergman ou Cimino, on vole de Fantômas à Die Hard, d’Abel Gance à Spielberg, de Dziga Vertov à Kurosawa en passant par Orson Welles, James Cameron ou Howard Hawks, on débat autour de Godard, Cavell, Bazin ou Sadoul.
Tout en rappelant que le cinéma c’est avant tout du spectacle, des émotions, des moments de grâce, mais qu’il peut être aussi des pensées, des interrogations, des réflexions ou un vecteur de prise de parole, Arnaud Desplechin tente l’impossible de cerner le cinéma avec un grand C en 98 minutes. Et parce qu’impossible n’est pas Desplechin, il y arrive. Spectateurs ! est un hommage vibrant rendu à la fois au septième art et aux spectateurs qui le regardent avec des yeux tous différents. Il y a ceux qui aiment être devant, ceux qui préfèrent le fond, le milieu ou le bord de la salle, il y a ceux qui veulent s’amuser, ceux qui aiment analyser, il y a ceux qui y vont occasionnellement, ceux qui veulent voir plein de films et ceux qui retournent en voir un plusieurs fois, il y a ceux qui le regardent et ceux qui le font, ceux qui veulent divertir, ceux qui veulent dire des choses ou ceux qui expérimentent. Le cinéma, ce sont différentes façons de le voir, différentes façons de le faire, différentes façons de le vivre. Avec comme point de convergence, la puissance d’un art unique depuis plus de 120 ans.
Captivant de bout en bout, Spectateurs ! vient s’inscrire dans la longue lignée des œuvres majeures consacrées au cinéma, derrière l’histoire du cinéma mondial retracée par Georges Sadoul, derrière le voyage à travers le cinéma américain de Scorsese, derrière l’image-mouvement de Deleuze, derrière le Histoire(s) du cinéma de Godard, les écrits de Stanley Cavell ou les entretiens entre Truffaut et Hitchcock. Une vaste exploration philosophico-théorique sur le cinéma, l’image, le rapport entre la création et le réel… tout en étant l’histoire simple d’un enfant qui va se découvrir une passion -comme le petit Salvatore de Cinéma Paradiso– et qui va grandir avec elle pour devenir quelqu’un qui lui appartient. Par ce savant mélange de documentaire réthorique et de fiction sublimée, Desplechin opère un pont entre tous les spectateurs, ceux qui aiment le cinéma en tant qu’art et ceux qui l’aiment en tant que divertissement. On ressort de là avec la sensation d’avoir vu et saisi l’essentiel de ce qu’est le cinéma. Car avec douceur, nostalgie et pédagogie, Arnaud Desplechin dit presque tout. Le cinéma, c’est une expérience de merveilleux émerveillements et un moyen unique de figer pour l’éternité, des réalités, des idées, des images.
Et là où l’entreprise fascine le plus, c’est quand elle surprend à nous amener à de nouveaux questionnements. Immuable théorie gravée dans des textes emblématiques, Bazin ou Godard voyaient le cinéma comme des photographies du réel, « 24 fois la réalité » pour Godard. C’était avant l’ère de l’IA. Que diraient-ils maintenant ? Immuable pan d’histoire, les pionniers ont inventé le cinéma comme une attraction (forraine) pour les déshérités et il est devenu l’art populaire par excellence. Que dire aujourd’hui alors qu’il devient dangereusement un « loisir de luxe » comme le veut un certain patron d’une certaine entreprise séculaire du cinéma français dont les salles de cinéma proposent des séances coûtant une fortune ? Que dire du fait que l’expérience en commun est de plus en plus grignotée par de nouveaux modes de consommation solo chez soi ? C’est aussi ça Spectateurs !, une œuvre vibrante qui enchante pendant et qui hante après, une œuvre où l’on savoure un voyage émouvant dans l’immensité du cinéma, des films et de nos souvenirs (avec de nombreux extraits de classiques), et une œuvre qui appelle à la confrontation de réflexions en mouvement. En somme, une œuvre vivante dédiée à un art toujours aussi vivant.
Par Nicolas Rieux